dimanche 28 septembre 2014

The Hours

Film de Stephen Daldry (2001), avec Nicole Kidman, Meryl Streep, Julianne Moore, Ed Harris, Toni Collette, etc…

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Peu de films arrivent aussi bien à transcrire leurs origines littéraires que The Hours. Même sans avoir lu le roman de Michael Cunningham, on est fasciné par cette triple histoire qui brasse parallèlement le destin de trois femmes. Trois histoires dont le lien est pourtant ténu, mais qui vont s'enrichir et se mélanger au long d'un parcours à la fois émouvant et plein de sensibilité. Si l'on a parfois reproché au cinéma US de faire dans la lourdeur et le pré-mâché, The Hours est la preuve qu'il peut exister un cinéma différent et plus intellectuellement stimulant.

 

vlcsnap-2014-09-28-22h48m14s240Le film s'attache donc à décrire une journée dans la vie de trois femmes. Tout d'abord la romancière Virginia Woolf (Nicole Kidman) durant l'écriture de son dernier livre, Mrs. Dalloway, et à la veille de son suicide. Ensuite Laura qui, des années après, lit ce même roman. Enfin, encore plus tard dans le temps, Clarissa, dont l'itinéraire s'inspire de l'héroïne créée par l'écrivain. D'entrée de jeu, c'est  une approche très complexe et subtile du matériau littéraire, qui ne cherche pas à éblouir par une virtuosité inutile mais bien au contraire à se rapprocher le plus possible de ce qui l'a inspiré.

 

 

 

vlcsnap-2014-09-28-22h40m28s179Il y a dans The Hours ces méditations sur le temps qui passe, sur la fragilité du bonheur et la futilité de la vie. Autant de notions a priori très difficiles à restituer cinématographiquement, et qui prennent pourtant vie au détour de petites touches pleines de délicatesse et de subtilité. À l'instar de la performance magique d'une Nicole Kidman méconnaissable, le film ne cherche jamais à éblouir inutilement ni à impressionner mais plutôt à évoquer, ou mieux, à faire vivre l'univers mental d'une artiste. Stephen Daldry, dont on applaudira quelques années plus tard l’excellent The Reader, fait preuve d’une incroyable justesse, tant dans la mise en scène que dans la direction d’acteurs.

 

 

L’histoire, centrée autour de la dépression et du suicide, pourra paraitre aride à certains. La construction du film exige également beaucoup du spectateur, en ne livrant tous ses secrets que petit à petit. C’est une approche très ambitieuse que de vouloir décrire à la fois la naissance d’une œuvre, mais aussi son influence sur le lecteur. En offrant trois niveaux de lecture et en les mélangeant de manière subtile, The Hours relève le pari haut la main et passionne de bout en bout. Porté par le style fragile et douloureux de Virginia Woolf, c’est un petit chef d’œuvre de sensibilité qui ne vous laissera pas indifférent. Superbe.

 

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jeudi 25 septembre 2014

Jappeloup

Film de Christian Duguay (2012), avec Guillaume Canet, Marina Hands, Daniel Auteuil, Lou de Laâge, Tchéky Karyo, etc…

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Franchement, et je pense que ça n'étonnera pas grand monde, au Strapontin on n'est pas des fans de sports hippiques, et on a donc forcément (et régulièrement) zappé les épreuves de cette discipline lors des derniers Jeux Olympiques. Par conséquent, la perspective de s'infuser Guillaume Canet en champion, ça nous laissait un peu perplexe, forcément. Ah, les idées préconçues, quand ça nous tient ! Pourtant, on aurait eu bien tort car en toute honnêteté, ce Jappeloup est un spectacle plutôt réussi sur un parcours inattendu.

 

vlcsnap-2014-09-25-20h31m44s8Ça commence un peu comme des centaines de films de compétition, avec l'inévitable conflit du héros entre sa passion et une bonne situation. Puis, petit à petit, c'est l'ascension vers le triomphe et le succès. D'emblée, Jappeloup ne cherche pas à surprendre. Bien au contraire, bien que film français, il est on ne peut plus américain dans sa manière de dépeindre cette success story. Il y a donc tous les passages obligés, mais maniés quand même avec suffisamment de dextérité pour ne pas verser dans le cliché.

 

 

vlcsnap-2014-09-25-20h30m51s2Là où le film se distingue, c'est qu'il n'épargne pas son personnage principal, Au travers de ses hésitations et de ses choix pas toujours très heureux, Jappeloup ne se dispense pas de montrer l'envers du décor, le pourquoi de ces décisions, et il le fait avec une finesse peu commune dans le genre. Que ce soit dans les rapports du héros avec sa famille ou sa femme, le film fait preuve d'une grande justesse, et Guillaume Canet, vedette du projet (il l'a écrit et produit), ne cherche jamais à se donner le beau rôle, bien au contraire. A signaler également la belle prestation de Daniel Auteuil et celle de la jeune Lou de Laâge. 

 

Très américain dans sa mise en forme et son rythme, Jappeloup est bien français dans son esprit et son attachement aux personnages. Il en résulte un film qui tranche sur la production française par son efficacité sans pour autant verser dans la facilité, et qui a le mérite de raconter avec brio et intelligence une belle histoire. Élégant. 

 

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jeudi 18 septembre 2014

Enemy

Film de Denis Villeneuve (2013), avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon, Isabella Rosselini, Stephen R. Hart, etc…

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Denis Villeneuve avait créée la surprise l'année dernière avec un thriller inattendu, Prisoners, dont le scénario malin et tortueux déjouait les attentes du spectateur.  A peu de choses près, il remet aujourd'hui le couvert avec cet Enemy, dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il va en laisser plus d'un perplexe. Cette histoire de double énigmatique est en effet formidablement déconcertante et inattendue.

 

vlcsnap-2014-09-18-22h52m49s95Donc vous avez Adam, un gentil professeur de philo (c'est Jake Gyllenhaal), qui se rend compte un jour qu'il possède un sosie parfait, Anthony, un acteur de seconde zone. Bien évidemment, le prof va mener son enquête et chercher à entrer en contact avec son double. C'est là bien évidemment que les choses se corsent, vous vous en doutez, mais certainement pas comme vous pourriez vous y attendre. La surprise semble être le maître-mot d’une intrigue qui, si elle n’est pas à proprement parler difficile à suivre, se révèle très complexe dans son décryptage.

 

 

vlcsnap-2014-09-18-22h48m29s45Enemy n'est pas un film facile à appréhender, loin de là. Je dirais même qu'il est partout sauf là où on l'attend. Baigné de teintes ocres, le film est une sorte de cauchemar éveillé dont on essaie peu à peu de déchiffrer le sens. Car si le déroulé de l’histoire peut paraitre clair, la symbolique qui est attachée nous emmène très loin. Les dernières images rebattent complètement les cartes et transforment le film en une expérience totalement différente. Partant de là, chacun sera à même d’y apporter l’interprétation qu’il souhaite.

 

 

vlcsnap-2014-09-18-22h51m34s124Ne serait-ce que par la présence de Jake Gyllenhaal, on pense à Donnie Darko, cette bizarrerie qui maniait des notions d’espace-temps propres à égarer tout spectateur normalement constitué. On ressent un peu le même vertige devant Enemy. On pense aussi à David Cronenberg et David Lynch, pour cette ambiance de cauchemar feutré, dans lequel les apparences ne peuvent être que trompeuses et où le moindre petit détail peut tout faire dérailler.

 

 

Bien évidemment, c’est à chacun d’apporter ses propres clés pour décrypter Enemy. Avec une conclusion aussi intrigante, les internautes y sont allègrement allés de leur interprétation, dont certaines sont d’ailleurs assez judicieuses. Selon son humeur, on sera donc fasciné ou prodigieusement énervé par un film qui défie l’analyse. Culotté et unique, ce nouveau film de Denis Villeneuve ne laissera personne indifférent et désigne clairement son réalisateur comme un auteur à suivre.

 

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Décryptage

Bon, sur le Strapontin, comme on est sympa tout plein, on ne va quand même pas vous laisser en carafe. Voici donc quelques liens qui apportent, chacun à leur manière, leurs clés pour décrypter le film :

http://cinerama7art.com/2014/05/30/enemy-explication-et-decryptage/
http://blalilulelog.com/2014/05/19/enemy-analyse/

Il va sans dire qu’ils révèlent des éléments clés de l’intrigue, et qu’il vaut donc mieux les consulter après avoir vu le film, faute de se pourrir le visionnage et de gâcher le plaisir de la découverte. 

Enfin, pour les anglophones, une vidéo fort intéressante qui est un complément indispensable au film :

mardi 9 septembre 2014

Under The Skin

Film de Jonathan Glazer (2013), avec Scarlett Johansson, Paul Brannigan, Adam Pearson, Krystof Hadek, Joe Szula, etc…

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Un film de SF avec Scarlett Johansson, déjà, on est forcément client. Ouais, enfin SF, en quelque sorte, parce qu’en fait, hormis le postulat de départ et la conclusion, il n’y a pas vraiment d’éléments fantastiques dans le film… Donc, miss Scarlett joue une alien prédatrice qui chasse les mecs pour en faire ... quoi au juste ? On ne saura jamais vraiment, tant la principale caractéristique de ce Under The Skin, c'est qu'il laisse bon nombre de détails dans l'ombre, et le spectateur sur le bas-côté, par la même occasion.

 

vlcsnap-2014-08-19-22h01m35s198Under The Skin, c'est de la SF arty, le genre de film volontairement incompréhensible et étrange juste comme ça, pour le plaisir de faire différent et d'égarer le public. Ça ne serait pas forcément un défaut si on obéissait à un semblant de rythme ou de progression dramatique. Mais non. En fait, pendant une bonne moitié du métrage, vous vous cognez Johansson au volant de son véhicule. Elle est en chasse et elle prend des mecs en stop. Puis elle les emmène dans son petit chez elle pour les noyer dans une sorte de gloubi-boulga. Voilà. Ça, ça couvre un bon tiers du film, et toujours pas la queue d'une explication. Démerde toi avec. 

 

 

 

vlcsnap-2014-08-19-22h25m48s0A la limite, le film fonctionne mieux dans sa seconde partie, lorsque notre Scarlett alien apprend les sentiments humains et tente de s'adapter à son nouvel environnement. Il y a une ébauche d'histoire d'amour, mais dépouillée de tout artifice inutile. C'est simple et presque à la limite du documentaire, là encore assez surprenant dans un film de genre, donc on admire le culot de la démarche.

 

 

 


 

Mais malgré une esthétique parfois très intéressante, Under The Skin rate le coche. La faute à un étirement artificiel de l'action qui fait que la moindre banalité dure des plombes à l'écran. Dommage car l'approche jusqu'au-boutiste n'est pas loin de faire penser au David Lynch d'Eraserhead. C'est juste qu'on sent que la matière était peut-être un peu light pour tenir la distance sur un long-métrage.

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jeudi 4 septembre 2014

Le Cercle des Poètes Disparus

(Dead Poets Society)

Film de Peter Weir (1990), avec Robin Williams, Robert Sean Loenard, Ethan Hawke, Kurtwood Smith, Norman Lloyd, etc…

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Difficile d'évoquer la disparition de Robin Williams sans se remémorer sa prestation dans le magnifique film de Peter Weir. Le personnage de guide spirituel qu'était John Keating, la façon dont il a changé la vie de ces ados, quelque part, ça se rattache aussi à ce que nous avons pu éprouver par rapport aux différentes prestations de cet acteur qui a su négocier son passage de la grosse comédie pas très finaude vers des films plus humains, dont Dead Poets Society est l'un des plus beaux représentants.



vlcsnap-2014-08-20-22h53m23s190Le film reprend des schémas connus : le professeur qui s'avère être une source d'inspiration pour ses élèves. L'habileté du scénario, c'est qu'il met cette démarche en parallèle avec un cadre extrêmement rigoureux, celui d'une grande école américaine. L'époque ne sera pas non plus datée avec précision, bien qu’elle évoque beaucoup les années 50. Cela confère à l'histoire une dimension très universelle, et en fait presque une parabole sur la soumission à un système, et les ressources dont peut disposer tout un chacun pour y résister.

 

 

 



vlcsnap-2014-08-20-22h49m19s60Le personnage de John Keating va donc débarquer dans le monde bien ordonné et strict de ces adolescents pour une merveilleuse leçon de vie. C'est la poésie qui va servir de tremplin à cet apprentissage. La poésie qui devient, par extension, un reflet du monde tel que l'a ressenti et dépeint l'artiste. C'est cette vision différente du monde que Keating va apprendre à ses élèves, le simple geste de monter sur leur pupitre devenant du même coup le symbole de cette démarche et de cette nouvelle perspective sur le monde.

 

 

 



vlcsnap-2014-08-20-22h48m09s124Il y a, à la base, un scénario très subtil, qui nous intègre progressivement dans cette démarche de recherche de la  différence et de l'originalité. Les "leçons" dispensées par Keating ne sont pas toujours d'inspiration très égale. Celle sur le terrain de foot parait même franchement inutile. De même, les ados sont peut-être un petit peu trop dociles, mais en même temps, il ne faut pas oublier qu'il s'agît là de jeunes évoluant dans un environnement très strict, même au point d'en devenir parfois un petit peu trop caricatural.

 

 

 

 



vlcsnap-2014-08-27-22h27m37s224C'est le personnage de Todd qui va cristalliser toute cette démarche. Timide et renfermé, il va apprendre petit à petit à trouver sa place et à se lâcher, notamment lors d'une fabuleuse séquence lors de laquelle Keating le fait passer au tableau. L'adolescent, d'abord replié sur lui-même, va au fur et à mesure se laisser aller, au point de laisser sortir des sentiments qu'il gardait jusqu'alors enfouis. Aussi bien dans le jeu remarquable du jeune (mais déjà talentueux) Ethan Hawke que dans la façon dont Robin Williams lui donne la réplique, parfois d'un regard, c'est vraiment du grand art.

 

 

 



vlcsnap-2014-08-20-22h51m55s67Williams est ici totalement en rupture avec les personnages de gentils rigolos dont il s'était fait une spécialité jusqu'à présent. Il se dégage de sa performance une profonde humanité, à laquelle quelques petites touches d'humour viennent apporter une distance bienvenue. Le seul bémol, c'est peut-être ce besoin de l'acteur de partir en roue libre à certains moments, comme celui où il se livre à un festival d’imitations. C'est un peu la scène de trop, un peu comme si le réalisateur Peter Weir avait permis à l'acteur de se lâcher et qu'il fallait à tout prix montrer qu'il était aussi un fabuleux humoriste ou un imitateur hors-pair.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-08-27-22h52m08s92Beaucoup ont critiqué la manière dont le film bifurque vers le drame dans sa dernière partie. Il fallait pourtant un moment fort pour réaffirmer la toute puissance de l'establishment, et en l'occurrence la direction du collège. Les ressorts sont éprouvés et connus, mais ils fonctionnent, en particulier grâce à la performance toute en finesse de Robert Sean Leonard dans le rôle de Neil. Au travers de la destitution de Keating, c'est toute une part de différence, une pensée à contre-courant qu'on musèle et qu'on assassine. C’est aussi une prise de conscience douloureuse pour Keating lui-même, qui voit son enseignement lui échapper. Ce désir de liberté d’esprit qu’il a suscité chez ses élèves est irrémédiablement tué dans l’œuf par un environnement familial et scolaire trop strict.
 
 
 
 
 


vlcsnap-2014-08-20-22h46m32s142L'épilogue montre pourtant qu'il restera quelque chose de cet enseignement dans le cœur et dans l'esprit de ces élèves. L'espace d'un instant, ils tiennent tête à l'autorité pour rendre un dernier hommage à leur mentor. C'est une scène formidable, aussi bien dans la simplicité de son message que dans la beauté symbolique de leur geste de défiance. Elle cristallise toute la peine et la frustration que nous-mêmes spectateurs avons accumulé pendant ces dernières minutes, sous la forme d'un grand moment d'émotion.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Peter Weir, au travers de réussites majeures et aussi diverses que Witness ou The Truman Show, est un cinéaste qui n'oublie jamais l'humain, et qui sait laisser parler les sentiments à leur juste mesure. La toute dernière image de Dead Poets Society nous montre Todd, dont nous savons bien intérieurement que cet enseignement a bouleversé la vie à jamais. L'aventure, pour lui, ne fait que commencer.
 

 
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Le Trombinoscope
 
Assez curieusement, parmi les jeunes acteurs qui donnent la réplique à Robin Williams, c’est justement Ethan Hawke qui fera la plus belle carrière à la suite de ce film. Les autres auront un parcours beaucoup plus discret, pour la plupart centré sur la télévision. On verra Robert Sean Leonard dans quelques films (dont Le Temps de L’Innocence de Scorsese), avant qu’il ne se tourne lui aussi vers la télé, notamment dans la série Dr House. Parmi les adultes, on reconnaitra Kurtwood Smith, qui avait joué un méchant mémorable dans le Robocop de Paul Verhoeven. Quant à Norman Lloyd, qui interprète le directeur, il a joué dans plusieurs films d’Hitchcock des années 40 (entre autres, Correspondant 17, dont on vous parle ici).
 
 
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La scène finale

Moment fort du film, la toute dernière séquence est un exemple de construction dramatique, qui manie l’émotion avec une très grande habileté. Keating a été renvoyé car les jeunes de sa classe ont été mis dans l’obligation de signer un faux témoignage à son encontre. Il doit récupérer ses affaires lors d’un cours, que le proviseur assure lui-même. La scène commence sur un mode presque comique alors que le public se rappelle, par le biais d’un petit clin d’œil, l’un des premiers exploits du professeur, qui avait incité ses élèves à arracher certaines pages de leur manuel de poésie.

Pendant toute la scène, la tension nait d’un échange de regards entre Todd et Keating. Le spectateur sait que le garçon est bouleversé par ce qu’il s’est passé et qu’il ne tolère pas non plus l’injustice que cela provoque. La question qui se pose alors est de savoir si Todd osera aller contre sa timidité pour faire comprendre au professeur que tous ont été forcés de témoigner contre lui. Les gros plans du visage de Todd nous font ressentir son malaise, et le réalisateur les alterne avec des plans plus larges, qui le resituent (et l’isolent) dans l’univers strict de la classe.

 

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Le réalisateur joue avec les attentes du spectateur et nous fait attendre jusqu’au dernier moment, alors que Keating va quitter la classe, pour faire intervenir Todd. Son intervention se fait en plan large, pour rendre encore plus palpable le caractère oppressant de la salle de classe. Celle du proviseur, par contre, se fait en gros plan, comme pour “écraser” visuellement la révolte de l’enfant.

 

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Le seul recours qui reste à Todd, c’est de montrer sa rébellion par un geste simple : monter sur un pupitre. L’idée est très forte car ce geste de révolte est la base, le symbole-même de l’apprentissage de Keating : s’obliger à changer de perspective pour voir le monde différemment. La puissance de la séquence vient justement du fait que nous spectateurs sommes les seuls à partager cette symbolique avec Keating et ses élèves, et qu’elle reste indéchiffrable pour l’autorité. Notez également comment la place occupée par le proviseur dans le cadre a changé : il est désormais sur un plan d’égalité avec les élèves. Keating, par contre, est mis en valeur par un cadrage plus serré. Visuellement, cela renforce son sentiment intérieur de triomphe, mais cela permet également au spectateur de se focaliser sur l’émotion qu’il va chercher à lire sur son visage.

 

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Cette émotion vient également de la manière dont ses camarades le suivent ensuite dans sa démarche, pour rendre un hommage collectif au professeur. C’est aussi une opportunité pour le réalisateur de “passer en revue” les différents élèves et permettre au spectateur de se remémorer leurs caractères respectifs. Le film s’est construit à partir de leur différentes personnalités, et du coup la séquence propose un joli résumé de chacune de leurs contributions. C’est aussi le moyen pour les élèves de tenir tête à l’autorité, tout en réaffirmant la valeur de ce que Keating leur a appris.


 

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Le réalisateur sait également créer la surprise en intégrant à ce mouvement des élèves dont on s’est dit qu’a priori, ils n’étaient pas très réceptifs à l’enseignement de Keating. Le film ne précise pourtant pas pour quelle raison ils se joignent à ce geste, c’est à chacun d’imaginer le pourquoi, mais le simple fait qu’ils s’y associent provoque un élan de sympathie supplémentaire, notamment pour l’un d’entre eux qui s’était clairement désigné comme réfractaire aux idées du professeur.

 

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Le cadrage et le montage mettent en valeur les gestes de chacun. Les plans en contre-plongée renforcent la présence de ceux qui sont montés sur les tables, affirmant visuellement leur présence et leur supériorité alors que le proviseur est clairement dépassé par l’effet de groupe qui se crée. C’est une figure dérisoire qui gesticule dans la salle de classe sans pouvoir

 

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Un des derniers plans du film nous montre plusieurs des élèves debout dans la salle de classe. Le plan large, qui avait été jusqu’alors utilisé pour renforcer le côté strict de l’univers scolaire, prend alors ici toute sa signification, puisqu’il nous montre les jeunes s’approprier, l’espace d’un instant, un cadre qui est censé les étouffer et les briser. C’est une image de triomphe, un triomphe qu’on sait éphémère puisque l’autorité de l’école reprendra ses droits, mais dont on sait qu’il subsistera toujours quelque chose dans le cœur de ces adolescents.

 

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La Musique

dpsQuand on parle de Maurice Jarre, on pense fatalement à Lawrence d’Arabie ou à Docteur Jivago, avec leurs grands élans romantiques. C’est oublier que le compositeur frenchy a connu une belle carrière aux USA, dans des genres assez disparates, passant allègrement du film de guerre au western, en passant par le film d’aventures. Il sera amené à collaborer avec Peter Weir pour L’Année de Tous les Dangers, et le réalisateur le réemploiera à plusieurs reprises par la suite. Dead Poets Society correspond à la période “électronique” du compositeur, à une époque où beaucoup de films misaient sur des partitions uniquement réalisées sur synthétiseur. Cela a donné du bon et du moins bon, mais Maurice Jarre s’est clairement positionné comme l’un des plus talentueux dans ce domaine (on n’est pas le père de Jean-Michel pour rien !), comme l’atteste sa musique pour Witness, un autre film de Peter Weir.

Sur disque, c’est un peu particulier, car Dead Poets Society ne contient pas beaucoup de musique (15-20 minutes à tout casser), et du coup, on a complété le disque avec d’autres compositions de Jarre pour le réalisateur. Cela n’enlève rien à l’efficacité de la musique, qui apporte un plus non négligeable en matière d’émotion à la séquence finale. Keating’s Triumph, avec ses cornemuses synthétiques, est le magnifique point d’orgue d’une composition qui sait parfaitement s’effacer devant le film qu’elle accompagne.
CD facilement trouvable sur le net.

 

En vidéo

Comme pour beaucoup de films édités lors des débuts du support, le tout premier DVD de Dead Poets Society n’est pas brillant brillant. Le film, rien que le film, point barre. Trois ans plus tard, en 2002, une édition spéciale propose un contenu beaucoup plus étoffé: un documentaire rétrospectif, un entretien avec le sound designer Alan Splet, une master class du directeur photo John Seale, un commentaire audio, des scènes coupées… De quoi compléter idéalement la vision du film, même si le doc est un peu court et pâtit de l’absence de Robin Williams. Les scènes coupées sont, quant à elles, plutôt anecdotiques, et montrent combien Peter Weir est arrivé à conserver l’essentiel. Niveau image, le disque souffre, comme beaucoup de titres édités par Disney/Touchstone, d’un manque de contraste, mais le transfert est propre et satisfaisant, tout comme le son. Le blu-ray, paru en 2012, reprend les bonus de l’édition spéciale, mais ne vous attendez pas à un piqué exceptionnel : la photographie douce et très diffusée du film ne s’y prête pas vraiment.

 

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mardi 2 septembre 2014

The Fisher King

Film de Terry Gilliam (1989), avec Jeff Bridges, Robin Williams, Mercedes Ruehl, Amanda Plummer, Michael Jeter, etc…

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Parmi les personnages déjantés incarnés par Robin Williams, celui de The Fisher King est assez gratiné. On est dans un film de Terry Gilliam, me direz-vous: ceci explique donc cela. Forcément, on n’allait pas s’attendre non plus à un monument de classicisme. De même, le réalisateur, plombé par l’échec financier monumental de son Baron Munchausen, laisse ici tomber ses délires et reste sagement dans les clous. Mais bien que film de commande, The Fisher King n’en reste pas moins un film très personnel, qui possède un ton bien à lui et des personnages attendrissants.

 

vlcsnap-2014-09-02-16h18m38s133Soyons juste: l’ensemble a un peu vieilli. Les effets de mise en scène de Gilliam, cette impression d’empilement de plein de choses hétéroclites qui fait son cinéma, ça laisse une première impression un peu bordélique, d’un film foutraque qui part un peu dans tous les sens. On a également un peu de mal à s’identifier au personnage principal, Jack, joué par un Jeff Bridges qui en rajoute dans le craspec. C’est l’histoire elle-même qui va finir par s’imposer, une fois les différents éléments mis en place.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-09-02-16h24m54s128Et c’est une bien belle histoire que celle de ce Fisher King. Une histoire de rédemption, ou comment un animateur radio cynique et revenu de tout va être amené à se racheter auprès d’un clodo magnifique, Parry (Robin Williams) dont il a par mégarde démoli la vie. Au point de l’assister dans une quête du Graal en plein New-York et de l’aider à conclure avec la femme de ses rêves (Amanda Plummer). C’est totalement inattendu, parfois parfaitement incongru mais ça fonctionne, en grande partie grâce au talent visuel de Gilliam, qui transforme tout ce petit monde en magnifique cour des miracles.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-09-02-16h31m32s233Le scénario est ouvertement mélo, ce qui n’étonne qu’à moitié quand on sait qu’il est signé Richard LaGravenese, qui excellera dans ce domaine, au point même de produire quelques beaux nanars. Néanmoins, l’homme, quand il est inspiré, sait créer des drames fragiles et touchants, comme Sur La Route de Madison. Son script pour Fisher King évite les chausses-trappes du genre, aidé considérablement il est vrai part la mise en scène très originale de Terry Gilliam. Sur la fin, le film bifurque carrément vers la tragédie et va jusqu’au bout de sa logique en illustrant le trauma de Parry, lors d’une séquence d’une puissance imparable, magnifiée par la superbe photographie de Roger Pratt.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-09-02-16h23m36s42Que ce soit dans la poésie pure, comme cette très belle scène qui transforme la gare de Grand Central en salle de bal, ou dans l’évocation du trauma de son héros (le cavalier rouge qui fait furieusement penser aux créatures de Brazil), le sens visuel du réalisateur complète admirablement tout le versant émotionnel du film, servi par des acteurs remarquables. Robin Williams est, une fois de plus, superbe, mais la palme revient à Michael Jeter. Ce merveilleux acteur, qu’on retrouvera notamment dans La Ligne Verte, compose ici un SDF à la fois drôle et déchirant.

 

 

 

A la fois brouillon et bouillonnant, The Fisher King a un peu les défauts de ses qualités. Mais malgré ses quelques passages à vide et son originalité parfois un peu forcée, le film s’avère particulièrement touchant. Si ce n’est pas – et de loin – le film le plus personnel de Terry Gilliam, c’est certainement le plus attachant.

 

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