mardi 6 septembre 2016

Les Huit Salopards

(The Hateful Eight)
Film de Quentin Tarantino (2015), avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh, Tim Roth, Bruce Dern, etc…
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Quand on parle de Tarantino, forcément on divise, ça va pas louper. Il y a ceux qui louent son cinéma décomplexé, qui va piocher ses influences à droite à gauche et arrose le tout d’une dose copieuse d’ultra-violence. Il y a ceux que justement cette violence à la coolitude appuyée agace. Il y a les cinéphiles qui détecteront direct que l’ami Quentin s’est inspiré d’un obscur polar hong-kongais ou moldave. Bref, chacun a une bonne raison d’adorer ou de détester le cinéma de Tarantino, et ça n’est certainement pas avec The Hateful Eight qu’il va réconcilier tout ce joli petit monde.


vlcsnap-00006En fait, si Tarantino avait voulu prendre public et critique à rebrousse-poil, il n’aurait pas procédé autrement. Il réhabilite un format d’image tombé en désuétude, le Super Panavision 70, pour filmer non pas des panoramas spectaculaires, mais des extérieurs enneigés et une intrigue concentrée dans un seul et unique décor. Il embauche le maestro Ennio Morricone, mais c’est pour utiliser des morceaux issus d’autres films. Bref, comme d’hab, le film est un bon gros patchwork qui est n’importe où sauf là où on l’attend. On pourra penser ce qu’on veut du réalisateur, mais il faut admettre qu’il prend des risques.


vlcsnap-00020C’est d’ailleurs le risque de se répéter qu’on craint le plus avec le début de The Hateful Eight, ce cinéma bourré jusqu’à la garde de dialogues pas toujours passionnants ou indispensables à l’intrigue. On sent que Tarantino est avant tout un geek qui s’amuse à mettre en valeur des acteurs qu’il adore, en leur ciselant des répliques sur mesure. C’est l’un de ses points faibles, car s’il est toujours agréable de voir sa troupe d’acteurs faire son numéro (et qu'on est bien content de revoir ce bon vieux Bruce Dern), cela ne sert pas toujours les intérêts de l’histoire, loin de là.



vlcsnap-00011Tout le début de The Hateful Eight patine pas mal, à vrai dire. On ne peut pas dire qu’on s’ennuie, mais l’exposition prend des plombes, reposant à excès sur des dialogues pas toujours inspirés, des scènes à rallonge et des situations en forme de clin d’oeil qui reviennent à intervalles réguliers (la lettre d’Abraham Lincoln, par exemple, ou bien cette fichue porte qu’il faut clouer pour fermer). Le contexte historique et racial, par contre, est présent. Trop sans doute, à tel point qu’on a parfois l’impression que le film est un prolongement du précédent, Django Unchained. Bref, on n’est pas loin de jeter l’éponge, quand l’intrigue se met enfin en branle.



vlcsnap-00021La neige, l’isolement, Kurt Russell, ça ne vous dit rien ? Ben oui, forcément, The Thing ! Qui, comme par hasard a été mis en musique par Morricone et auquel Tarantino va emprunter un bout (inédit) de sa partition musicale. Le virage est bien négocié, c’est plutôt pas mal. Le huis-clos dans l’auberge, avec tous ces personnages dont on ne sait pas très bien quel jeu ils jouent, c’est bien vu. Le film commence à prendre forme, en prenant bien soin de ressembler à du Tarantino. Et hop, un flashback qui enfonce le clou en matière de provoc, et c’est parti, on sent que la machine est lancée.



vlcsnap-00054La suite ne va pas contredire ce virage, puisque la violence, si chère à Tarantino, finit par exploser de la manière la plus graphique qui soit. Le brave Quentin lâche alors la bride à son équipe de maquilleurs, d’ailleurs cités en première position au générique de fin, on se demande bien pourquoi ! Je ne vais pas rentrer dans les détails, vu que l’hémoglobine et les bouts de cervelle voltigent à tout va, mais bon, à côté, Sam Peckinpah et La Horde Sauvage, c’est du Antonioni ! Pas certain non plus que tout ce feu d’artifice gore serve l’histoire, mais il prouve au moins que le réalisateur n’a pas perdu la main pour filer des électrochocs.




vlcsnap-00040Malgré cette conclusion tonitruante, on reste sur une impression mitigée, avec un film qui ne fonctionne qu’à moitié. The Hateful Eight n’arrive pas à faire réellement vivre son univers, en dépit de sa durée excessive (près de 3 heures) et malgré tout le soin qu’il apporte à la mise en place de son arrière-plan historique. Certains parti-pris fonctionnent, d’autre pas, et on finit par se retrouver devant une sorte de pièce de théâtre brillamment filmée, qui fait habilement monter la pression jusqu’à un final démesuré et trash.




Il y a cependant assez de petites touches perso et familières pour que les admirateurs de Tarantino y trouvent leur compte. Mais pour les autres, The Hateful Eight ne fait pas avancer le schmilblick et conserve les défauts de son style. Pas d’histoire suffisament construite, des personnages pas vraiment intéréssants ou attachants, un rythme inégal, tout ça ne fait pas un film. C’est ballot car la prise de risque est évidente, mais à trop vouloir se faire plaisir, l’ami Quentin en a oublié qu’il travaillait aussi pour un autre public que ses fans. C’est bien dommage.




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Le Grand Large

vlcsnap-00005On peut reprocher bien des choses à Quentin Tarantino, mais pas d’avoir réhabilité un format d’image qui n’était plus utilisé depuis les années 60. Curieuse idée, donc, que d’avoir eu recours à l’Ultra Panavision 70, et d’avoir par la même occasion remis au goût du jour ce format oublié qu’est le 70 mm. Seul problème de taille : la quasi-totalité des salles actuelles est équipée en numérique. Il a donc fallu en rééquiper certaines fissa, de manière à ce qu’elles puissent projeter la copie du film (en France, seules 6 ou 7 étaient en mesure de le faire). A noter également que la version 70 mm était plus longue que la version normale, avec une ouverture musicale et un entracte.


C’est plutôt une bonne chose que d’avoir remis la projection en 70 mm au goût du jour, car on parle là d’un temps que les moins de 20 ans ne doivent pas connaître, et pour cause : la majorité des salles de ciné à écran géant ont disparu au profit de multiplexes, et on peut aujourd’hui savourer un film chez soi dans une qualité d’image plus que respectable. Le cinéma spectacle a fait son temps, mais c’est bien qu’un nouveau public redécouvre la qualité exceptionnelle d’une projection en 70 mm. Ceci dit, il n’est pas certain qu’avec ses panoramas somme toute assez étriqués, The Hateful Eight soit une vitrine idéale pour le procédé. Mais cela est une autre histoire…


Destroy

vlcsnap-00004 (2)Il y a un moment involontairement saisissant, dans The Hateful Eight. Vous vous souvenez de la chanson que joue Jennifer Jason Leigh à la guitare ? Un joli moment, que Kurt Russell interrompt de manière plutôt destroy en pulvérisant l’instrument. La réaction de la fille à ce moment précis vous a paru un tantinet excessive ? C’est parce qu’en fait, la fameuse guitare en question était un article de collection qui datait de 1870, qui avait été prêtée par un musée local.



vlcsnap-00028Cette dernière devait être remplacée par une copie lorsque Russell l’écrabouillait, mais apparemment, l’accessoiriste a omis de lui passer l’information et c’est bien la vraie, l’authentique que l’ami Kurt a bousillée. D’où la réaction on ne peut plus réaliste, spontanée et épidermique sa partenaire. Pour la petite histoire, l’assurance a remboursé le musée, mais hélas pas au prix de la valeur réelle… et le conservateur de ce dernier s’est juré (mais un peu tard, comme le dit la fable) qu’on ne l’y prendrait plus et qu’il ne prêterait plus quoi que ce soit pour le tournage d’un film !

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