mardi 28 février 2012

Assaut (Assault on Precinct 13)

Film de John Carpenter (1976), avec Austin Stoker, Darwin Joston, Laurie Zimmer, Nancy Loomis, Charles Cyphers, etc..
 















Même s’il paraît un tantinet daté aujourd’hui, Assault on Precinct 13  a tout de même été un film fichtrement influent pour toute une génération de scénaristes. Il a surtout, à sa sortie, assis la réputation de son réalisateur, John Carpenter, après que le fameux Halloween l’ait révélé. Eh oui, comme en France on ne fait rien comme les autres, il a fallu attendre le carton monumental de ce dernier pour que les distributeurs se décident à sortir son tout premier film.

Si effectivement Assault on Precinct 13 a parfois des allures de film fauché, ce n’est pas par hasard : réalisé avec un budget dérisoire, il compense ces limites avec un sens de la mise en scène parfaitement imparable. John Carpenter y pose les bases de son style, avec des personnages luttant contre une menace aveugle et incontrôlable. Son film est un véritable melting pot de plusieurs genres hétéroclites, auquel il sait pourtant donner une cohérence et  une efficacité particulièrement bluffante.



A la base, Assault on Precinct 13 n’est ni plus ni moins qu’un western (le titre initial, The Anderson Alamo, accentuait encore davantage ce parallèle), pratiquement une transposition urbaine de Rio Bravo. Toute l’intelligence de Carpenter, c’est d’arriver à digérer des influences très fortes, puisque le film est très marqué par le style d’Howard Hawks, et d’en faire pourtant quelque chose de totalement nouveau. On est au-delà de l’hommage et plutôt dans une logique de compréhension d’un style. Carpenter a su garder de Hawks cette manière de typer les personnages à travers quelques lignes de dialogue. Cela apporte un ton particulier au film, qui témoigne un réel attachement à ses personnages.


Outre cette influence très westernienne, Assault on Precinct 13 récupère aussi à son profit une ambiance directement héritée de La Nuit des Morts-Vivants de Romero. La menace présentée par le gang apparaît comme implacable, et le comportement des assaillants est tellement peu explicité dans le film qu’il ne semble obéir à aucune loi ni aucune logique. Comme il le fera avec Halloween, Carpenter joue avec l’espace et situe l’action à la lisière du fantastique, en jouant sur des situations qu’il déforme au point de les rendre irréelles. Le gang devient du coup une entité presque surnaturelle contre laquelle la lutte des personnages principaux devient désespérée et presque sans issue.


On appréciera également la manière dont Carpenter prépare l’action à l’aide d’une ou deux séquences particulièrement violentes. L’agression sur le vendeur de glaces est un exemple de découpage et de rythme, et le réalisateur brave les tabous et joue avec les nerfs du spectateur en y faisant intervenir un élément totalement innocent (la petite fille) et en poussant la scène à l’extrême. Si le procédé n’est pas en soi particulièrement nouveau, il accentue le côté implacable de ce qui suivra. Il faut noter au passage que le réalisateur rencontrera des problèmes avec la censure, et que le film fût même amputé de quelques plans jugés too much lors de sa sortie en France.


On pourra critiquer le côté un peu léger de certaines séquences, en particulier la facilité avec laquelle les personnages se débarrassent des membres du gang en faisant mouche pratiquement à chaque fois. Cela contribue à renforcer l'aspect totalement irréaliste de la menace du gang, mais prête souvent à sourire. Le film est parfois victime de la maigreur de son budget, mais il sait dans certaines occasions contrebalancer ce manque de moyens par des idées savoureuses: la scène quasiment surréaliste où le commissariat est mitraillé au silencieux est un exemple d’ingéniosité. Enfin,  il faut mentionner la musique, composée au synthétiseur par John Carpenter lui-même. Si son impact ne vaut pas les BO futures d’Halloween ou de The Fog (il faut reconnaître qu'elle a aussi un peu vieilli), elle pose les bases de l’illustration musicale minimaliste typique du réalisateur.






Si l’on excepte Dark Star, gentille pochade de SF qu’on aimerait bien voir sortir dans notre beau pays, Assault on Precinct 13 est une splendide déclaration d’intention de la part d’un réalisateur qui pose calmement et adroitement les bases de son futur cinéma. On retrouvera beaucoup d’échos dans les futures œuvres de Carpenter, mais le film saura également inspirer de belles réussites, comme l’excellent Nid de Guêpes de Florent-Emilio Siri, et même un remake, signé en 2005 par Jean-François Richet. A la fois rigoureux, solide et original, c’est un petit classique à lui tout seul et définitivement l’un des films les plus réussis de son auteur.  



Le Trombinoscope:
Les acteurs, pratiquement tous inconnus, jouent le jeu à la perfection. Même si ce ne sont pas des performances oscarisables, ils donnent une réelle épaisseur à leurs personnages. On reconnaîtra, dans la distribution, des visages qui réapparaitront dans les films suivants de Carpenter (Nancy Loomis, Charles Cyphers). Le réalisateur prend également un malin plaisir à utiliser la jeune actrice Kim Richards, star chez Disney, pour la placer dans un contexte ultra-violent.
Austin Stoker
Darwin Joston
Laurie Zimmer
Charles Cyphers & John J. Fox
Martin West
Kim Richards
Nancy Loomis

En vidéo :
On ne peut pas vraiment dire qu’ait été particulièrement gâté par les éditions vidéo française, en particulier lors de sa sortie en DVD : première édition en format recadré (du scope en plein écran), à l’image dégueulasse, et qui plus est dans son montage censuré… Heureusement, le récent blu-ray (et l'édition DVD correspondante) a remis les pendules à l’heure en proposant la version intégrale du film dans une belle copie, avec des bonus courts mais intéressants (extrait de conférence, commentaire audio, photos, storyboards…). L'occasion idéale pour découvrir un film rarement diffusé, malgré son indéniable réputation.



lundi 27 février 2012

La Nuit des Juges (The Star Chamber)

Film de Peter Hyams (1983), avec Michael Douglas, Yaphet Kotto, Hal Holbrook, James B. Sikking, Sharon Gless, etc...

















Une fois n’est pas coutume, on fait rebelote sur le Strapontin en consacrant une nouvelle critique à Peter Hyams, dont nous avions déjà chroniqué Outland il y a quelques jours. Non, non, nous ne nous sommes pas lancés dans un cycle de visionnage des œuvres du réalisateur, c’est juste, comme on dit à la télé, « les hasards de la programmation ». Cela faisait pas mal de temps que le DVD de The Star Chamber traînait sur une étagère donc hier soir, ni une ni deux, hop, ayé, dans le lecteur ! Je gardais un souvenir plutôt bon de ce film, comme pour la plupart des autres films de Peter Hyams, d’ailleurs. Sauf qu’en revoyant Outland, je m’étais pris une bonne claque et que pas mal de défauts que j’avais occultés jusqu'alors m’avaient sauté aux yeux. J’étais donc un peu réticent avec celui-là.


L’intrigue de The Star Chamber est ingénieuse : il s’agît d’une société secrète, formée par des juges, qui pallie aux manquements de la justice en punissant les criminels qui ont échappé à la condamnation grâce à des vices de procédure. Dans le film, Michael Douglas, juge intègre et propre sur lui, va être amené à rejoindre cette confrérie, mais va vite se rendre compte que les choses ne sont pas si simples que cela. C’est gentiment manipulateur dans une première partie plutôt captivante, où Hyams titille l’indignation du spectateur moyen en innocentant des crapules que l’on sait coupables de véritables atrocités.


Ceci dit, Star Chamber a quand même l’honnêteté d’aller jusqu’au bout de son idée : et si les personnes condamnées par cette chambre des juges étaient effectivement innocentes ? Là, on tombe dans le film d’action pur et simple, Michael Douglas mouille la chemise pour éviter la catastrophe et ça défouraille pas mal. Malheureusement, le film ne peut pas s’empêcher de fausser un peu les choses, puisque les innocents se révèlent au final pas si innocents que ça. Le scénario s’emmêle un peu les pinceaux sur la fin, histoire de justifier une ou deux séquences d’action pas vraiment indispensables. De même, la conclusion est un peu vite expédiée.


Et le réalisateur dans tout ça ? En fait, Star Chamber ressemble un peu à Outland par son mélange des genres pas vraiment assumé et pas toujours très efficace. Si la partie « juridique » est bien menée, elle est entachée par ce besoin incessant de vouloir faire du spectacle, avec des séquences d’action qui tombent un peu comme un cheveu sur la soupe. Cela n’apporte rien à l’intrigue et on a un peu l’impression que Hyams essaie de contenter tout le monde. La partie « policière » en particulier, est d’une mollesse à faire peur, avec un Yaphet Kotto qu’on dirait sous Lexomil. Par contre, il faut reconnaître au réalisateur un réel savoir-faire : les poursuites sont mises en scène avec du punch et une grande énergie visuelle. La photographie nottament, signée Richard Hannah, est particulièrement soignée, et la musique du trop rare Michael Small renforce avec sobriété l'ambiance de paranoïa ambiante.


Finalement, on se rend compte avec un peu de recul que pas mal de thrillers américains des années 70-80 ne savaient pas très bien sur quel pied danser et essayaient de mélanger les genres en fonction de ce qui marchait bien à l’époque. On a un peu le même sentiment qu’en revoyant Stakeout, dont nous avons récemment parlé, sauf qu’ici, il manque la décontraction qu’on pouvait trouver chez un John Badham. Cela donne un divertissement joliment troussé et ma foi plutôt agréable, même s’il évite soigneusement d’aller jusqu’au bout de son sujet.


vendredi 24 février 2012

Un Tueur dans la Foule (Two-Minute Warning)

Film de Larry Peerce (1974), avec Charlton Heston, John Cassavetes, Martin Balsam, Beau Bridges, Jack Klugman, etc...















Larry Peerce avait signé, dans les années 70, un film qui s’appelait L’Incident, et dans lequel deux voyous terrorisaient les passagers d’une rame de métro. C’était une œuvre magistrale, d’une tension incroyable, véritablement impitoyable dans la manière dont elle disséquait la lâcheté et la peur. On a donc vraiment beaucoup de mal à croire que le même réalisateur puisse s’être rendu responsable d’un nanar comme ce Two-Minute Warning.

Assez curieusement, cette histoire de sniper qui sévit pendant un match de football américain fait irrésistiblement penser à un film-catastrophe. Rien d’étonnant à cela, vu que le genre était particulièrement en vogue à l’époque. Par conséquent, on alterne les allées et venues du tueur (montrées en caméra subjective) avec la présentation obligatoire d’une ribambelle de personnages, dont on se demande inévitablement lequel va se faire dégommer. Ca sera-t’y le pauvre bookmaker menacé par la Mafia ? ou bien le papy pickpocket ? ou encore le brave gars qui zyeute la copine de son pote ? Ou bien … Je vous passe la suite. C’est long et c’est pourri de clichés, c’est dire si on s’ennuie ferme. Le seul élément qui surprend un peu, c’est la violence assez inhabituelle dans les productions Universal de cette époque, avec de l’hémoglobine bien rouge en veux-tu en voilà. Et c’est une fois de plus Charlton Heston, sauveur du monde libre, qui  s’y colle et gagne la partie ! Un an plus tard, Spielberg réalisait Les Dents de la Mer sur un canevas identique (une communauté menacée) et réinventait le thriller. C’est dire si ce Two-Minute Warning ramollo a pris depuis un sacré coup de vieux !

mercredi 22 février 2012

Correspondant 17

(Foreign Correspondant)

Film d'Alfred Hitchcock (1940), avec Joel Mc Crea, Laraine Day, Herbert Marshall, George Sanders, Albert Bassermann, etc...







































C’est toujours un plaisir de se replonger dans l’œuvre d’Alfred Hitchcock tant on se rend compte combien ses films sont réellement pensés du début à la fin pour avoir un impact réel sur le spectateur. Tout, jusqu’au moindre détail, est conçu et réfléchi pour impliquer le public et là est la clé de l’art d’Hitchcock. On est toujours en admiration devant son cinéma, car on ne peut s’empêcher de considérer ses films comme de vastes terrains d’expérimentation, où chaque séquence amène immanquablement la question : « comment faire participer le spectateur ?». Hitchcock y répond en prenant le spectateur par la main, en lui expliquant (parfois plusieurs fois) certains détails, ou bien en lui donnant une longueur d’avance sur les personnages. C’est du travail d’orfèvre, mais en même temps, c’est toujours d’une simplicité confondante.



Foreign Correspondant est l’un des premiers films de sa période américaine. Fort du succès de Rebecca, Hitchcock a eu droit à des moyens importants, ce qui lui permet de mettre en scène des séquences spectaculaires, comme ce crash d’avion final. Mais en même temps se dessinent dans ce film les constantes de son œuvre future (l’innocent accusé à tort, le couple improbable). Le côté « chassé-croisé » transforme Foreign Correspondant  en une course-poursuite savoureuse qui annonce, avec des années d’avance, La Mort aux Trousses, le tout émaillé de belles trouvailles visuelles, comme ce moulin dont les ailes tournent à l’envers pour envoyer des signaux secrets.











Il y a déjà à l’œuvre, un sens du visuel assez fort, comme avec la séquence d’assassinat qui frappe déjà par sa composition et le montage de ses plans. Mais en même temps, le film ne se départit pas d’un humour bon enfant et d’un ton très léger. C’est là tout le paradoxe d’un cinéma formidablement travaillé, mais qui sait pourtant donner l’impression d’une grande simplicité.





Foreign Correspondant est peut-être un chouia trop long. Malgré ses effets spéciaux remarquables pour l'époque, tout le final paraît un peu de trop, tant le reste du film est riche et foisonnant. Au fil d'une intrigue aux multiples ramifications, c'est un véritable best of Hitchcockien qui nous est proposé. Hautement recommandable et profondément jouissif.




lundi 20 février 2012

Outland

Film de Peter Hyams (1981), avec Sean Connery, Peter Boyle, Frances Sternhagen, James B. Sikking, Kika Markham, etc… 






















A Hollywood, rien ne perd, rien ne se crée, tout se transforme …Même les idées de film, visiblement ! Il faut avouer que le recyclage est quand même bien pratique pour les scénaristes en mal d’inspiration. Sauf que seulement voilà, au bout d’un moment, on épuise un peu toutes les possibilités, c’est ballot ! Ce serait compter sans l’imagination féconde des équipes créatives : « Hey ! Si on prenait un sujet de western et qu’on en faisait un film de SF ? ». Mine perplexe des producteurs. Et pourtant, c’est à ce joli tour de passe-passe que s’est livré Peter Hyams avec Outland, pour un résultat qui, à défaut d’être un classique, est un bon divertissement.



La trouvaille du film, c’est d’avoir récupéré la trame dramatique d’un grand classique du western (High Noon, ou en VF Le Train Sifflera Trois Fois) : le héros seul contre tous, qui lutte pour sa survie (et aussi pour la vérité) dans une ville corrompue jusqu’à la moelle. Ici, le cadre est une exploitation minière sur Io, une des lunes de Jupiter, où des ouvriers sont victimes d’accidents particulièrement gore (du genre à laisser de la barbaque collée sur les murs). Le sheriff  (Sean Connery) – car c’en est bien un – enquêtera et finira par mettre à jour une machination, ce qui en fera l’homme à abattre…




Au moment de sa sortie, Outland a été salué comme un thriller futé et bien ficelé. A le revoir quelques années plus tard, on sera quand même un petit peu plus critique, tant il est évident que le film pioche ses bonnes idées à droite et à gauche. Outre l’histoire, le cadre n’est pas non plus particulièrement original, dans la mesure où Hyams a récupéré sans vergogne le design d’Alien. Cette similitude était d’ailleurs complètement assumée, puisque le réalisateur avait fait circuler des mémos durant le tournage pour que le look de son film se rapproche le plus possible de celui de Ridley Scott. A ceci près que dans Alien, le décor concourait à créer une ambiance. Ici, c’est juste un cadre neutre qui participe au manque d’identité du film.




Soyons honnête : il y a quand même de bonnes choses dans Outland. Les rapports entre le héros et la toubib (Frances Sternhagen, excellente) sont savoureux et pleins de verve. De même, le film assure parfaitement son quota de spectacle, avec des scènes d’action bien menées, dont l’efficacité est renforcée par une utilisation intelligente de la Steadicam. Par contre, il y a aussi des aspects sous-développés, comme l’environnement familial du héros. Il y avait une idée intéressante à creuser, avec le personnage du fils qui a toujours vécu dans l’espace et n’a jamais vu la Terre. Le réalisateur la met de côté et ne s’en sert que comme un ressort dramatique un peu facile pour laisser le héros seul face à ses ennemis. Carton rouge également pour les effets spéciaux, qui fleurent bon la maquette et les transparences, et ceci en dépit d’un nouveau procédé soi-disant révolutionnaire, l’Introvision.



Outland est en définitive sauvé par l’adresse de sa réalisation, carrée et fonctionnelle. Ca en fait un bon petit spectacle, bien fichu et agréable à suivre, malgré ses emprunts manifestes et un manque flagrant de personnalité.




dimanche 19 février 2012

Bruce Springsteen - Born to Run




































Sur le Strapontin, on va beaucoup reparler de Bruce Springsteen et de son E Street Band dans les mois qui viennent : nouvel album, nouvelle tournée (on y sera !), ce sera l’occasion pour renouer avec l’un des artistes les plus talentueux et les plus généreux du monde du rock. L’occasion est donc tentante, pour ouvrir les hostilités, de revenir sur Born to Run, sans aucun doute le chef d’œuvre absolu du bonhomme, et accessoirement l’un des plus beaux albums du monde, point barre.

« J’ai vu le futur du rock, et il s’appelle Bruce Springsteen » : rien que ça ! Le journaliste Jon Landau (depuis devenu le producteur du musicien) ne croyait pas si bien dire. A l’écoute de Born to Run, on le comprend un peu, tant l’album forme un tout parfait et inattaquable, qui contient tout ce que le Boss développera dans ses futurs albums : l’amour, la fuite vers une vie meilleure, le quotidien des paumés d’une certaine Amérique. L’album est presque organisé comme un film, même s’il ne s’agît pas vraiment d’un concept album. Le premier morceau, Thunder Road est un véritable manifeste, un peu comme une lettre d’amour que le personnage principal écrit à sa belle, l’incitant à s’évader de cette « ville pleine de losers ». Musicalement, c’est très fort aussi : commencée avec un simple harmonica, la chanson s’étoffe peu à peu avec l’arrivée du piano de l’excellent Roy Bittan, puis de tout le E Street Band, qui reprend l’instrumental de fin comme à la parade. Un grand, un énorme morceau. Tenth Avenue Freeze Out est, par opposition, plus léger et enjoué, alors qu’avec Night, on repart dans la noirceur et l’obscurité. La première partie de l’album se clôt sur Backstreets, une épopée où il est question de souvenirs d’enfance. Puis c’est Born to Run, qui est sans nul doute l’une des chansons les plus puissantes et les plus évocatrices de Springsteen. Bâtie sur un riff de guitare meurtrier, c’est là encore une chanson sur la fuite, dont les héros se jurent un amour éternel, sont prêts à s’évader de leur quotidien et sont « nés pour courir ». C’est aussi un des rares morceaux du Boss dans lequel on retrouve intact le punch incroyable de ses prestations scéniques, et c’est bien évidemment l’un des sommets de ses concerts. L’amour, il en est question dans She’s The One, là aussi un des moments forts du disque, plein d’une formidable énergie. Meeting Across the River est peut-être le seul morceau un peu faible, mais en même temps, c’est comme une respiration dans l’album, avant cette pièce maîtresse qu’est Jungleland. Véritable petite épopée qui clôt le disque, ce Jungleland raconte une nuit d’affrontement entre des gangs rivaux. Etalée sur près de 8 minutes, c’est une formidable démonstration d’efficacité du E Street Band, qui brille de toute sa splendeur. Le saxophoniste Clarence Clemons, en particulier, y signe l’un de ses plus beaux morceaux de bravoure.

A aucun moment Born to Run ne sonne comme un disque fabriqué et c’est là sa grande force. Tout le disque respire de cette authenticité profonde qui marquera tous les albums du Boss. Il faudra, c’est sûr, une bonne connaissance de l’anglais pour saisir toute la richesse et la poésie de ce portrait que Springsteen livre de la petite Amérique, celle des laissés pour compte, à travers des paroles d'une richesse formidable. L’album n’est pas non plus une démonstration de virtuosité gratuite. Au contraire, il marque car chaque ingrédient y est parfaitement mis en place, qui plus est avec un brio et une pêche extraordinaire, par des musiciens qui, tout en étant de remarquables pointures, ne sont pas là pour la frime. C’est l’énergie brute de Born to Run, ajoutée à son authenticité, qui en fait un disque unique et inoubliable.




 30 ans déjà !
En général, quand les maisons de disque souhaitent l’anniversaire d’un album, c’est plus pour ramasser quelques pépètes de plus et obliger le fan de base à repasser à la caisse. Mais Springsteen ne fait rien comme tout le monde, c’est bien connu, et la 30th Anniversary Edition de Born to Run est sans doute le plus beau cadeau qu’il pouvait faire à ses fans. Sur le premier disque, on trouve l’album remasterisé, ce qui est déjà pas mal du tout, mais le meilleur se trouve sur les deux autres galettes : tout d’abord un DVD du concert londonien de 1975. D’accord, l’image est pas franchement top, l'accoutrement des musiciens plutôt approximatif (Van Zandt en mac et le Boss avec un bonnet de laine!) et il y a beaucoup de morceaux des 2 premiers albums que personnellement je trouve un peu faibles... Mais quelle présence ! Lorsque le groupe attaque des titres de Born to Run, inutile de dire que ça déboîte grave ! Enfin, last but not least, sur le dernier DVD, « Wings for Wheels », une rétrospective passionnante sur l’enregistrement de l’album, qui permet de voir à quel point Springsteen est un perfectionniste et combien chaque élément du disque a été travaillé dans ses moindres détails, pour le résultat fantastique que l'on connaît. Une bien belle édition, qui rend un magnifique hommage à un classique indéboulonnable.

samedi 18 février 2012

Pink Floyd - The Wall

Film d'Alan Parker (1982), avec Bob Geldof, Christine Hargreaves, Eleanor David, Kevin Mc Keon, Bob Hoskins,etc...
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Alors que le cinéma peine à trouver des sources d’inspiration originales, j’ai toujours été un peu surpris qu’il ne cherche pas du côté de la musique pour se renouveler. Bon, c’est clair que ce n’est probablement pas en tapant dans le répertoire de Céline Dion ou de Florent Pagny qu’on trouvera de la matière, mais plutôt en allant chercher du côté des concept albums. Mais, cher lecteur, te demanderas-tu à raison, qu’est ce qu’un concept album ? Eh bien, il s’agît de disques qui racontent une histoire, à différencier cependant de ceux qui sont conçus à la base pour servir de support à un spectacle. C’était un genre assez à la mode dans les années 70, où les grands groupes progressifs, genre Genesis ou Yes, se sont essayés à la discipline avec plus ou moins de bonheur. La seule tentative que le Strapontin se remémore, c'est le fameux (mais pas toujours réussi) Tommy de Ken Russell, dont ceux qui l'ont vu ont sans doute gardé un souvenir ému d'Ann-Margret et de ses fayots sauce tomate!
 
 
 
 
Mais nous nous égarons! Donc, en 1979, Roger Waters, bassiste de Pink Floyd, propose à son groupe deux idées d’album, dont l’un est pratiquement autobiographique : ainsi naît The Wall qui demeure, quoi qu’on en pense, l’un des disques les plus marquants du groupe. Dans le sillage du disque, Pink Floyd monte une tournée pharaonique, qui, compte tenu de sa taille démesurée, ne se produira que dans quelques rares salles à travers le monde. Le stade suivant sera l’adaptation cinématographique. D’abord envisagé comme une représentation filmée du show, le projet va évoluer vers quelque chose de beaucoup plus ambitieux. Avec le succès naissant du vidéoclip, The Wall, ou plutôt Pink Floyd The Wall va trouver sa forme définitive : 90 minutes sans dialogue, la narration étant intégralement assurée par les chansons de l’album.
 
 
 
 
 
On pense ce qu’on veut d’Alan Parker. C’est un cinéaste pas toujours subtil, avec une prédilection pour les effets choc, qui l’a fait plus d’une fois tomber dans la facilité. D’où une filmographie en dents de scie où le très bon (Mississipi Burning) côtoie le franchement moyen (Midnight Express, Angel Heart), avec quelques pépites inattendues comme Birdy ou Shoot The Moon. Bref un ensemble plutôt hétéroclite, des sujets qu’il gère avec plus ou moins de bonheur et d’aisance. Mais, quelque part, sans être un véritable auteur, Parker n’est ni un cinéaste complètement commercial, ni un réalisateur indépendant, ce qui explique pourquoi il finira par participer au projet, dont il reconnait pourtant, des années plus tard, garder un très mauvais souvenir. Roger Waters n’est pas quelqu’un de facile, et le tournage du film sera particulièrement difficile. Les tensions sont déjà vives au sein du groupe Pink Floyd (ils se sépareront d’ailleurs après un ultime album, The Final Cut) et ceci n’arrange  pas les choses. Le contenu très violent n’est pas non plus facile à gérer, Parker se laissant parfois déborder par le caractère extrémiste de certains figurants. Le film est un vrai parcours d’obstacle, jusqu’à sa présentation, en séance spéciale au festival de Cannes 1982.
 
 
 

Difficile d’oublier le souvenir de ma première projection du film cette année-là. Comme pas mal de monde à l’époque, j’ai été bluffé par le punch de la réalisation, par cette mise en images à la fois agressive et inventive d’un disque que je connaissais littéralement par cœur. Dès les premières images, ce portail qui cède sur les premières mesures de In The Flesh, Pink Floyd The Wall vous emmène pour un trip que vous n’êtes pas prêts d’oublier. Il faut, c’est certain, bien connaitre le disque pour pleinement apprécier le film.
 
 
 
 
 
 
 
Cette histoire de rock star déjantée qui finit par pêter les plombs pourrait nous être totalement étrangère, or c’est tout le génie de Roger Waters que d’avoir réussi à y intégrer des sentiments profondément humains. En analysant la folie de son héros, qui se coupe petit à petit du monde extérieur, The Wall nous renvoie à notre propre aliénation, qui est aussi notre protection. Musicalement, c’est une œuvre très forte mais également pleine d’émotion, où les moments forts côtoient l’inattendu, tel ce procès final qu’on jurerait presque inspiré par Kurt Weill.


 
 

 
On serait presque tenté de dire qu’avec une matière aussi riche, Alan Parker n’a plus grand’chose à faire, si ce n’est apporter son sens de l’image-choc et son style percutant. Sur le plan technique, Pink Floyd The Wall est véritablement très réussi, enrichi par l’excellent travail de Peter Biziou sur la photographie, qui exploite intelligemment le format Scope. La bande sonore est aussi très réussie. En 1982, on en était encore aux balbutiements du Dolby Stéréo, mais le design du son, supervisé par James Guthrie, est particulièrement impressionnant, avec des basses ravageuses et des effets de spatialisation parfois très réussis (il faut rappeler que le groupe s’était fait une réputation sur la qualité sonore de ses concerts, donc cela n’est pas complètement fortuit). Le film marie également avec beaucoup d’adresse les différents styles, incorporant habilement les incroyables séquences animées de Gerald Scarfe. C’est un patchwork incroyable d’images fortes, mises en scène avec une incroyable efficacité.
 
 
 

Le point faible du film, c’est sa deuxième partie. Autant la première misait sur l’identification du spectateur, autant la seconde donne l’impression de le laisser sur le bas-côté. C’est une chose de s’identifier à la déchéance d’un personnage, c’en est une autre de saisir les délires facho d’une rock star. Le film donne l’impression d’être victime de son manque de moyens et manque singulièrement d’ampleur visuelle dans sa deuxième partie, un peu comme si Parker avait brûlées toutes ses cartouches dès le début sans rien garder en réserve pour la suite.
 
 
 
 
 
 
Malgré quelques moments forts (Comfortably Numb, The Trial), on retombe très vite sur une imagerie tellement répétitive qu’elle aboutira même à la suppression d’une chanson (Hey You – voir l’article sur le focus), signe que le film a atteint ses propres limites. Dommage pour certains morceaux, comme l’excellent Run Like Hell, qui ne sont pas du tout mis en valeur par une illustration choc mais finalement très quelconque.


 
 
 


 
On l’aura compris, Pink Floyd The Wall n’est pas le chef d’œuvre qu’il aurait pu être. Mais en l’état, c’est tout de même une curiosité plus que digne d’intérêt et un film unique en son genre, tant par son concept clipesque que par son incroyable noirceur. C’est, pour le Strapontin, un souvenir d’adolescence, le genre d’expérience qui scotche à un certain âge, mais dont on finit par voir tous les défauts au fur et à mesure que les années passent.  Génial dans sa première partie, juste bien dans sa seconde, mais complètement allumé tout du long.

 

 
 
 
 
 
Le Trombinoscope
Roger Waters avait un temps envisagé de tenir le rôle de Pink, le héros, mais compte tenu de la teneur autobiographique du film (et aussi d’un bout d’essai paraît-il désastreux !), il a préféré déléguer. C’est donc Bob Geldof, chanteur du groupe The Boomtown Rats (et futur organisateur du Live Aid), qui tiendra la vedette, imposant davantage un physique qu’une véritable personnalité d’acteur. Parmi les autres acteurs, pratiquement inconnus, on reconnaîtra Bob Hoskins dans un tout petit rôle.
 


 
Bob Geldof
Eleanor David
Christine Hargreaves
Kevin Mc Keon
Jenny Wright
Alex Mc Avoy
Bob Hoskins
 
 


Le DVD
Pink Floyd The Wall a connu des fortunes diverses en vidéo. Assimilé davantage à un clip qu’à un véritable film, il sera édité de manière plutôt désastreuse en VHS (format plein écran et image toute pourrie) avant de trouver enfin ses lettres de noblesse en DVD. Enfin, presque, parce que la toute première édition avait tout de même omis le sous-titrage français des chansons, qui est absolument indispensable à la bonne compréhension de l’intrigue. Tir rectifié depuis, dans une édition remarquable, qui intègre des scènes coupées, un commentaire audio, des reportages d’époque et un fascinant documentaire rétrospectif.

 
 
 

 
Hey You !
Victime du manque de substance de la deuxième partie du film, la chanson Hey You, pourtant une des plus belles de l’album, ne résistera pas aux ciseaux des monteurs, ce qui prouve que visiblement, les auteurs étaient bien conscients du déséquilibre qui existait au sein du film. Certaines images de la chanson seront réutilisées sur d’autres morceaux, en particulier sur Another Brick in the Wall Part III.
 
 
 
 
 
 
La photographie
Assez curieusement, pour un film qui se conçoit comme un clip, la photo et le montage de The Wall ne sont pas vraiment « clipesques ». Il y a beaucoup d’invention et de belles trouvailles visuelles dans les cadrages de Peter Biziou, qui restent malgré tout fidèles à un certain réalisme, de façon à accentuer le contraste avec le côté excessif des animations.
 
 
 
 

 
Les animations
Elles sont l’élément le plus original du film. Au départ conçues par Gerald Scarfe pour être projetées en concert pendant la tournée, elles ont été étoffées pour les besoins du film. Outre leur caractère provocateur et violent, elles marquent par leur style visuel très soigné, notamment dans l’utilisation du pastel pour la colorisation, qui a été entièrement réalisée à la main.

 
 

 
 
Il faut également noter l’incroyable travail sur le morceau Empty Spaces/What Shall We Do Now, avec des transitions particulièrement spectaculaires, qui rivalisent aisément avec les effets de morphing actuels.


 
 



 
La B.O.
Oui, mais allez vous me dire, elle existe déjà, la B.O. : c’est l’album original ! Euh, pas tout à fait, car il y a quand même quelques petites différences, suffisamment en tout cas pour qu’on puisse avoir envie de réécouter chez soi cette nouvelle version. Déjà, il y a un inédit plutôt chouette en intro, When The Tigers Broke Free, puis il y a quelques morceaux substantiellement modifiés (Mother, Bring The Boys Back Home), voire rallongés (Empty Spaces, prolongé par une excellente section inédite What Shall We Do Now ?). Un album de la BO a même été annoncé au moment de la sortie du film sous le titre The Final Cut, mais le projet sera abandonné, et Pink Floyd récupèrera le titre pour son album suivant, le dernier avec Roger Waters. Seul When The Tigers Broke Free sortira en 45 tours single, avec Bring The Boys Back Home (version film) en face B. What Shall We Do Now, qui est en fait une chanson non retenue sur l’album original, sera pourtant jouée sur scène et il faudra donc attendre la parution récente du live de la tournée 1980 Is There Anybody Out There pour pouvoir en profiter.