lundi 30 mai 2016

The Walk

Film de Robert Zemeckis (2015), avec Joseph Gordon-Levitt, Charlotte LeBon, Clément Sibony, Ben Kingsley, James Badge Dale, etc…

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Allez, c’est reparti, encore un biopic ! C’est marrant cette fascination actuelle du cinéma américain pour l’histoire vraie, le scénario “inspiré de faits réels”. On joue à la fois la carte de la nostalgie et celle de l’aventure plus grande que nature. D’abord parce que ces films se déroulent bien souvent dans les années 70, ce qui permet aux vieux briscards dans mon genre de se prendre une bonne bouffée de souvenirs, avec pour faire bonne mesure, une bande-son qui fait la part belle aux tubes de l’époque. Ah, y’a pas à dire, c’était mieux avant !



 

vlcsnap-2016-05-24-19h27m12s215L’originalité de The Walk, c’est avant tout ce qu’il s’attache à décrire, à savoir l’exploit du funambuliste Philippe Petit, qui, en 1974, a tendu un fil entre les tours du World Trade Center et effectué la traversée. Un sujet tellement fascinant qu’il a donné naissance à l’excellent documentaire Le Funambule (Man On A Wire) de James Marsh, d’ailleurs récompensé par un Oscar. Un pari carrément fou, sans réelle justification si ce n’est celle d’offrir à l’homme de la rue un spectacle unique en son genre.



 


vlcsnap-2016-05-23-23h19m06s78C’est donc un projet particulièrement atypique, limite casse-gueule dans le paysage hollywoodien actuel, où il est davantage question de grosses machines à effets spéciaux avec des super-héros qui se mettent sur la gueule. The Walk surprend par son concept, complètement en rupture avec les standards actuels. C’est la célébration de l’originalité, de l’exploit gratuit, injustifié, qui n’existe que pour en mettre plein la vue. L’idée en elle-même est folle, vertigineuse, et provoque inmanquablement la curiosité, en particulier à cause de son cadre. Et l’une des plus belles qualités du film, c’est aussi de rendre, à sa façon, un magnifique hommage aux Twin Towers.



vlcsnap-2016-05-24-20h11m06s222Tout comme le héros du film, j’ai toujours été fasciné par le World Trade Center, et pas seulement à cause du 11 septembre. Il fallait avoir visité les tours pour se faire une idée de leur gigantisme et de leur démesure, ce que j’ai eu la chance de pouvoir faire il y a une vingtaine d’années. The Walk réussit l’exploit de faire revivre ces sensations, au travers d’une reconstitution plus vraie que nature, réellement saisissante de réalisme. Il dresse le décor d’une manière tellement méticuleuse que chaque image témoigne d’un profond respect pour ce lieu qui est devenu malgré lui un symbole américain. C’est donc un sacré exploit technique, mais jamais gratuit ni tape à l’oeil.



vlcsnap-2016-05-24-19h31m13s128On est d’abord un peu surpris de retrouver Robert Zemeckis à la tête d’un tel projet. Le réalisateur à succès de Retour Vers le Futur et de Forrest Gump a, en même temps, mené une carrière plutôt cahotique dans laquelle l’excellent cotoyait aussi le beaucoup moins bon. Pas mal d’expérimentations pas toujours très réussies avec la motion capture, il nous avait laissé sur un Flight plutôt surprenant même s’il n’était pas complètement abouti. Dans chacun de ses films, il y a en tout cas une passion du challenge technique, du pari visuel, bref exactement ce qu’il fallait à The Walk.




vlcsnap-2016-05-23-23h16m54s25Car une grande partie du plaisir qu’on prend au film tient surtout dans son respect des codes – pour ne pas dire des clichés – du cinéma hollywoodien. Paris vu par Zemeckis, c’est inévitablement ringard et souvent risible, tout comme le personnage de Papa Rudy, joué par un Ben Kingsley qui en fait des caisses dans le rôle de l’inévitable mentor pas commode mais qui a quand même un coeur d’or. De même, le réalisateur ne cherche pas à glorifier son personnage principal, et le Philippe Petit qu’il décrit est rigoureusement fidèle à ce qu’on en connait, avec tous ses côtés agacants et prétentieux, ses pétages de plombs récurrents et ses trips d’illuminé.




vlcsnap-2016-05-24-19h21m47s76C’est d’autant plus risqué que The Walk prend le parti d’en faire le narrateur de l’histoire, et cela empêchera certainement bon nombre de spectateurs de rentrer dans le film, malgré le jeu de Joseph Gordon-Levitt, qui est ici fidèle à ce qu’on pouvait en attendre. Zemeckis court-circuite constamment le côté bien réel de la narration par des partis-pris de mise en scène qui ramènent constamment le film sur le terrain du spectacle pur et simple. Ainsi, toute la préparation du coup est-elle décrite comme dans un film de casse, et menée sur un rythme infaillible. A l’identique, tous les préparatifs au sommet de la tour s’enrichissent de petits moments de suspense parfaitement réglés, et dans lesquels on retrouve le talent et l’habileté du réalisateur.



vlcsnap-2016-05-24-20h07m18s220Le clou du film est bien entendu la traversée proprement dite, qui tire intelligemment parti de l'utilisation de la 3D. Mieux, ce temps fort s'enrichit d'une dimension poétique tout à fait unique, qui montre combien Zemeckis a su comprendre toute la signification de l'exploit de Philippe Petit. La voix off, qui pourra paraître un artifice pour certains, est alors essentielle pour nous faire ressentir tout le bouillonnement intérieur de l'artiste, mais aussi son appréhension et sa peur, bref toutes les émotions contradictoires qui ont pu accompagner cet incroyable événement. En ce sens, le réalisateur ne s'est pas contenté de décrire un exploit, il a aussi compris et sû transmettre tout ce qui le constitue, ce qui n'est pas un mince exploit.



Le résultat, c’est un film maladroit, imparfait, mais indéniablement sincère dans sa démarche. Robert Zemeckis va beaucoup plus loin que l’illustration pure et simple pour nous livrer une méditation sur le spectacle et ceux qui le font vivre. Au-delà de son côté sensationnel, il capte avec beaucoup de sensibilité et d’acuité la démarche artistique elle-même, dans tout ce qu’elle peut avoir d’excessif et de démesuré. Avec, en filigrane, l’évocation discrète et respectueuse des Twin Towers, qui deviennent à elles seules un personnage à part entière. Sorti à la va-vite, ce film atypique et étonnant n’a pas trouvé son public en salles. A vous de lui redonner une seconde chance en vidéo. Il la mérite amplement.


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Le Trombinoscope

Pour pouvoir être fidèle à l'histoire originale, The Walk se devait d'utiliser en grande partie des acteurs français. Le choix de Robert Zemeckis s'est donc porté sur des visages peu connus. Charlotte LeBon, après ses débuts télévisuels sur Canal, semble avoir bien négocié son passage sur le grand écran, et parmi les autres acteurs, la plupart a surtout fait de la télévision. Seul James Badge Dale (ancien de la série 24) a pas mal tourné pour le cinéma. On a pu notamment le voir dans Les Infiltrés, Flight et World War Z.


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Les Effets Spéciaux

Avec Robert Zemeckis aux commandes, on pouvait se douter que The Walk en imposerait forcément au niveau des effets spéciaux. Après tout, le réalisateur n’a jamais eu peur des challenges techniques : souvenez-vous de cet incroyable puzzle visuel qu’était Roger Rabbit, qu’il avait dirigé à une époque où on ne disposait pas encore des moyens informatiques actuels. Mieux, c’est l’un des rares metteurs en scène à savoir utiliser la technique de manière intelligente et souvent invisible et transparente. Ses films regorgent d’effets indétectables qui bluffent le spectateur sans pour autant attirer l’attention sur eux.


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Bien évidemment, comme dans toutes les productions contemporaines, les effets de The Walk reposent intégralement sur l’utilisation de l’informatique. Avec les puissances de calcul incroyables des stations de travail actuelles, le photoréalisme ne connait pratiquement pas de limites. Il est donc possible de recréer le skyline new-yorkais tel qu’il existait en 1974, en modélisant l’ensemble des batiments.


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Idem pour l’architecture si particulière des Twin Towers, qui a été reconstituée au moindre détail près, comme pour ce plan où la caméra file le lond de la facade de l’immeuble pour monter jusqu’au dernier étage.

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On se doute bien que Joseph Gordon-Levitt n’a pas eu droit à une formation express en funambulisme. Les scènes sur le fil ont donc été réalisées avec une doublure (d’ailleurs française), Jade Kindar-Martin, sur lequel on a superposé le visage de l’acteur, qui avait été scanné sous toutes les coutures pour pouvoir être utilisé sous tous les angles possibles. La technique n’est pas nouvelle, on l’utilisait déjà dans Jurassic Park en 1993.

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C’est moins sexy que du vrai, mais la majorité des scènes a donc été tournée sur fond vert. A la différence de Philippe Petit durant la traversée, Kindar-Martin portait tout de même un harnais de sécurité durant le tournage.


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Même une scène en apparence banale comme celle de l’approche en camionette a aussi été tournée sur fond vert, afin de pouvoir reconstituer de la manière la plus réaliste possible la topographie réelle des lieux.


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Comme sur beaucoup de productions actuelles, le travail sur les effets a été réparti entre plusieurs sociétés. Les deux plus importantes sont Atomic Fiction et Rodéo FX, toutes deux basées au Canada, où a le film a été tourné. Atomic Fiction avait déjà travaillé avec Robert Zemeckis pour Flight, mais a aussi assuré certains effets de Star Trek Into Darkness, San Andreas, Deadpool ou la série Games of Thrones. Quant à Rodeo FX, leur CV est carrément impressionnant, puisqu’ils ont bossé sur Lucy, Hunger Games, Pacific Rim, j’en passe et des meilleures.



La Musique

vlcsnap-2016-05-26-05h18m48s72Qui dit Robert Zemeckis dit forcément Alan Silvestri à la musique. La collaboration entre le réalisateur et le compositeur dure depuis des années déjà, depuis un certain Retour Vers Le Futur en fait, avec le bonheur que l’on sait. Cela nous a donné des partitions très diversifiées, et surtout des films dans lesquels la musique peut s’exprimer d’une manière toujours très efficace à l’image. C’est doublement réussi dans The Walk, puisqu’à sa manière, il reste fidèle à une certaine conception de l’accompagnement musical tel qu’il se pratiquait il y a quelques années. A une époque où tous les films croulent sous des partitions tonitruantes et rarement inspirées, il est rafraichissant de pouvoir profiter d’une dramaturgie musicale qui sait jouer sur les temps de silence et l’accompagnement intelligent de l’action.


 

folderLa partition de The Walk n’est pas révolutionnaire, elle est au contraire dans la parfaite lignée des autres oeuvres de Silvestri, avec des thèmes pleins de délicatesse et de fragilité (comme dans Pourquoi et Two Loves). Un petit intermède jazzy sans prétention (Spy Work), puis la musique prend de l’ampleur lorsque le coup se monte (The Arrow et surtout l’excellent We Have a Problem), dans le style percutant et efficace du compositeur, émaillé de petites touches synthétiques discrètes. On pourra noter des similitudes parfois un peu gênantes avec le thème de Titanic dans le morceau The Walk, mais la musique associe alors inconsciemment deux grandes tragédies humaines dans l'esprit du public. Quant à l'utilisation de la Lettre à Elise lors de la traversée, si elle peut paraître un peu cliché à l'écoute, elle apporte une touche de délicatesse supplémentaire. Un bien bel album de musique de film, donc, qui montre que dans le paysage audiovisuel actuel, le classicisme à là Papa a encore de beaux restes.


 





 

Une 3D vertigineuse

A chaque sortie en 3D, c’est toujours la même rengaine avec l’inévitable panel de grincheux qui n’a toujours pas digéré le fait d’être obligé de porter des lunettes spéciales ou de voir le prix de la projection grêvé de quelques euros. Perso, au Strapontin, on aime bien tout ce qui peu contribuer à renforcer l’effet spectacle. On est donc à fond pour le relief, à condition qu’il soit utilisé de manière intelligente. Et quoi de mieux qu’un spectacle de funambulisme, qui plus est au sommet du World Trade Center, pour tirer au mieux partie de la 3D ? Robert Zemeckis a dit en interview que par son sujet même, The Walk impliquait l’utilisation du procédé.


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Donc, inévitablement, votre serviteur flippait un peu avant la séance. Moi qui ai les jambes qui chancellent dès que je vois quelq’un s’approcher un petit peu trop près du vide, inutile de dire que j’étais plutôt mal barré, et ceci d’autant plus que j’avais l’opportunité d’assister à l’une des rares projections du film en Imax 3D. Et puis non, finalement, j’ai survécu. Le film joue assez habilement sur les effets de profondeur, mais sans pour autant filer la gerbe. A ce qu’on raconte, plusieurs spectateurs avaient mal supporté l’avant-première new-yorkaise, mais on se demande si la presse n’a pas un peu monté en épîngle ces malaises pour faire un peu monter la sauce.


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Quoi qu’il en soit, il est vraiment dommage que le distributeur français n’ait pas davantage soutenu le film lors de sa sortie française. Diffusé timidement, dans un parc de salles en Imax 3D réduit à peau de chagrin, The Walk a quitté l’affiche aussi vite qu’il était venu. A se demander si le film n’aurait pas eu davantage sa place dans un parc d’attractions comme le Futuroscope, qui lui aurait au moins garanti des conditions de projection optimales. Il reste maintenant la vidéo pour pouvoir découvrir le film, mais en beaucoup plus petit, et avec les sensations en moins.


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