jeudi 17 octobre 2013

After Earth

Film de M. Night Shyamalan (2013), avec Will Smith, Jaden Smith, Zoë Kravitz, Sophie Okonedo, Lincoln Lewis, etc...
















C’est Nicolas Hulot qui doit faire la gueule ! Décidément, notre bonne vieille Terre n’a pas la côte dans les productions US, surtout quand il s’agit de l’imaginer dans le futur ! Après Tom Cruise tout seul dans Oblivion, c’est au tour de la famille Will Smith de s’aventurer sur notre planète, qui est devenue totalement inhabitable, avec la pollution, tout ça. Ben oui, entre le réchauffement, la couche d’ozone, finalement, ça va carrément devenir invivable dans le futur. Mais bon, vu ce qu’on en fait dans After Earth, l’action aurait tout aussi bien pu se dérouler sur n’importe quelle autre planète.

Donc après un crash dont, coup de bol, ils sont les deux seuls survivants, Will Smith père et Will Smith fils se retrouvent sur la Terre avec un vaisseau en miettes et une jambe cassée. Pas de bol, il faut retrouver une partie du rafiot où doit se trouver une balise de secours. Sauf que, dommage pour papa Smith et sa fracture, ladite partie se trouve à 100 kilomètres de là, bref pas la porte à côté. C’est donc fiston Smith qui va se cogner la rando, et qui croisera au passage quelques bestioles particulièrement méchantes.

Partant de là, After Earth aligne consciencieusement tous les poncifs du genre : trauma infantile, confrontation père/fils, avec en plus des concepts qui fleurent bon la Scientologie (il n’y a que le danger qui soit réel, la peur est un choix, bla, bla, bla …). Côté spectacle, c’est pas non plus le délire. On se paye de la forêt vierge, un volcan en éruption, et deux ou trois bestioles en images de synthèse, dont un alien particulièrement agressif. Plus bien évidemment, les inévitables graphismes bien cool en 3D.

Honnêtement, sur le Strapontin, on n’aurait pas fait grand cas de After Earth s’il n’avait pas été signé par un metteur en scène jadis fort estimable, je veux parler de M. Night Shyamalan. L’auteur de ces belles réussites qu’étaient Le Sixième Sens ou Le Village semble avoir ici abandonné toute ambition au profit d’une réalisation terne et sans personnalité. Bon, on se doute bien qu’en bossant pour Will Smith (qui a quand même écrit et produit la chose), Shyamalan n’aurait pas la possibilité de livrer une œuvre très personnelle, mais à ce point-là !

Dans ce film de yes man, on voudrait nous vendre la prestation du fiston, Jaden Smith, qui est aussi convaincant qu’une assiette de cassoulet. Quant à notre ami Will, on l’a tellement vu déconner à l’écran qu’on a vraiment du mal à acheter son personnage de papa sévère et intraitable. Certes, on se doute bien qu’il ne va pas passer son temps à lâcher des vannes, mais sa prestation constipée est vraiment loin d’être convaincante.





En résumé, After Earth, c’est du niveau d’une série B : distrayant, fonctionnel, sans surprise et pourri de clichés. Quant au reste, zéro pointé pour Shyamalan qui, après son désastreux The Happening, continue en chute libre. Désolant.

lundi 14 octobre 2013

Insaisissables

(Now You See Me)

Film de Louis Leterrier (2013), avec Jesse Eisenberg, Woody Harrelson, Mark Ruffalo, Morgan Freeman, Michael Caine, etc...

























Quand on est un peu beaucoup à court d'idées, comme les scénaristes US actuellement, il y a un truc qui marche bien, c'est le mélange de genres. Prenez un style de film particulier, remixez le avec un autre qui n'a rien à voir, et hop, le tour est joué ! Donc, en l’occurrence, la principale originalité d'Insaisissables, c’est d’aller taper dans un genre peu courant, le « film de magie », et de tambouiller ça avec un bon vieux thriller des familles, avec poursuites, cascades automobiles, et tout le toutim. Un mélange qui a toutes les allures d’une bonne idée, mais qui au final, ne donne guère plus qu’un divertissement sympathique.



Insaisissables part tout de même avec un handicap de poids en la personne de son réalisateur, Louis Leterrier. Louis qui ? Quand je vous aurai dit que le bonhomme a enquillé des chefs d’œuvre aussi maousses que Le Transporteur ou L’Incroyable Hulk, vous situerez un peu mieux le problème. Formé chez Besson, notre ami Leterrier a fait son trou (oui, je sais elle était facile, mais si tentante) grâce aux productions musclées de l’ami Luc dans lesquelles ça défouraille un max. Mais bon, vu qu’au Strapontin, on a l’esprit plutôt ouvert, on s’était dit que Leterrier allait nous la jouer façon Christopher Nolan, avec un thriller classe où magie et faux-semblants nous feraient perdre pied dans une intrigue vertigineuse. Il y avait quand même une sacrée matière, bref largement de quoi innover un tant soit peu. Eh bien non.



En fait, la magie n’existe que de manière artificielle dans Insaisissables. Elle ne semble être là que pour justifier un ou deux petits tours de passe-passe, auxquels le spectateur se laissera inévitablement prendre. Un peu facile quand même, surtout quand le réalisateur n’hésite pas à tricher allègrement avec le public.  On a légèrement l’impression d’être pris pour une bille, du coup ça agace un peu. Incapable de maîtriser correctement cet aspect du film, Leterrier fait diversion avec une intrigue alambiquée, à base de société secrète à la Da Vinci Code. L’occasion, du coup, de torcher quelques séquences d’action fidèles à ce qui se fait actuellement : action illisible, plans archi-courts et très cut, montage au marteau-pilon.




Avec  un casting pareil (dans lequel on retrouve même José Garcia !), Insaisissables aurait pu être beaucoup plus qu’un popcorn movie lambda s’il s‘était donné la peine de chiader un peu plus son scénario et de le pousser dans la bonne direction. Ceci dit, tel quel, il remplit parfaitement son contrat, comme en atteste le succès public qu’il a rencontré.  Ça se laisse voir, c’est agréable, parfois prenant, mais il n’en reste pas bézef une fois la projection terminée.


jeudi 3 octobre 2013

Les Enchaînés

(Notorious)

Film d'Alfred Hitchcock (1946), avec Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains, Louis Calhern, Leopoldine Konstantin, etc...








































Loin du caractère quasi-expérimental de ses films les plus populaires, Notorious représente l’apogée du style Hitchcockien dans ce qu’il a de plus classique : une histoire solide, qui marie romance et espionnage, des personnages attachants,  des dialogues étincelants et quelques grands moments de suspense. Au même titre que plusieurs grands classiques américains, le film d’Hitchcock synthétise l’esprit d’un certain cinéma des années 40, bourré de classe et de sophistication. Mais en même temps, il annonce également des thématiques auxquelles il se réfèrera souvent dans la suite de son œuvre.



  
Au moment où Hitchcock tourne Notorious, il est encore sous la coupe du producteur David O. Selznick, qui l’a fait venir d’Angleterre. Plus  que ses projets suivants, ce sera donc un film de studio, vendu sur le nom de ses stars et de son scénariste, Ben Hecht. Cela n’empêche pas le réalisateur de livrer une œuvre déjà très personnelle, en particulier au niveau de sa mise en images. Notorious contient ainsi de nombreux morceaux de bravoure visuels, des figures de styles typiquement Hitchcockiennes.














Commencée sur un mode romantique, l’intrigue bifurque de manière inattendue. Le réalisateur jette Ingrid Bergman dans les bras de Cary Grant, mais c’est pour mieux les séparer par la suite. Comme dans La Mort aux Trousses, les amants sacrifient leur histoire au nom de la raison d’Etat. Hitchcock brise la romance, la transforme en une sorte de triangle amoureux, dans lequel Bergman et Grant se défient et testent leur attachement l’un à l’autre. Hitchcock donne corps à ses personnages et crée déjà un lien affectif fort avec le public, au travers de leurs réactions.













Dans sa seconde partie, Notorious endosse de manière plus affichée son versant suspense, et c’est vraiment du grand art. Par une utilisation extraordinaire des cadrages et du montage, Hitchcock mène le public où il veut, au gré de morceaux de bravoure discrets mais formidablement efficaces. Une clé, des bouteilles, une tasse deviennent ainsi des instruments qui font naître la tension et l'appréhension avec une apparente simplicité. L'art d'Hitchcock, c'est d'arriver à jouer ainsi avec les gros plans et les réactions de ses personnages pour créer une connivence avec le spectateur et échafauder de merveilleux moments de suspense.











 
On notera que, comme dans de nombreuses œuvres Hitchcockiennes postérieures, le personnage de la mère, effacée mais pourtant d'une grande influence, qui tient fermement les rênes des affaires de son fils. Dans Notorious, elle est moins caricaturale et destructrice que dans les derniers films d'Hitchcock, mais sa présence la rend finalement beaucoup plus menaçante que le "méchant" de l'histoire, Claude Rains. Le réalisateur joue contre les stéréotypes en en faisant un homme gentil et foncièrement aimable. C'est davantage l'organisation nazie pour laquelle il travaille qui crée la menace.











Sommet de classe et de distinction, Notorious est peut-être moins immédiatement évident sur le plan visuel que certains grands classiques Hitchcockiens. Mais à sa manière, il pose les jalons de sa passionnante filmographie. En misant sur un cinéma ouvertement romantique, dans lequel il injecte par petites touches son savoir-faire, il construit petit à petit son œuvre future. Ce côté irrésistiblement glamour en a fait l'un de ses films les plus populaires, tout autant que sa gestion économe et impeccable du suspense. Classique certifié !






Le Trombinoscope
Outre Cary Grant et Ingrid Bergman, stars bankables de l'époque, on retrouve peu de noms connus au générique de Notorious. Claude Rains est surtout connu pour des classiques comme Casablanca ou pour avoir joué sans être vu dans la première version de L'Homme Invisible, et Louis Calhern était un acteur de second rôle assez populaire dans les années 40-50.


 
Cary Grant
Ingrid Bergman
Claude Rains
Leopoldine Konstantin
Ivan Triesault
Louis Calhern
Moroni Olsen


 
Arrêts sur Images
(Comme d'habitude, section à ne lire qu'après avoir vu le film)



Une mise en scène subjective
Bien souvent, pour que le spectateur s'identifie davantage aux personnages, Hitchcock nous fait partager leur point de vue. C'est le cas lors de la séquence en voiture au début du film. Nous partageons le point de vue de Cary Grant sur la route et l'avant de la voiture, ce qui renforce la notion de danger. C'est une technique que le réalisateur réutilisera au début de La Mort aux Trousses.




Hitchcock ose même un effet assez culotté en nous faisant partager le point de vue d'Ingrid Bergman, qui a du mal à voir la route à cause de ses cheveux.





Le réalisateur anticipe la réaction du spectateur avec un plan des mains de Cary Grant, prêt à reprendre le volant pour éviter que la voiture ne quitte la route. Il nous fait également partager son inquiétude avec des gros plans sur son visage.






Jouer avec le spectateur
Le public sait bien que Cary Grant est le héros du film, pourtant Hitchcock prend un malin plaisir à présenter son personnage de manière un peu inhabituelle, en le montrant de dos de manière très prolongée. Cette manière de faire désarçonne un peu le spectateur, qui en cherche la signification sans arriver à la trouver. C'est un moyen d'introduire dans le film la notion de secret, liée au cadre de l'espionnage.






A la première personne
Pour identifier davantage le spectateur aux personnages, Hitchcock n'hésite pas à nous faire partager leur point de vue, même lorsque ce dernier peut être inhabituel. Pour la première cuite d'Alicia, la caméra bascule comme si nous etions ivres.






De manière identique, les effets du poison à la fin du film sont montrés à l'aide de déformations d'image. On anticipe ici un point de vue subjectif dont l'idée sera reprise dans Vertigo.


 



Du plus grand au plus petit
C'est l'une des techniques les plus célèbres du maître du Suspense: passer à l'aide de la caméra d'un point de vue global à un simple détail autour duquel va s'articuler toute l'intrigue. Le travelling de Notorious est sans doute une des séquences qui symbolisent le mieux cette technique. On passe ainsi d'un plan très large de la salle de bal à la main d'Ingrid Bergman tenant la fameuse clé.






Les objets comme acteurs
Toute l'intrigue de Notorious tourne autour d'objets symboliques, qui se répondent les uns aux autres. Hitchcock fait naître la notion de secret en nous montrant une porte fermée. Il créera ensuite le suspense avec la clé qui permettra de l'ouvrir. Le réalisateur accentue son importance avec le travelling dont nous venons de parler, puis la séquence où Alicia la dérobe à son mari.


 
 


C'est un moment remarquablement construit, pendant lequel Hitchcock joue jusqu'au bout avec le spectateur, sur la présence de la clé dans une des mains de l'héroïne. Il le déstabilise en plaçant Alicia dans une situation imprévue. C'est un procédé assez nouveau pour l'époque, où Hitchcock prend une longueur d'avance sur le public en sabrant toutes les possibilités dramatiques qu'il a pu envisager.


 



Lorsque le réalisateur envoie ses personnages dans la fameuse cave, toute la séquence est construite sur l'utilisation des bouteilles. Le suspense est rythmé par le nombre de celles qui restent au bar, car le public sait bien que leur absence obligera les serveurs à surprendre les héros.






Dans la cave, la bouteille devient également un objet capital, puisqu'elle est censée contenir l'élément essentiel  de l'intrigue, ce que Hitchcock appellait le "Mac Guffin", c'est à dire quelque chose de totalement artificiel, qui  ne sera pas forcément expliqué au public mais dont celui-ci comprendra qu'il possède énormément d'importance.






La bombe atomique étant particulièrement d'actualité à l'époque, le Mac Guffin, ce sera donc la matière contenue dans les bouteilles, à savoir de l'uranium.


 



Le réalisateur nous permet d'anticiper l'empoisonnement d'Alicia à l'aide de gros plans de la tasse qu'elle utilise. La composition de l'image, volontairement excessive, est faite pour attirer l’œil, d'abord de manière discrète, puis plus insistante, avant que l'héroïne ne découvre la vérité.





Le caméo d'Hitchcock
Pour un film dont certaines séquences essentielles sont centrées sur l'idée de boisson, l'apparition du réalisateur est particulièrement savoureuse puisqu'on le voit prendre un verre ! De manière assez inhabituelle, ce petit clin d’œil intervient relativement tard. Par la suite, il deviendra tellement populaire qu'Hitchcock le placera en début de film, pour ne pas détourner l'attention du public.

 

Le Final
Notorious est très original en ce sens qu'il ne se termine pas sur une action d'éclat mais presque sur la pointe des pieds. L'idée de la descente d'escaliers porteuse de suspense sera réutilisée bien plus tard par Hitchcock dans son remake de L'Homme qui en Savait Trop.


 


Outre le concept très romantique du héros qui vient secourir sa belle, la fin est également très inhabituelle puisque le public en viendrait presque à plaindre le "méchant". Là encore, l'idée est amenée avec beaucoup de subtilité, puisque nous savons parfaitement qu'il est condamné, victime d'un système qu'il pensait maitriser. Le dernier plan nous le montre allant vers son destin et une mort qu'on sait inéluctable.