lundi 22 octobre 2012

Les Dents de la Mer

(Jaws)

Film de Steven Spielberg (1975), avec Roy Scheider, Robert Shaw, Richard Dreyfuss, Lorraine Gary, Murray Hamilton, etc...  

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Parmi tous les films de Spielberg, Jaws tient une place à part, sans doute parce que c’est l’œuvre charnière qui a décidé de toute la suite de sa carrière. Ensuite, parce qu’il n’a jamais pris autant de risques qu’ici : un tournage qui devient une véritable épopée, et un réalisateur obligé d’improviser au jour le jour au gré des difficultés techniques. 40 ans après, Jaws est toujours un véritable classique, mélange insurpassable de maîtrise technique et de spontanéité. Retour en arrière sur un film hors du commun.
 
 
Ce qui fait toute l’originalité de Jaws, c’est qu’il représente la jonction de l’ancien et du nouvel Hollywood. Durant les années 70, le cinéma américain vivra une importante mutation. C’est la fin des grosses productions blindées de stars. Toute une nouvelle génération de metteurs en scène apportera un sang neuf à un système qui commençait à sérieusement sentir le renfermé. Ils ont pour noms Coppola, De Palma, Lucas, Scorsese et Steven Spielberg. Sans renier tout un héritage de cinéma spectacle, ces réalisateurs lui apporteront un ton personnel. Et, signe qu’un changement était nécessaire, le public les suit. Le Parrain est le premier film à cartonner au box-office. Il sera très vite suivi par de nombreux autres.
 
 
Spielberg a tout juste la trentaine quand il est parachuté sur Jaws. Sur la foi de son premier film, Sugarland Express, mais surtout d’un redoutable téléfilm nommé Duel, les producteurs Richard Zanuck et David Brown le propulsent à la tête de leur nouveau projet. A l’époque, la Universal est décidée à miser sur la vague du film-catastrophe et se dit que cette histoire de requin tueur peut être profitable. Ni une ni deux, sans vraiment réfléchir à ce que cela suppose, le réalisateur exige de tourner en extérieurs et en pleine mer, qui plus est avec un requin mécanique pas du tout prévu pour fonctionner dans l’eau de mer. Le tournage qui devait durer deux mois, prendra en définitive plus de cinq.
 
 
 
La grande force de Jaws, c’est justement d’avoir su tirer parti de tous ces éléments, incontrôlables pour la plupart, afin de créer quelque chose d’inédit. Le film, tourné sur une île de Nouvelle-Angleterre, utilise beaucoup d’acteurs non professionnels, recrutés sur place, ce qui en renforce la crédibilité. Spielberg enracine une histoire aux résonances fantastiques dans un cadre tout ce qu’il y a de plus quotidien. Son héros, le chef Brody, est banal. C’est, comme le dira Truffaut dans Rencontres du 3ème Typeun homme ordinaire confronté à une situation extraordinaire”, mais qui est, comme toujours chez le réalisateur, très humain dans ses réactions et ses erreurs. Le film reste, du début à la fin, d’un profond réalisme. C’est le fantastique qui s’invite dans le film par le biais d’une menace crédible, mais démesurée.
 
 
Si Jaws fonctionne de manière si efficace, c’est qu’il touche à une peur très profonde, celle d’être dévoré, la peur de devenir victime. Tout le génie de Spielberg, c’est d’avoir fait de cette  menace quelque chose d’omniprésent. L’eau devient, par extension, un territoire d’où le danger peut surgir à n’importe quel moment. C’est le bon vieux principe Hitchcockien, qui transforme un acte anodin (la baignade) en source potentielle de mort.
 
 
 
 
 
 
Cette approche, Spielberg la renforce en montrant au minimum la menace. Il laisse travailler l’imagination du spectateur, ne montrant que quelques détails ou faisant évoluer le suspense sur une série de fausses pistes. Limité par des impératifs techniques dans son désir de montrer effectivement le requin, le réalisateur utilise tous les moyens possibles et imaginables pour évoquer sa présence sans jamais le montrer. La caméra subjective nous fait adopter le point de vue de la bête. Un ponton, des barils deviennent ainsi des instruments de suspense, formidablement appuyés par la musique très évocatrice de John Williams. De même, l’horreur, quand elle éclate, naît de quelques détails très brefs, à l’aide de plans à l’impact imparable.
 
 
La construction du film est particulièrement intéressante, puisqu’elle suit une progression dramatique infaillible. Au fur et à mesure des attaques, l’action se fera plus violente et sanglante, Spielberg allant même jusqu’à utiliser une palette de couleurs particulière afin de renforcer l’impact visuel du sang. Toute cette première partie est marquée par un sens profond du suspense, avec des scènes remarquablement construites pour surprendre le spectateur ou l’aiguiller vers des fausses pistes. Le réalisateur y déploie toute sa maestria pour enraciner le fantastique dans le quotidien le plus banal, avant d’emmener son film vers d’autres horizons.
 
 
 
Dans sa seconde partie, Jaws devient alors un fantastique film d’aventures maritimes, qui évoque à la fois Hemingway et Herman Melville. Trois hommes, Brody, Quint et Hooper pourchassent le requin en pleine mer et Spielberg change littéralement de ton. Là encore, la force du film, c’est de ne pas avoir basé l’action sur le monstre lui-même, mais plutôt sur le tempérament des trois personnages, radicalement différents les uns des autres. Les difficultés techniques ont permis au réalisateur d’approfondir les rapports humains et de peaufiner leurs caractères.
 
 
 
 
C’est la confrontation entre le simple flic (Roy Scheider), le pêcheur baroudeur (Robert Shaw) et le scientifique têtu (Richard Dreyfuss). Soutenue par ces trois fantastiques acteurs, cette seconde partie nous familiarise avec leurs personnalités par le biais de petites scènes pleines d’humour, comme la comparaison des « blessures de guerre ». Lorsque Quint évoque ses souvenirs de guerre avec le naufrage de l’USS Indianapolis, Spielberg intègre au récit l’évocation de ce fait-divers réel pour nous faire comprendre sa haine des requins. Un grand moment de cinéma auquel ce formidable acteur qu’était Robert Shaw apporte tout son talent. Si les premières apparitions du monstre nous avaient fait frissonner, son évocation par Shaw est à vous glacer le sang. 
 
 
On sent parfois le film handicapé par ses effets spéciaux, et le requin, même s’il apparait de manière plutôt parcimonieuse, n’est pas toujours très crédible. Cependant, l’aspect humain est si brillamment mis en avant, qu’en définitive les apparitions du monstre en deviennent très vite secondaires. Seules les dernières séquences reposent sur la lutte entre l’homme et la bête. Spielberg va alors très loin dans l’horreur, poussant à l’extrême la confrontation. Le final pourra également paraitre invraisemblable, mais le réalisateur a alors tellement bien ferré le public qu’il l’accepte sans trop se poser de questions. C’est le triomphe du spectacle pur et simple, un art de faire accepter l’impossible que Spielberg raffinera dans ses films suivants.
 
 
 
Jaws marque la séparation entre un cinéma Hollywoodien pépère et pourri de clichés et un courant de mise en scène qui privilégie la spontanéité et le réalisme. Même si le fait de tourner en pleine mer a transformé le tournage en cauchemar logistique, il est pour beaucoup dans la profonde crédibilité du film. De même, Spielberg laisse de côté les personnages taillés à l’emporte-pièce pour imposer une approche plus spontanée, avec un humour et un sens de l’observation omniprésents. Certains moments paraissent avoir été improvisés tellement ils apparaissent naturels. C’est tout le génie du réalisateur d’avoir su ajouter cette dimension supplémentaire qui, là encore, renforce la vraisemblance et rend le spectateur complice.
 
 
Jaws est donc bien plus qu’un simple film de monstre, et cela explique sa fantastique popularité près de 40 ans après sa sortie. Suspense, film d'aventures, étude de mœurs, il brave les étiquettes et réussit dans chacun de ces domaines. Paradoxalement, c’est aussi un film qui a failli couter sa carrière à son auteur, et il faut saluer le courage des producteurs pour avoir cru jusqu’au bout à un projet aussi fou, et pour avoir laissé malgré tout à Spielberg un contrôle artistique total. C’est cette liberté de ton qui fait de Jaws un film unique, personnel malgré tout, qui reste aussi une formidable déclaration d’intention de la part de son réalisateur et un authentique classique moderne.
 

 
 


 
 
Arrêts sur Images
Section à ne lire qu'après avoir vu le film !
 
 
 
Le Trombi
Dans l’optique de crédibilité voulue par Spielberg, le choix des acteurs de Jaws est cohérent, même si au départ, de plus grosses stars comme Lee Marvin ont été pressenties: il n'y a pas de tête d’affiche, c'est l'histoire qui tient la vedette. Roy Scheider, acteur discret et efficace compose un Chef Brody impeccable, et dans le rôle de Quint, Robert Shaw trouve enfin une superbe consécration après des années des seconds rôles. Quant à Richard Dreyfuss, son tempérament de chien fou fait merveille ici. Dans le casting également, beaucoup d’acteurs « locaux » recrutés sur le lieu de tournage, mais qui dont certains sont pourtant épatants, comme Jeffrey Kramer ou bien Lee Fierro, dans le rôle de Mme Kintner. Enfin, petit clin d’œil, Peter Benchley, l'auteur du roman qui a inspiré le film, fait une courte apparition dans le rôle d'un reporter télé.

Roy Scheider
Robert Shaw
Richard Dreyfuss
Lorraine Gary
Murray Hamilton
Carl Gottlieb
Jeffrey C. Kramer
Lee Fierro
Peter Benchley

 

 

La Musique

vlcsnap-2012-10-10-14h59m40s25Steven Spielberg lui a rendu un bel hommage en reconnaissant publiquement qu’elle était responsable de 50 % de l’impact du film. Et de fait, avant même que la moindre image n’apparaisse sur l’écran, le motif musical créé par John Williams crée un sentiment de menace tout à fait unique. Comme les images et l'utilisation de la caméra subjective évoquent le requin sans le montrer, le compositeur lui donne une personnalité musicale avec un leitmotiv tantôt agressif, tantôt inquiétant.

 
 
 
 
vlcsnap-2012-10-11-15h34m16s5Tout au long du film, le concept musical reste très original, la musique ne prenant jamais le pas sur l’action et restant très parcimonieuse dans son utilisation. Alors que la première partie privilégie un ton assez sombre et plein de suspense, l’aventure maritime de la seconde partie fait évoluer la partition vers un ton plus épique, avec de grandes envolées lyriques. En même temps, la musique offre parfois un contrepoint discret et quasi-transparent, comme dans la séquence du récit de Quint. Ce sera le début d’une fructueuse collaboration entre Williams et Spielberg, mais aussi le commencement de la consécration pour le musicien, qui sera récompensé par un Oscar pour son travail sur le film. De là, le compositeur enchainera sur Star Wars, qui lui vaudra la réputation que l’on sait.
 

 

 



 
 
Au niveau de l’édition discographique, Jaws a été plutôt bien loti. Succès au box-office oblige, un album (MCA MCAD 1660) a été édité au moment de la sortie du film, regroupant les morceaux les plus significatifs. Certains ont été réarrangés, comme c'est souvent le cas chez John Williams, pour être plus accessibles au niveau de l'écoute sur disque.
 
Il faudra cependant attendre 2001 pour que l’intégrale de la partition soit publiée, et c’est bien évidemment cette édition (Decca 02894670452) qu’il faut préférer, puisqu'en utilisant les bandes d'époque, elle présente la musique telle qu'elle apparaît dans le film. Ceci dit, le son, même s'il reste très correct, pourra sembler limite à certains. Pour ceux-là, il faudra donc se tourner sur l’édition Varese (Varese Sarabande VSD 302-066-078) qui en propose un réenregistrement plutôt réussi sous la direction de Joel Mc Neely.

 

 L’Art de la Suggestion
Une scène toute simple comme celle de la découverte de la première victime fait preuve d’une très grande simplicité au niveau de sa mise en scène. On entend d’abord le son agressif du sifflet, puis Spielberg nous surprend en ne montrant que les jambes du personnage, qui vacille ensuite pour entrer dans le champ de la caméra, avec une expression de dégout sur le visage. Le chef Brody et son témoin entrent alors dans le champ, puis s’arrêtent brusquement, saisis par ce qu’ils ont vu, mais que le réalisateur ne montrera pas au spectateur, utilisant le relief de la dune pour cacher le corps. Spielberg joue sur la frustration du public, il pousse au maximum l’attente avant de ne montrer qu’un petit détail du corps de la victime, préférant là encore la suggestion à l’horreur pure. Cette dernière est davantage créée par la réaction des acteurs que par ce qui est effectivement montré à l’écran.

 
 
 
L’Attaque
C’est un moment clé car il fait intervenir le héros, Brody, en tant que témoin. Le but de la scène consiste donc à le convaincre définitivement de la réalité de la menace. Le public est placé sur le même plan que le chef de la police, il partage son point de vue et cherche à déchiffrer des informations parmi ce qu’on lui montre du cadre de la plage. La scène toute entière adopte le point de vue de Brody, et Spielberg utilise plusieurs fausses pistes pour égarer le spectateur, y rajoutant même quelques touches d’humour pour alléger la tension.


Lorsque la véritable attaque a enfin lieu, le point de vue change. Le réalisateur nous met une nouvelle fois à la place du requin et le tempo de la musique indique l’imminence du moment où il va frapper. Spielberg reste une nouvelle fois dans le flou, ne montrant pas vraiment le monstre, mais accentuant la violence visuelle de l’attaque par l’utilisation excessive du sang.

 
L’impact de la scène sur Brody est intensifié par un effet visuel qui crée une sensation de vertige. Il s’agit d’un travelling compensé, un effet qu’Hitchcock avait expérimenté avec succès dans Vertigo : on combine un mouvement de la caméra vers l’avant avec un zoom arrière, ce qui a pour effet de déformer la perspective.


 

 
La Première Apparition
C’est une scène décisive, puisqu’après plus d’une heure de projection, le réalisateur nous dévoile enfin le requin. Elle est introduite par un trait d’humour (Brody se retrouvant par accident nez à nez avec la bête) et une réplique culte (« Il nous faudrait un plus gros bateau »). La mise en scène est très simple et dépouillée, centrée sur les trois hommes, chez qui on sent un mélange de peur et d’admiration. Cela renforce davantage encore le caractère quasi-mythique de l'animal, et la mise en scène met parfaitement en valeur les réactions des personnages. L'action reprend ensuite ses droits, Spielberg créant le suspense à partir du tir d’une balise, relançant l'opposition entre Quint et Hooper. Le rythme de la séquence change alors du tout au tout, devenant plus saccadé et axé sur certains détails clés (l'approche du requin, l'attache du baril...)

 
 
 
Quint
Le personnage de Quint, le chasseur de requins, est essentiel dans le film, et doit une bonne part de sa crédibilité à Craig Kingsbury, un pêcheur local qui tient d’ailleurs un petit rôle dans le film (pour la petite histoire, c’est une réplique de sa tête qui jaillit de l’épave du bateau dans une scène restée culte). Robert Shaw a beaucoup travaillé avec Kingsbury pour créer le personnage de Quint, s’inspirant à la fois de ses expressions et de son caractère.
 
Craig Kingsbury (à gauche) et Richard Dreyfuss

Spielberg crée une sorte d’ambiance mythique autour du personnage, avec une première apparition très subtilement orchestrée (il fait crisser ses ongles sur un tableau noir pour attirer l’attention).


Bourru et excessif, le personnage révèlera ses failles lors de la séquence où il raconte l’épopée de l’USS Indianapolis. Son récit, écrit par le scénariste Howard Sackler, le réalisateur John Milius (ami de Spielberg) et Shaw lui-même, est une merveille de concision et de puissance dramatique. Il est basé sur des faits réels, rendus publics peu de temps avant la sortie du film, et s’intègre remarquablement à l’histoire. Lors du tournage de la première prise, Shaw était ivre mort et il est parti dans un délire d'alcoolique qui a embarrassé toute l'équipe. La scène a donc été re-tournée le lendemain et l'acteur, cette fois sobre, a ébloui tout le monde. Il suffit d'ailleurs de voir le visage de Richard Dreyfuss pendant la séquence. C'est moins le personnage de Hooper que l'acteur lui-même, épaté par la performance de son partenaire.
 
 
 
 
La mort de Quint
C’est la séquence la plus violente de Jaws, et là encore son découpage est étudié pour qu’elle ait un impact maximal sur le spectateur. On commence par un plan de la gueule béante du requin qui établit clairement le danger. Puis l'animal attaque littéralement le bateau. Hormis ces deux plans qui établissent le cadre de la scène, le reste des angles de prise de vues nous place aux côtés de Quint et de Brody dans la cabine du bateau et amplifie la menace du requin. Les gros plans insistent sur les détails essentiels comme les mains des deux personnages qui se tiennent mais qui finissent par glisser, mais aussi sur les mâchoires du squale.

 
Ensuite, Spielberg brise carrément l’image mythique de Quint en montrant ouvertement sa peur. Le fait de faire crier un personnage qu’on a désigné comme étant un exemple de courage et de virilité est un élément extrêmement déstabilisant pour le public, qui s’identifie alors davantage à l’horreur qu’il peut éprouver. De même, lorsque Quint glisse tout doucement vers les mâchoires du monstre, la caméra cadre comme si nous étions véritablement à sa place.


Le plan de réaction sur le visage de Brody accentue davantage l’horreur de la scène, dont Spielberg renforce encore davantage l’impact en jouant sur la durée. Alors que les moments d’horreur d'un film sont généralement limités dans le temps, le réalisateur fait durer la séquence, l’étire au maximum et joue avec les nerfs du public. Le sang est, une fois de plus utilisé pour renforcer l'impact visuel de la séquence.

 
 
La Mise en Scène
Jaws est exemplaire du style précis et économe de Steven Spielberg. Les mauvaises langues pourront parler de manipulation du public, mais en fait le réalisateur a repris à son compte les principes d’Hitchcock. Pour ce dernier, chaque plan devait être conçu pour renforcer la participation du spectateur. Ainsi, par exemple notez comment le dénouement du film est anticipé par des petites touches parfois indiscernables : une discussion qui insiste sur la dangerosité des bouteilles de plongée, et plus tard une réaction de Brody qui protège ce matériel dangereux pendant une embardée du bateau. Le public est donc préparé psychologiquement, presque inconsciemment à la dangerosité de cet accessoire et à son utilisation lors du final.
 
 
La mise en scène de Spielberg est aussi parfois très musicale, comme dans plusieurs séquences de montage telles que l’arrivée des touristes ou la construction de la cage anti-requins. Cette dernière est un exemple d’économie : l’action est décrite avec un minimum de plans, tous soigneusement sélectionnés pour apporter de façon lisible des informations au spectateur. Il s’agit de faire avancer l’action, donc le réalisateur ne conserve que l’essentiel et se contente de montrer sans expliquer. Il n’y a donc aucun dialogue, et la musique est mise en avant.


Notons enfin une similitude entre la fin de Jaws et celle de Duel : la séquence sous-marine au ralenti ou l’on voit les restes du requin disparaître dans un nuage de sang évoque la chute finale du camion dans la poussière. Spielberg a d’ailleurs utilisé le même effet de bruitage dans les deux séquences.
 
 
 
 
 
La Photographie
Même si un film comme Jaws ne se prête pas forcément à des trouvailles visuelles, le travail du chef opérateur Bill Butler se met au diapason de son parti-pris de réalisme, avec pourtant quelques cadrages assez originaux, comme le plan symbolique du départ de l’Orca ou celui sur Quint à son poste d’observation.


On note une constante visuelle que Spielberg réutilisera souvent avec la séquence de la découverte du bateau de pêcheur, qui se déroule dans le brouillard. L’utilisation de la brume permet de matérialiser les rayons de lumière et jouer sur les éclairages. Cet effet de brume bleutée, on le retrouvera notamment dans Rencontres du 3ème Type et l’intro d’E.T.

 
Enfin, autre constante visuelle, avec les plans « à la verticale » qu’on retrouvera très souvent dans l’œuvre de Spielberg. Ils sont ici un peu accidentels, car dictés par le décor du tournage et la volonté du réalisateur d'utiliser des angles inhabituels. Notons que dans Jaws, ils placent toujours un personnage au premier plan, ce qui renforce sa présence dans le cadre et donc accentue symboliquement sa supériorité. Dans les autres films du réalisateur, ce genre de cadrage tend davantage à « écraser » les protagonistes pour souligner leur vulnérabilité.

 
 

 Les Effets Spéciaux
La vedette du film, c’est bien entendu Bruce, le requin mécanique (ou plutôt devrait on dire les requins mécaniques, car il y en avait plusieurs), ainsi baptisé affectueusement d’après l’avocat de Spielberg. C’est l’œuvre de Robert A. Mattey, qui s’était fait connaître en concevant la pieuvre géante du 20.000 Lieues sous les Mers de Disney. Le requin mécanique était animé par une machinerie hydraulique et reposait sur un bras articulé, lui-même ancré sur une plate-forme immergée. Il y avait un modèle conçu pour être filmé sur le côté droit, un autre sur le côté gauche.


Le seul hic, c’est que, faute de temps, toute cette machinerie n’avait jamais été testée dans les conditions du tournage. L’eau de mer ne lui fera pas de cadeau, d’où les innombrables problèmes techniques qui obligeront finalement Spielberg à davantage suggérer le requin plutôt que de le montrer franchement. On peut donc dire que toute cette approche très Hitchcockienne a davantage été improvisée sur le tournage et plutôt que planifiée dès le départ. En dernier recours, Spielberg tournera la majorité des plans sous-marins du requin dans le bassin des studios MGM.
 
 
 
 
 
Le Tournage
 
cpt-2010-09-25-17h41m47s165Jaws est sans doute l’un des tournages les plus tumultueux de l’histoire du cinéma, et a sans aucun doute constitué l’épreuve du feu pour un Spielberg alors tout juste âgé de 30 ans. Dans un souci de vraisemblance, le réalisateur a opté pour un tournage en pleine mer, sans mesurer les aléas que cela allait entraîner. La dérive constante des bateaux chamboulait sans arrêt le plan de travail, des voiliers entraient inopinément dans le champ pendant les prises de vues, bref toute l’entreprise a très vite viré au cauchemar pur et simple.
 
 
 
 
 
 
cpt-2010-09-26-19h15m41s168Ajoutez à cela les problèmes mécaniques posés par le requin, des problèmes d’ego entre les acteurs (Robert Shaw et Richard Dreyfuss ne pouvaient pas se sentir), un tournage en plein hiver (alors que l’action était censée se dérouler en été) et vous aurez une petite idée du self control dont a du faire preuve Spielberg pour mener tout cela à bien. Fort heureusement, le patron des studios Universal Lew Wasserman l’a soutenu à fond, ce qui explique comment il a pu réussir à boucler le film sans y sacrifier sa carrière.
 
 
 
 
 
 
                                                                                  En Vidéo

vlcsnap-2012-10-10-14h56m21s233On ne compte plus les éditions de Jaws en vidéo depuis les premières VHS aux images pourries et recadrées. Avec le laserdisc puis le DVD, le grand public découvrira l’extraordinaire aventure du tournage par le biais d’un fantastique documentaire signé Laurent Bouzereau. Pourtant, le reportage sera raccourci et remonté dans la première édition DVD, et il faudra attendre la récente parution du blu-ray pour que le public français puisse le découvrir en intégralité.

 

 

Cette dernière édition est bien évidemment la référence en matière de qualité d’image et de son, les studios Universal ayant entrepris un formidable travail de restauration sur le film. En outre, on y trouve en bonus le documentaire The Shark is Still Working, réalisé par des fans, qui complète admirablement le making of du film, en revenant sur son histoire et son extraordinaire impact culturel. Il faut également souligner (une fois n’est pas coutume) la qualité du doublage français d’époque, qui est particulièrement savoureux et pittoresque. Une nouvelle VF, bien moins réussie, sera réalisée en 2005 pour satisfaire aux exigences techniques du home-cinéma. Fort heureusement, le blu-ray a pensé aux nostalgiques en proposant le doublage français original (ce qui n’est pas le cas de toutes les éditions DVD, faîtes attention !).

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Le Livre de Référence
 
Pour tout fan qui se respecte, un seul livre s’impose (à condition toutefois de posséder un bon niveau d’anglais), c’est Memories of Martha’s Vineyard. Conçu à partir des souvenirs des habitants de l’île où a été tourné le film, c’est un recueil d’anecdotes passionnantes, qui détaille, scène par scène, l’extraordinaire aventure du tournage. On comprend combien la communauté de Martha’s Vineyard a apporté à Jaws et à sa véracité. De plus, le livre est copieusement illustré de nombreuses photos prises soit par des riverains, soit par des reporters locaux, le tout coordonné par Joe Alves, le directeur artistique du film. Un album indispensable.






 
La Petite Madeleine
 
Vous vous en doutiez, amis lecteurs, le Strapontin était là lors de la sortie française du film, à la toute première séance le 28 janvier 1976. Alors je dois avouer bien humblement que non seulement Jaws a été pour moi un tel choc sur le plan personnel et cinéphilique que j’ai bien vite renouvelé l’expérience. A cette époque, pas de DVD ni de VHS, donc le seul moyen de revoir le film, c’était de retourner en salle. C’est donc ce que j’ai fait… au détriment de mon parcours scolaire. Disons que pendant que mes petits camarades planchaient en cours, j’étais au cinéma : trois séances par jour (à cette époque, il n’y avait pas les vigiles pour vous éjecter à la fin de la séance) pendant un bon bout de temps (jusqu’à épuisement des fonds, en fait !). Cela faisait bien rigoler quand j’en parlais, généralement. Difficile de dire exactement ce qui m'a séduit dans ce film, tout ce que je peux en dire, c'est que j'ai créé avec lui un rapport très particulier. Après toutes ces années et ces visionnages, je connais Jaws par cœur, je serais même capable d'en réciter texto les dialogues, et ça ne m'empêche pas de me laisser embarquer une nouvelle fois dès que le film est diffusé quelque part ! Donc combien de fois ai-je vu Jaws ? Ma foi, difficile, sinon impossible de répondre. Je devais donc au Strapontin cette rétrospective, en souvenir d’un film qui a définitivement transformé ma vie de cinéphile, et auquel je l'espère, j'aurai rendu ici un petit hommage.

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