jeudi 31 juillet 2014

Les Dix Commandements

(The Ten Commandments)

Film de Cecil B. DeMille (1956), avec Charlton Heston, Yul Brynner, Anne Baxter, Edward G. Robinson, Yvonne de Carlo, etc…

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Il y a quelque chose dans Les Dix Commandements qui parle directement à une sensibilité d’enfant. C'est un grand spectacle biblique qui n'a pas peur de ses ambitions, fait dans l'énorme et le démesuré, et qui resta pendant bien longtemps comme le mètre-étalon dans son domaine. Budget record (on pourrait presque le qualifier de pharaonique!), figuration imposante, effets spéciaux révolutionnaires (pour l'époque) ... Aujourd'hui que reste-t'il de tout celà ? Une énorme pâtisserie, un monument de kitsch qui fait plus d'une fois sourire, mais qui représente indéniablement une date dans l'histoire du cinéma.

 

 

vlcsnap-2014-07-14-23h44m43s32Le nom de Cecil B. de Mille ne parlera sans doute pas aux nouvelles générations, mais au même titre que Hitchcock en matière de suspense, l'homme a tout de même laissé une trace dans l'histoire des gros budgets. Un brin mégalo (il apparaît d'ailleurs dans une introduction filmée), DeMille c'est une sorte de papa gâteau qui gèrerait des projets colossaux et grandioses. Catho bon teint, le père DeMille ne révolutionnera pas le 7ème art grace au style de sa mise en scène ou les performances de ses acteurs. Non, sa spécialité à lui, c'est le démesuré, le titanesque. Et il faut reconnaitre, avec le recul, qu'il fallait tout de même un sacré sens du spectacle pour arriver au résultat qu'il obtient ici.




vlcsnap-2014-07-14-18h49m02s9C'est moins grâce aux effets spéciaux (souvent ratés à l’exception de la grosse scène de la Mer Rouge) qu'à une impressionnante figuration que le film impressionne encore aujourd'hui. A une époque où les infographistes multiplient d'un clic de souris les foules numériques comme des petits pains, on reste admiratif devant le travail incroyable qu'a pu demander la coordination de telles scènes, pleines à craquer de figurants ou d'animaux divers et variés.  Ça fourmille de détails incroyables, tellement que le film doit obligatoirement être vu sur grand écran pour être pleinement apprécié (les cinéphiles de la génération du Strapontin y ont forcément eu droit).

 

 

 

 

vlcsnap-2014-07-14-23h41m24s153On ne peut regarder Les Dix Commandements sans un brin de nostalgie pour ce cinéma de carton-pâte qui a fait les beaux jours d'Hollywood. Les ressorts dramatiques sont archi-éprouvés et suffisamment universels pour parler à chacun, et même s'il s'inspire des textes bibliques, l'histoire de Moïse est également fidèle à un certain esprit américain dans lequel le héros tombe au plus bas et triomphe de l'adversité. A sa manière, le film est une grande saga et si sa durée excessive (près de 4 heures) peut faire peur, DeMille arrive tout de même à maintenir l'intérêt du spectateur, même si la dernière partie se résume principalement à un bras de fer un peu longuet entre Moïse et Pharaon.

 

 

 

vlcsnap-2014-07-15-23h59m07s197Bien entendu, il ne faut pas attendre des merveilles d'un casting pourtant top moumoute. Charlton Heston apporte toute sa conviction au rôle de Moïse, et parmi tous les autres, on remarquera plus volontiers Edward G. Robinson dans le rôle de l'infâme Dathan et un Vincent Price plutôt effacé dans le rôle d'un contremaitre égyptien. Les acteurs sont davantage des éléments, presque des détails, au service d'une gigantesque tapisserie, mise en images avec application, mais aussi une indéniable ferveur qui dérape plus d'une fois dans le cucul et le saint-sulpicien. Le film affiche bien son âge dans ce mélange de mauvais gout hollywoodien et de carton-pâte.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-07-14-23h55m21s23Mais DeMille avait tout de même, à l'époque, tout compris de la notion de spectacle. A savoir qu'il fallait donner au public du jamais-vu, de l'inédit. Du coup, avec les ressources techniques limitées et le savoir-faire de l'époque, il réussit tout de même à créer un spectacle grandiose, dont le clou, la séquence de la Mer Rouge, étonne encore plus d'un demi-siècle après sa réalisation. Les effets spéciaux parfois rudimentaires ont ce mélange d'ingéniosité et de merveilleux, mais ils sont surtout soutenus par une mise en place soigneuse qui pousse au maximum leur potentiel dramatique. DeMille sait comment les mettre en valeur, à grand coups de dialogues ampoulés ou de répliques péremptoires et menaçantes qui font partie de ce plaisir jubilatoire et un peu gamin qu'on éprouve à la vision du film.

 

 

 

Grosse pièce montée, Les Dix Commandements a les défauts de ses qualités: trop riche, trop sucré et trop bourratif, il impressionne plus d'une fois et fait certainement saliver, mais on cale un peu lorsqu'on arrive au bout. Unique mais définitivement pas pour les estomacs fragiles.

 

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Les Effets Spéciaux

Clairement, Cecil B. DeMille a mis les petits plats dans les grands. Par rapport aux films réalisés à la même époque, Les Dix Commandements comporte une quantité plus que significative d’effets spéciaux en tout genre, ce qui explique sans doute en partie le budget colossal du film. DeMille travaillait d’ordinaire avec Gordon Jennings, responsable de ce département à la Paramount, mais ce dernier décéda durant la mise en chantier du film. C’est donc John P. Fulton, l’un des artistes les plus réputés de sa profession, qui prendra en charge les effets. Pour mémoire, Fulton a été rendu célèbre par son travail innovant sur la version 1933 de L’Homme Invisible. Il recevra un Oscar pour son travail sur le film de DeMille.


 

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Le film mélange habilement des prises de vues captées sur les lieux-mêmes de l’action, qui ont été ensuite utilisés comme arrière-plans pour l’incrustation des acteurs.


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C’est malheureusement dans ce domaine que le film pêche, car tout ce qui est incrustations reste tout de même d’une qualité plus que discutable. On a (sur)utilisé la technique de l’écran bleu, mais suite à des problèmes d’alignement optique qui n’étaient pas bien maitrisés à l’époque (et aussi d’une post-production bouclée à la va-vite), le résultat est souvent très médiocre. Les découpes autour des acteurs, ou même autour des décors, sont vraiment extrêmement voyantes. Cela participe un peu à l’effet carton-pâte du film, mais le résultat fait tout de même un peu bâclé.

 

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Par contre, le film utilise une quantité impressionnante (plus d’une centaine)  de matte paintings, des fonds peints sur verre, dont la plus grosse partie seront réalisés par Jan Domela, qui était l’artiste “maison” de la Paramount. Certaines de ses peintures, comme celles du mont Sinaï, sont particulièrement impressionnantes par l’ambiance très particulière qu’elles dégagent. 

 

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Les Dix Commandements utilise également les effets d’animation, un peu comme avait pu le faire une production MGM de la même époque, Planète Interdite. Le film en fait cependant un usage beaucoup plus intensif, et là encore, la technique montre ses limites. Les colonnes de feu animées sont effectivement plaisantes à l’œil, mail il leur manque un certain relief, en dépit du fait que DeMille use et abuse des effets de perspective (notamment lors de la scène où sont gravés les dix commandements).

 

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L’animation est également utilisée pour des effets précurseurs du morphing, comme celui où le bâton de pèlerin de Moïse se transforme en cobra. Le serpent est d’abord animé, puis superposé à une prise de vues live lorsque le mouvement de l’animal et celui l’animation correspondent exactement.



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Le gros morceau du film, c’est bien évidemment la séquence de la Mer Rouge, dont le secret a été jalousement gardé pendant des années. La séquence a été en fait réalisée dans un bassin, construit avec une tranchée centrale, qui était inondée par le contenu de deux énormes réservoirs. La séquence était alors projetée à l’envers pour montrer les flots s’ouvrir. De nombreux tests furent effectués, mais l’eau n’ayant pas la densité requise, son écoulement n’était pas assez réaliste. Fulton utilisa donc de la gélatine diluée dans l’eau afin de lui donner l’épaisseur nécessaire. Cette séquence est restée pendant très longtemps l’effet spécial le plus cher jamais réalisé.



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Les murs d’eau qui encadrent les acteurs étaient en fait des chutes d’eau, dont l’image a été renversée perpendiculairement pour donner cet effet d’écoulement vers le haut.



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En vidéo

Les Dix Commandements est un titre-culte pour la Paramount. Le film est même régulièrement rediffusé à Paques à la télé américaine. C’est dire si son édition vidéo a été soignée. En DVD, il y a d’abord eu une édition parue en 2001 sans le moindre bonus, car à l’époque Paramount ne croyait pas vraiment au succès du support et tâtait un peu le terrain et le marché. Le film était réparti sur deux galettes, avec 3 bandes-annonce en supplément. Trois ans plus tard, une édition collector bien plus fournie est disponible. Parmi les extras, on trouve un commentaire audio, un reportage sur la première du film, et en pièce de résistance, un documentaire en 6 parties qui couvre toute la production du film. C’est fait sur un ton très promotionnel, mais il y a quelques anecdotes sympathiques. Par contre, la qualité d’image n’est pas vraiment terrible, et accentue les défauts des effets spéciaux. Le film sera restauré pour sa sortie en blu-ray, avec un piqué et une définition qui rendent justice au format VistaVision dans lequel le film a été tourné. Malheureusement, on perd en route tous les bonus de la précédente édition. La politique des éditeurs quant à la reprise de suppléments existants reste décidément incompréhensible !


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Pour les collectionneurs, il existe une édition de 6 disques parue dans un luxueux coffret, avec des reproductions des tables de la Loi (si!). C’est un import américain, mais compatible avec les platines françaises.

mardi 29 juillet 2014

Noé

(Noah)

Film de Darren Aronofsky (2014), avec Russell Crowe, Jennifer Connelly, Emily Watson, Ray Winstone, Anthony Hopkins, etc…

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Darren Aronofsky est l'un des metteurs en scène les plus prometteurs de ces dernières années. Après avoir ouvert les hostilités avec un Pi surprenant, mais surtout un Requiem For a Dream déjà culte (on vous en parle d’ailleurs ici et ), le réalisateur a ensuite suivi un parcours passionnant, dans lequel la prise de risque et l'audace esthétique sont toujours demeurées des éléments fondamentaux. Depuis l'approche minimaliste de The Wrestler jusqu'aux délires paranoïaques de Black Swan, en passant par la mise en images hallucinée de The Fountain, il a su prouver non seulement l'éclectisme de son talent, mais également une approche très visuelle de la mise en scène.

 

vlcsnap-2014-07-29-21h50m44s73Noé est un projet difficile qu'Aronofsky essayait de monter depuis des années, et qu'il a même décliné sous forme de BD avec l'aide du dessinateur Niko Henrichon. On comprend un peu la frilosité des producteurs, car ce Noé-là n'a plus grand'chose à voir avec ce que la Bible en raconte. Aronofsky en fait un héros à la Mad Max. Oubliez donc d'emblée les tableaux monumentaux à la DeMille : le réalisateur interprète et réinvente la Bible à sa manière et refait le monde dans une approche qui tient à la fois de Ridley Scott pour le réalisme et de Peter Jackson pour le spectaculaire.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-07-29-21h39m20s122Pour être tout à fait honnête, ça vous cueille à froid sur toute l'intro, qui annonce la couleur et met en place son univers sans vraiment se soucier du fait que le spectateur suive ou pas. C'est un monde à mi-chemin entre le post-apocalyptique et la fantasy, où on ne doit pas s'étonner de voir débarquer des géants de pierre qui semblent échappés d'un roman de Tolkien. Mais une fois qu'on a pris ses marques, Noé devient un spectacle foisonnant, dans lequel les personnages créent tout autant la surprise que l'univers visuel.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-07-29-21h45m39s101La première originalité, c'est d'avoir fait de Noé un héros parfaitement haïssable, un homme dépassé par le destin que Dieu envisage pour lui, et qui ira jusqu'à se mettre à dos toute sa famille dans l'accomplissement de la prophétie qui lui a été dévoilée. Russell Crowe, qui ne m'avait jamais vraiment convaincu jusqu'à présent, est remarquable, dans une prestation nuancée, où l'on sent malgré tout que le personnage peut très bien partir en vrille à la moindre occasion.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-07-29-21h42m35s39Bien entendu, le film ne sacrifie pas son côté visuel, loin de là. Les scènes attendues, comme l'arrivée des animaux ou le déluge, bénéficient de l'expertise des techniciens d'ILM et marient le grandiose et le spectaculaire. Mais c'est ailleurs que le film surprend, dans des sentiments humains jusqu’au-boutistes, qui étonnent plus d'une fois par leur violence, et un refus des conventions scénaristiques. Un gros budget oui, mais qui ne tombe pas dans les travers habituels du genre.

 

 

 

 

Au contraire, Noé reste jusqu'au bout fidèle à une vision très inhabituelle de son héros, bien loin des standards manichéens auxquels Hollywood nous a habitués. Il en résulte, du coup, un film qui manque un peu de chaleur humaine et un héros auquel on aura du mal à s'identifier. Mais cela n'enlève rien aux grandes qualités esthétiques et visuelles de la mise en scène, qui confirment définitivement Darren Aronofsky comme un auteur à suivre.

 

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mercredi 2 juillet 2014

Mea Culpa

Film de Fred Cavayé (2013), avec Vincent Lindon, Gilles Lellouche, Nadine Labaki, Max Baissette de Malglaive, Gilles Cohen, etc…

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Au Strapontin, on était à fond derrière Fred Cavayé, surtout après son superbe A Bout Portant, qui réinventait le film d'action à la française en y injectant une pêche et une énergie digne des meilleures productions américaines. Un film de genre, donc, mais d'une efficacité à toute épreuve, qui venait confirmer un premier film plein de promesses, Pour Elle (d'ailleurs chroniqué par ici). C'est donc dire si on attendait son nouveau film avec une impatience non dissimulée. Un slogan laconique ("Simon, il y a un problème avec ton fils") et du coup, l'imagination travaille. Un peu trop, même, car à l'arrivée, ce Mea Culpa, s'il se situe largement au-dessus des actioners crétins à la Besson, est tout de même une petite déception.

 

vlcsnap-2014-07-02-22h27m36s132La faute à un scénario un peu bancal, qui  accumule les clichés propres au genre. Le gamin témoin gênant, c'est du vu et du revu, et on regrette un peu que Cavayé n'ait vu dans ce sujet que prétexte à poursuites et fusillades un peu vaines. Sur le plan de la crédibilité, c'est un peu limite de voir tous ces méchants slaves qui cavalent et mitraillent à tout va, alors qu'il semblerait plus logique de jouer la discrétion, mais bon, passons... Lindon et Lellouche font ce qu'on leur demande, c'est-à-dire qu'ils se débrouillent plutôt bien avec des personnages pas vraiment fouillés ni très originaux.

 

 

vlcsnap-2014-07-02-22h31m22s113Fred Cavayé, qu'on attendait au coin du bois, reste fidèle au style carré mis en place par ses deux premiers films. La réalisation, si elle ne brille pas par son originalité, possède au moins le mérite de l'efficacité. Le passé des personnages est évoqué par petites touches et avec une certaine subtilité, même s'il est lui aussi fidèle à des modèles déjà souvent vus ailleurs. Le réalisateur signe quant à lui des séquences d'action touffues mais constamment lisibles, qui justifient le petit plaisir qu'on prend à la vision de ce Mea Culpa.

 

 

Mais il n'en reste pas moins que le scénario est le gros point faible d'un film qui, sinon , aurait tout pour lui. Sans véritable surprises dans sa progression, ni un rythme aussi fort que celui d'A Bout Portant, ce nouveau film de Fred Cavayé montre les limites de son auteur. A charge pour lui de corriger le tir s'il ne veut pas se cantonner dans le polar de série, ce qui serait vraiment dommage.

 

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