mercredi 31 mai 2017

Silent Running

Film de Douglas Trumbull (1972), avec Bruce Dern, Cliff Potts, Ron Rifkin, Jesse Vint, Cheryl Sparks, etc…

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Il y a des films qui reposent davantage sur une idée plutôt que sur des situations. Cette fable écolo du milieu des années 70 est restée dans les mémoires, car elle est axée sur un concept très fort : la végétation a totalement disparu de la surface de la Terre et les quelques spécimens restants sont conservés dans de gigantesques serres, sur des vaisseaux spatiaux en orbite. Difficile de faire plus radical, et si l'idée peut prêter à sourire, elle reste, même aujourd'hui, très forte, tout comme l'étaient bon nombre de concepts SF de la même époque.


 

vlcsnap-2017-02-27-19h52m18s32Reconnu à présent comme un petit classique du genre, Silent Running a pourtant été pendant des années une œuvre plutôt confidentielle. Le projet, à la base, est d'ailleurs assez atypique, puisque Hollywood, à la suite du succès surprise d'Easy Rider, mise à l'époque sur des films à tout petit budget auxquels les studios laisseront une liberté totale. Il n'en faut pas plus à Douglas Trumbull, ex-spécialiste des effets spéciaux, pour soumettre à Universal un film de SF ambitieux, qu'il propose de réaliser pour une bouchée de pain.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
vlcsnap-2017-05-30-23h09m32s149Un sacré challenge dans le genre, vu qu'il va tout de même falloir employer des maquettes et toute une panoplie d'effets visuels qui sont plutôt tombés en désuétude à cette époque. Cela ne rebute pas Trumbull : il assemble une modeste équipe de spécialistes qui ont bossé avec lui sur 2001 et qui, pour la petite histoire, s'illustreront ensuite sur un obscur petit film nommé Star Wars. Tourné avec des bouts de ficelle, pas mal de bricolage et beaucoup d'astuce, le film est hélas délaissé par Universal, qui le distribue sans conviction. En France il sortira dans un circuit art et essai (le Strapontin y était !) pratiquement 3 ans après la sortie US et uniquement en version originale.
 
 
 
 
 
 
 
 
vlcsnap-2017-02-27-19h53m01s200Pourtant, petit à petit et malgré sa diffusion confidentielle, Silent Running a gagné ses galons de film culte. Certes, son imagerie et son atmosphère parfois baba cool peuvent prêter à sourire. Les chansons de Joan Baez, si elles s’intègrent parfaitement au film, donnent un petit côté flower power à l’ensemble, pas désagréable, mais clairement daté. De même, les personnages sont taillés d’une pièce, c’est un peu le brave écolo seul contre tous. Un peu de subtilité n’aurait pas été superflue, d’autant que le film ne se prive pas d’enfoncer le clou sur les bienfaits du bio, des années avant l’heure.
 
 
 
 
 
 

 
 
vlcsnap-2017-02-27-19h46m23s42Le scénario, co-signé par Michael Cimino, est clairement le point faible du film. Le script original était, paraît-il, beaucoup plus sombre, insistant de manière très dramatique sur la catastrophe écologique posée par la destruction des forêts. Telle quelle, il est vrai que le spectateur ne la ressent pas suffisamment. Conséquence du budget plus que serré, elle est évoquée de manière très distante, à travers quelques photos, mais c'est clairement insuffisant pour étayer le discours écolo très fort du film.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
vlcsnap-2017-02-27-19h48m16s152C'est d'ailleurs un défaut d'autant plus flagrant quand il s'agit de montrer la rébellion du héros, Lowell, prêt à tout, y compris au meurtre, pour la sauvegarde de la nature. C’est bien beau de jouer sur les grands sentiments, mais il y a tout de même une limite à l’identification du spectateur, surtout lorsque l’opposition entre les personnages ne se résume qu’à quelques innocentes disputes. Mais bon, on va dire que le film avait besoin de ce prétexte pour lancer son véritable sujet sur les rails, c’est-à-dire la fuite de l’astronaute vers les confins du système solaire.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
vlcsnap-2017-02-26-22h59m37s15Il n’était pas facile de donner vie de manière réaliste au personnage de Lowell, et Bruce Dern fait une fois encore la preuve de son talent. Confronté dans la seconde partie du film à guère plus que des pupitres de commandes et des robots, le jeu de l’acteur repose presque intégralement sur les expressions de son visage, et on est épaté de voir toute la force de conviction que Dern apporte au rôle. Si le personnage de Lowell semble sous-écrit, la performance de l’acteur lui donne vie de façon merveilleuse, et arrive à faire naître l’émotion au détour d’une simple expression.
 
 
 
 
 
 
 
 
vlcsnap-2017-02-27-19h55m09s211On se souvient également de ces robots insolites, les “drones”, dont le concept sera récupéré par George Lucas pour la création de R2D2. Là aussi, Silent Running se distingue en les transformant en personnages à part entière. Les apartés comiques qui les mettent en scène ne sont malheureusement pas toujours très réussis, on a l’impression que les scénaristes se sont creusés la tête pour trouver des situations qui les utilisent, plutôt que de leur donner une véritable identité. Leur présence ajoute une petite touche incongrue et originale à cette aventure hors du commun.
 
 
 
 
 
 
 
 
vlcsnap-2017-02-26-23h00m57s50Enfin, il faut revenir sur le design si particulier du film, qui est d'autant plus admirable qu'il a véritablement été réalisé à l’économie, sur un budget plus que serré. Le vaisseau spatial Valley Forge, avec ses allures de grosse libellule, est certainement l'une des créations les plus originales du genre. Les effets visuels, s'ils paraissent aujourd'hui un peu datés et détectables, parviennent tout de même à nous mettre en mémoire quelques belles séquences, comme celle de la présentation de la flotte spatiale, au son de la musique martiale et majestueuse de Peter Schickele.

 
 
 
 
 
 
 
Silent Running, sous ses allures de petit classique, possède ses défauts. Le rythme y flanche plus d'une fois et malgré sa courte durée, on sent que le film a souvent du mal à maintenir l'intérêt. Autant de faiblesses qui sont compensées par la qualité de son interprétation et l'originalité de ses effets. A défaut d'être un authentique chef d'œuvre, le film possède un mélange de candeur et de conviction qui le rend formidablement attachant.
 
 
 
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En vidéo
 
coversEn France, on aime bien jouer les voitures-balais en ce qui concerne les éditions vidéo. Et pour cause, Silent Running ayant été diffusé de manière très confidentielle, les éditeurs n’allaient pas non plus lui réserver un traitement 4 étoiles dès le départ ! Il faudra même attendre une diffusion télé (sous le titre craignos de Et la Terre Survivra !) pour que le film soit exploitée en français. C’est donc un disque minimaliste qui sera édité en 2002, avec juste la bande-annonce, en VO non sous-titrée. A la même date, nos amis américains pouvaient profiter d’une édition collector plus que fournie, avec interviews et documentaire rétrospectif.
 
 
 
 

 

Pas de surprise en ce qui concerne les entretiens et les reportages, c’est du Laurent Bouzereau, donc on sait d’avance que ce sera très documenté et bourré d’anecdotes. On a peu souvent l’occasion d’entendre Douglas Trumbull revenir sur son expérience de réalisateur, c’est donc particulièrement instructif, tout comme c’est un vrai plaisir de partager les souvenirs de Bruce Dern, pour qui le rôle de Lowell a énormément compté. On apprend également comment Trumbull a allégé le budget en tournant sur … un porte-avion désaffecté, ainsi que le pourquoi du comment de la création des drones, dont devait s’inspirer Georges Lucas quelques années plus tard.

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Comme on dit, tout vient à point à qui sait attendre. Et donc les fans frenchy du film pourront enfin profiter de ces bonus 15 ans après leur parution outre-Atlantique ! Le blu-ray paru chez Wild Side reprend en effet le contenu du DVD collector Universal, moins une ou deux broutilles (un commentaire audio et la piste musicale isolée). Le transfert haute-définition est bon, même s’il a un peu tendance à accentuer le côté cheap de certains effets spéciaux. Le son est dans une bonne moyenne, du moins en VO, car la VF est un peu criarde et saturée. Un livret très informatif et richement illustré accompagne le tout, bref c’est une édition à recommander, même si elle s’est légèrement faite désirer dans notre beau pays !

 
 
 

lundi 29 mai 2017

Love and Mercy

Film de Bill Pohlad (2014), avec John Cusack, Paul Dano, Elizabeth Banks, Paul Giamatti, Jake Abel, etc…

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Un biopic, c’est toujours plus ou moins des figures imposées autour du parcours d’un artiste. Généralement, la grandeur et la déchéance d’une star ou d’un personnage public. Mais depuis quelque temps, le genre étant devenu populaire (et rentable), on a trouvé de nouveaux axes à explorer. Outre le fait qu’il est admis désormais de montrer le côté obscur d’une célébrité, c’est plutôt la petite histoire, celle qui sort de l’ordinaire, qu’on va mettre en avant.

vlcsnap-2016-05-18-14h08m14s29Perso, je n’ai jamais été fan des Beach Boys. J’ai toujours considéré, à tort sans doute, leur surf music guillerette avec une certaine condescendance. Et l’une des grandes qualités de ce Love & Mercy, c’est justement de remettre à sa juste place le génie mélodique, mais aussi créatif de Brian Wilson, le co-fondateur du groupe. A cet égard, la reconstitution méticuleuse des sessions d’enregistrement de l’album Pet Sounds, en plus d’être un beau moment de cinéma, donnent toute sa valeur au perfectionnisme incroyable du musicien.




vlcsnap-2016-05-18-14h12m28s8Mais il y a aussi l’histoire cachée, celle d’un artiste atteint de troubles mentaux, qui est racontée avec beaucoup de subtilité et de tact. Le film met en évidence la subtile limite entre le génie et la folie, n’affichant pas de manière trop flagrante la névrose de Brian Wilson. Bien au contraire, les symptômes nous apparaissent petit à petit, au gré d’une narration qui mélange deux époques différentes, et où le chanteur est interprété par deux acteurs, Paul Dano et John Cusack. Le spectateur est baladé, un peu comme le personnage de Melinda, à la découverte d’un homme torturé et manipulé.




vlcsnap-2016-05-18-14h07m40s243Le casting est bien évidemment le point fort de Love & Mercy. Dano et Cusack, dans deux gammes d’émotion distinctes, font chacun des merveilles. Le premier confirme brillamment qu’il est l’un des acteurs les plus doués de sa génération, le second fait définitivement oublier l’étiquette de bon gars rigolo qui lui collait un petit peu trop aux basques. Ne pas oublier Elisabeth Banks, effacée et convaincante, et surtout Paul Giamatti, excellent comme à l’accoutumée, et dont le rôle de salaud manipulateur nous fait entrer de plain pied dans le versant ambigu et troublant de l’intrigue.




Traversé de splendides trouvailles visuelles, Love & Mercy est donc un biopic intelligent et sensible, qui décrit admirablement l’univers de son personnage principal, sa lente perte de contact avec la réalité, mais aussi la reconquête de son identité. Porté par deux belles performances d’acteurs, et avec de belles poussées d’émotion (la reprise finale de Wouldn’t It Be Nice est vraiment poignante) le film réussit l’exploit de donner vie à tout cela avec brio, et rend de ce fait particulièrement déchirant cet itinéraire à la fois chaotique et attendrissant.

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dimanche 28 mai 2017

The Voices

Film de Marjane Satrapi (2014), avec Ryan Reynolds, Gemma Aterton, Anna Kendrick, Jacki Weaver, Adi Shankar, etc…

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Vous vous souvenez de Persépolis ? Mais si, ce dessin animé 100 % frenchy qui racontait sur le mode autobiographique l’enfance et l’émancipation d’une jeune fille iranienne ? C’était déjà un sacré challenge : un film d’animation en noir et blanc, qui était basé, de plus, sur un sujet pas vraiment vendeur. Le résultat, pourtant, parlait de lui-même, et il a révélé une artiste hors-normes : Marjane Satrapi. Qui du même coup a refusé de se laisser enfermer dans des stéréotypes et a mené une carrière surprenante et inhabituelle.


vlcsnap-2017-05-28-11h23m25s189Nouvelle preuve de ce parcours déroutant : The Voices, qu’elle est allée tourner aux Etats-Unis. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la réalisatrice apporte une sacrée bouffée d’air frais au film de serial killer. Car oui, c’est bien de cela qu’il s’agît : le héros, Jerry, est un modeste employé dans une usine de baignoires (!), consciencieux, apprécié de ses collègues… Seulement voilà, Jerry entend des voix, et plus précisément celles de ses animaux de compagnie, un chat et un chien.




vlcsnap-2017-05-28-11h23m05s210A priori, quoi de plus normal quand on adore ses compagnons à quatre pattes ? Sauf que, dans ce cas précis, Jerry est sous traitement pour des tendances violentes, et que c’est son chat qui va l’inciter à écouter ses pulsions criminelles et à reprendre du service ! Le début de The Voices se déroule comme une innocente comédie, et puis d’un seul coup, paf, on bascule direct dans l’horreur et le gore : ça calme ! Donc même si le tout est emballé dans un humour noir décapant, le film n’est clairement pas pour toutes les sensibilités.




vlcsnap-2017-05-28-11h21m41s156En revanche, ça fait plaisir de voir les tics du genre dépoussiéré par une approche résolument iconoclaste et très européenne. Comme on l’a dit, le film ne s’impose pas de limite en matière d’horreur qui tâche ou de mauvais goût, mais il réussit également l’exploit de rendre supportable Ryan Reynolds, ce qui, après Deadpool, était loin d’être gagné. Mieux, le comédien arrive à faire de Jerry un personnage original et attachant et The Voices s’enrichit de quelques belles idées, comme la représentation de son monde intérieur déformée par les médicaments. Et puis les échanges entre le héros et ses animaux de compagnie sont particulièrement savoureux.



Ce détour américain de notre frenchie Marjane Satrapi s’avère donc être une parenthèse particulièrement rafraichissante. La réalisatrice joue avec beaucoup d’habileté et d’humour sur les clichés et les situations, et détourne brillamment le genre avec quelques écarts délicieusement barrés. Et quand le film donne l’impression de ne pas savoir comment conclure, elle termine sur une pirouette à la fois culottée et pétillante (ne ratez pas le générique de fin, une petite perle !). Cela donne un mélange tellement surprenant qu’il n’a probablement pas dû trouver son public et plaire à tout le monde. Recommandé, donc, si vous n’avez pas l’estomac trop fragile, ça va de soi.


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