mardi 31 mai 2011

Orange Mécanique

(A Clockwork Orange)

Film de Stanley Kubrick (1971), avec Malcolm Mc Dowell, Warren Clarke, Patrick Magee, John Clive, Michael Bates, Adrienne Corri, etc.



































Première commande pour le Strapontin ! Comme je vous avais invité à le faire dans un billet précédent, il m’a été soumis quelques titres ! Pas de la petite bière, croyez-le bien : on s’attaque aujourd’hui à un gros morceau avec le célébre classique Kubrickien, Orange Mécanique ! Retour sur un film qui, malgré ses 40 ans au compteur, n’a rien perdu de sa force corrosive.








Le hasard faisant bien les choses, Arte a eu la bonne idée de rediffuser récemment ce petit chef d’œuvre, accompagné d’un reportage rétrospectif passionnant. Et c’est inévitable, je me suis dit que j’allais en regarder cinq minutes, et pour finir je me suis enquillé la totalité du film (alors même que je le possède en DVD, allez comprendre !). Il faut dire que pour les gens de ma génération (mon Dieu, qu’on se sent vieux tout à coup !), Orange Mécanique fait partie de ces films qui étaient entourés d’une aura de scandale. Je dois même avouer publiquement ici que j’avais falsifié à l’époque ma carte d’identité pour pouvoir aller le voir (ce qui fût finalement inutile car compte tenu de ma taille imposante, la caissière ne me demanda même pas de justificatif pour mon âge!).







Il faut reconnaître qu’il y avait largement de quoi être choqué. En quelques minutes, le film bouscule tous les repères du bon goût : violence gratuite, viol… Kubrick n’y va pas avec le dos de la cuillère et nous scotche littéralement avec une mise en scène brute, à l’arraché. Orange Mécanique nous attache au destin d’Alex, un voyou qui, trahi par sa bande et capturé par la police, sera utilisé par le gouvernement dans une opération de lavage de cerveau destinée à le purger définitivement de toutes ses pulsions violentes.










Le roman d’Anthony Burgess, dont le film est tiré, était unique en son genre : raconté du point de vue d’Alex, il était écrit dans une sorte d’argot littéralement incompréhensible (à tel point que l’éditeur lui avait rajouté un lexique !). L’effet était saisissant : le lecteur, malmené par ce vocabulaire inhabituel et étrange, se retrouvait comme en terre inconnue, avec pour seul repère les réflexions du héros. Kubrick ne va pas aussi loin dans sa démarche, il utilise un langage qui soit tout de même appréhendable par le public. En revanche, il ne s’impose aucune limite quant à la violence et sa représentation.









Avec le recul, on mesure à quel point Orange Mécanique a pu, lors de sa sortie, bousculer les interdits. Aujourd’hui encore, on reste ébahi par le fait qu’un grand studio comme la Warner ait eu le courage de produire et de distribuer un film au contenu aussi controversé. A l’heure actuelle, tout est si politiquement correct dans l’industrie du cinéma qu’on a vraiment du mal à imaginer qu’un film aussi subversif ait réussi à se monter et à trouver son public. Stanley Kubrick a su ici prendre des risques énormes pour imposer sa vision sans le moindre compromis, au-delà de ce qui lui imposaient les codes de la Censure de l’époque (le film a tout de même écopé d'un visa X), dans une démarche d’une grande liberté artistique et d’un grand courage qui serait bien impensable de nos jours.






Orange Mécanique, c’est comme un jeu de miroirs dans lequel Kubrick semble vouloir nous perdre : d’abord il expose la cruauté dans ce qu’elle a de plus condamnable, puis il fait de son héros une victime incapable de se défendre. Le film renvoie dos à dos les voyous et les forces de l’ordre, et finit par démontrer qu’en définitive, il n’existe aucune solution réelle au problème de la violence. Pire encore, le réalisateur joue avec notre fascination pour elle, il chamboule tous nos repères moraux, si bien qu’en définitive, nous ne savons que penser.









En ce sens, Orange Mécanique est une odyssée, au même titre que pouvait l’être 2001. C’est en cela que le film s’avère être une adaptation sacrément intelligente du livre de Burgess, puisqu’on s’y retrouve, de la même manière, prisonnier d’un univers dans lequel le seul repère est la voix intérieure du héros. Le public reçoit les images en pleine face et se retrouve désarmé, tel Alex pendant son traitement.








Par certains aspects, notamment les décors et les costumes très typés seventies, le film a pas mal vieilli. En revanche, Orange Mécanique conserve intacte sa puissance de fascination. Des dizaines d'années après, des images fortes restent en mémoire, telles le regard d'Alex ou encore la barbarie du traitement Ludovico et ses écarteurs de paupières. La prestation incroyable de Malcolm Mc Dowell, qui trouve ici le rôle de sa vie, y est pour beaucoup. Son interprétation d'Alex crève littéralement l'écran. On peut également citer la musique de Walter Carlos qui, en adaptant au synthétiseur des morceaux du répertoire classique, confère au film une étrangeté indéniable. La mise en scène de Kubrick alterne les styles avec une adresse confondante, passant d’une mise en images très « nouvelle vague » avec caméra à l’épaule à des plans magnifiquement éclairés par le chef opérateur John Alcott. A l'opposé de l'esthétisme glacé et de la complexité technique d'un 2001, Orange Mécanique impose une mise en scène percutante et agressive qui épouse parfaitement son sujet.





Enfin, ce qui surprend le plus, c’est l’aspect corrosif d’Orange Mécanique, qui pulvérise la froideur du style Kubrickien. Le réalisateur s’amuse à ruer dans les brancards, à provoquer, à braver les interdits, à désamorcer les pistes de réflexion. Plus que dans l’humour un brin lourdingue (qui d'ailleurs ne fait pas toujours mouche), c’est davantage dans cette approche cynique et mordante de son sujet que l’on peut sentir cette drôlerie hargneuse qui fait tout le prix du film.





Quelque part, cet esprit no limit s’est malheureusement retourné contre le film. La Grande-Bretagne accusera Kubrick d’avoir inspiré des voyous à commettre des meurtres, ce à quoi il répondra en interdisant pendant des années la projection de son film dans ce même pays. Par son incroyable liberté, Orange Mécanique devient donc aussi, quelque part, un objet fascinant et dangereux. C'est un ultime pied de nez que nous fait Kubrick par rapport à la gravité de son sujet, et ce n’est pas l’un des moindres paradoxes de ce film décidément unique et inclassable.









Le Trombinoscope
On a déjà dit tout le bien qu'il fallait penser de la performance de Malcolm Mc Dowell, et le reste du casting est assez surprenant dans ce sens où Kubrick y a utilisé des acteurs qu'on a très rarement revus ailleurs. On pourra émettre quelques réserves sur le jeu de Patrick Magee, un peu trop outrancier, mais je dois avouer que Michael Bates, qui joue le gardien de la prison, me fait bien rire à chaque fois. Enfin, pour la petite histoire, précisons que le culturiste est joué par David Prowse, qui devait quelques années plus tard, incarner Darth Vader dans les 3 premiers Star Wars...


Malcom Mc Dowell
James Marcus
Warren Clarke
Michael Bates
Carl Duering
Madge Ryan
Patrick Magee
Philip Stone et Sheila Raynor
Anthony Sharp
Aubrey Morris
David Prowse (à droite)

2 commentaires :

  1. Merci pour ce coup de projecteur sur Orange Mécanique (un des piliers de ma vidéothèque) que j'ai eu la chance de voir pour la première fois au cinéma, lors de sa ressortie en salles en 1991.

    En ce qui concerne Malcom Mc Dowell, il me semble avoir entendu qu'il n'a jamais réussi à se remettre de ce rôle qui l'a rendu célèbre...

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  2. "On a déjà dit tout le bien qu'il fallait penser de la performance de Malcolm Mc Dowell, et le reste du casting est assez surprenant dans ce sens où Kubrick y a utilisé des acteurs qu'on a très rarement revus ailleurs."

    On peut noter que c'est le cas pour la plupart des acteurs de Kubrick, en tout cas pour les rôles principaux. Soit ce sont des acteurs déjà bien établis et donc jouer avec Kubrick n'a pas vraiment eu d'impact sur leur carrière (Kirk Douglas, James Mason, Jack Nicholson, Tom Cruise...); soit ce sont des acteurs assez peu connus voire débutants mais leur carrière n'a pas vraiment décollé par la suite et leur plus grand rôle reste celui du Kubrick (Sue Lyon, Malcom McDowell, Dave Bowman, Matthew Modine...). Tout le monde s'accord à dire que la performance de McDowell pour Orange Mécanique était inimitable, mais il n'a fait quasiment que des séries b par la suite.

    "Enfin, pour la petite histoire, précisons que le culturiste est joué par David Prowse, qui devait quelques années plus tard, incarner Darth Vader dans les 2 premiers Star Wars..."

    Ah ? je savais pas, marrant.

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