samedi 30 mars 2013

God Bless America

Film de Bobcat Goldthwait (2011), avec Joel Murray, Tara Lynne Barr, Melinda Paige Hamilton, Mackenzie Smith, Rich Mc Donald, etc..
















Sur le papier, ça faisait sacrément, bigrement envie. God Bless America ou l'itinéraire d'un cinquantenaire atteint d'une maladie incurable, qui décide de dézinguer tout ce que la société peut compter de minables ou de crétins, avec une prédilection tout de même pour les guignols de la télé-réalité. On imagine un Chute Libre puissance 10 mâtiné d'American Beauty, bref le truc énorme et politiquement incorrect, qui plombe allègrement l'American Way of Life et qui rue dans les brancards. 

Ça démarre effectivement sur les chapeaux de roues, avec une intro furibarde et bien speed qui tâche pas mal. Ensuite, hélas le film prend du mou, s'égare dans des monologues redondants sur les états d'âme de son héros quand il ne se lance pas dans une critique un peu stérile de la société et surtout de la télé américaine. Sitcoms débiles, radio-crochets ringards, beaufs stupides, tout y est, on ne fait pas le détail ! Mais en même temps, tout cela est tellement artificiel et caricatural que finalement, ça ne fait pas franchement rire, et de surcroit; on n'éprouve pas grand chose, pas même quand le personnage principal canarde tout ce beau monde ou pête un cable en direct.


A l'inverse de Chute Libre, qui reposait sur un scénario béton, ici l'intrigue est mal fagotée, menée à la va-comme-je-te-pousse. Ça manque de rigueur et surtout d'humour car même dans la dérision et l'excès, le film peine à trouver ses marques. Alors pour finir, on l'a vraiment mauvaise qu'avec une matière aussi explosive et corrosive, on se retrouve avec un film aussi brouillon et raté. Il ne suffit pas de se la jouer rebelle, anar et destroy pour parvenir à convaincre. Toutes les grandes réussites du genre reposent sur des bases solides, des personnages forts et un scénario parfaitement structuré. Autant de choses qui manquent à ce God Bless America qui se résume plus à un pétard mouillé qu'à un monument de provoc.


jeudi 28 mars 2013

Amour

Film de Michael Haneke (2012), avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert, Alexandre Tharaud, Dinara Drukarova, etc...





















Le cinéma de Michael Haneke, ça a toujours été une énigme pour moi. Froid, viscéral, c'est une œuvre qui ne se laisse pas facilement apprivoiser. Elle est même agaçante par son côté un peu "donneuse de leçons", comme si le réalisateur avait entrepris d'éduquer le spectateur par rapport à son propre voyeurisme. Ce n'est pas un cinéma agréable, ce n'est pas non plus un cinéma qu'on peut balayer facilement sous le tapis. Haneke gratte là où ça fait mal et pose des questions qui embarrassent. Libre alors à chacun d'entrer ou non dans son jeu, sachant que de toute façon l'expérience sera forcément déplaisante.

Amour, honnêtement, ça ne m'attirait pas plus que ça. S'infuser plus de 2 heures sur le calvaire d'une personne âgée, il y a plus fun et faut avoir envie, même avec la foultitude de récompenses que le film a décroché. Et même quand on est dedans, c'est loin d'être une partie de plaisir ! Difficile donc de critiquer objectivement un film qui évoquera pour certains des situations ou des souvenirs pénibles. Ajoutez à ça la froideur du style d'Haneke, une mise en scène archi-dépouillée, des performances au cordeau de la part de Jean-Louis Trintignant et d'Emmanuelle Riva, bref difficile de faire plus réaliste et donc d'autant plus éprouvant.





Le pire, c'est qu'on a beau nourrir ces sentiments de rejet pendant toute la projection, le film s'impose dans notre mémoire et y laisse une trace forte et puissante. Alors ? Chef d'œuvre ? Difficile à dire. Amour se vit plus qu'il ne se regarde, c'est ce qui en fait, pour ceux qui l'oseront, une expérience à tenter. Inconfortable, certes, mais quelque part, unique.


mercredi 27 mars 2013

Zero Dark Thirty

Film de Kathryn Bigeow (2012), avec Jessica Chastain, Joel Edgerton, Jason Clarke, Chris Pratt, Kyle Chandler, etc...





















Après Démineurs, qui avait pas mal fait parler de lui il y a quelques années, la réalisatrice Kathryn Bigelow semble s'être spécialisée dans un genre à part: le film de guerre réaliste et couillu. En soi, ce n'est pas une mauvaise chose. Cela faisait des années que la réalisatrice signait avec talent des œuvres bien enlevées, aux sujets souvent originaux. Et puis tout d'un coup, toc toc badaboum, la voilà propulsée sous les projecteurs avec un film qui, s'il n'était pas vraiment mauvais, était tout de même un bon cran en-dessous des autres et ne méritait visiblement pas le déluge de récompenses qui lui sont tombées dessus. Allez comprendre.


Donc l'annonce de ce Zero Dark Thirty n'était pas franchement de nature à enthousiasmer le Strapontin. Direct, on pense que Bigelow va remettre le couvert, sauf qu'ici, elle manie des faits réels et particulièrement marquants, puisqu'elle y raconte la traque et l'exécution d'Oussama Ben Laden par l'armée américaine. On flaire donc encore plus le consensus critique inévitable, le film qui va mettre tout le monde d'accord et qui au final, n'aura pas grand'chose de neuf à proposer.






D'emblée, Bigelow ne prend pas de gants et chope le spectateur directement à la gorge avec une scène de torture électrisante qui met carrément les pieds dans le plat quant aux méthodes des américains pour obtenir leurs informations. Ça, on dirait presque que c'est pour la polémique, parce qu'on embraye ensuite sur l'itinéraire - pas toujours intéressant - d'une jeune et jolie agente de la CIA (Jessica Chastain, en rupture de Terrence Malick), qui va réussir à débusquer l'ennemi public numéro uno toute seule comme une grande. Cela nous vaut les inévitables séquences de confrontation avec ses supérieurs, qui bien évidemment refusent obstinément de la croire.




Après bien des palabres et pas mal de longueurs, on en arrive à l'assaut final. La bonne nouvelle, c'est que Bigelow a laissé tomber le style "caméra à l'épaule qui bouge tout le temps pour faire plus réaliste". La mauvaise nouvelle, c'est que sa mise en scène autrefois très punchy et vitaminée s'est très assagie. On me dira qu'il y a une volonté de réalisme derrière tout ça et qu'on n'est pas là pour faire du Rambo. D'accord, mais cela n'empêchait pas non plus la réalisatrice de faire preuve de davantage de personnalité. Après tout, après le carton de Démineurs, elle avait un peu le droit, non ?





Pour finir, Zero Dark Thirty nous laisse sur notre faim. Ni vraiment porté par un certain souffle, ni véritablement original dans sa mise en scène, le film n'implique jamais réellement le spectateur si ce n'est à un niveau strictement documentaire sur le déroulé des évènements. A ce propos, il est plutôt déconcertant de voir l'homme le plus recherché du monde se faire abattre comme un lapin par un G.I. qui se contente de l'appeler par son prénom pour le faire sortir de sa cachette ! C'est probablement le seul moment de réelle surprise dans un film somme toute archi-convenu.


dimanche 24 mars 2013

Le Limier

(Sleuth)

Film de Joseph L. Mankiewicz (1973), avec Laurence Olivier, Michael Caine, Alec Cawthorne, Margo Channing, etc...




























 

A la fois film policier, satire, comédie de mœurs et suspense, Sleuth se classe parmi ces œuvres uniques et intemporelles qui vous laissent bluffé. Classique Strapontinesque par excellence, c'est aussi le testament d'un metteur en scène unique, Joseph L. Mankiewicz.
Retour sur un huis-clos stylé et impitoyable.



Sleuth fait partie de ces films font il est a priori très difficile de parler sans révéler les différents tentants et aboutissants de l'intrigue. A la base, c'est une pièce d'Anthony Shaffer, un scénariste à qui on doit tout de même quelques œuvres plutôt marquantes, comme Frenzy (l'avant-dernier Hitchcock), et surtout The Wicker Man, un film culte définitivement inclassable. La pièce, déjà un gros succès au théâtre, a donc tout naturellement intéressé Hollywood, mais sans pour autant déchaîner l'enthousiasme des grosses maisons de production. Au contraire, il a été produit avec de petits moyens, par une compagnie indépendante depuis disparue, Palomar Pictures International. Comme elle l'a fait plusieurs fois à cette époque, la Fox s'est portée acquéreuse des droits de distribution internationaux.





Assez curieusement, bien que mis en place avec une équipe et des acteurs anglais, c'est à un réalisateur américain qu'on fait appel pour Sleuth. Et pas n'importe lequel, puisqu'il s'agit de Joseph L. Mankiewicz. Résumons un peu pour les novices: Mankiewicz, c'est le triomphe du dialogue au cinéma. Ses films sont des petits joyaux, dans lesquels les personnages sont toujours remarquablement définis en quelques répliques. Bénéficiant toujours d'un texte brillantissime, ils n'en oublient pas pour autant la notion de cinéma, et même s'ils peuvent paraître parfois arides ou pauvres sur le plan visuel, ils possèdent toujours un formidable sens de la dramaturgie et de la construction dramatique.




En même temps, Mankiewicz est un franc-tireur, dont la carrière a connu des hauts et des bas. Oscarisé avec All About Eve, il fera aussi partie de la débacle Cléopatre, qui entraînera la faillite de la Fox et du même coup obligera le réalisateur à s'orienter vers des projets moins ambitieux, mais dont il saura néanmoins faire de petites perles, comme son incursion westernienne Le Reptile, chroniqué ici même sur votre blog favori. Sleuth sera tourné 2 ans après et Mankiewicz y réinventera le suspense policier de la même façon dont il s'était réapproprié le western dans son précédent film.


Ce qui est fascinant dans Sleuth, c'est de constater combien il regroupe les thèmes chers au réalisateur, la manipulation en particulier, ici axée sur le principe du jeu. Mankiewicz déclarait d'ailleurs: "ce qui me fascine, c'est le jeu et la manière dont en définitive le jeu finit par se jouer de nous". Sur ce principe, les deux personnages vont de livrer à un duel à mort, dans lequel la haine et l'humiliation triomphent à tour de rôle. Sleuth, c'est du Agatha Christie revisité, littéralement dynamité par une étude de caractère à la fois cruelle et implacable.



Le point de départ est une simple affaire d'adultère: Andrew Wyke, célèbre romancier, invite chez lui l'amant de sa femme, Milo Tindle, dans le but de lui proposer un marché. Impossible d'en dire plus sans déflorer les nombreuses surprises qui jalonnent le film. Mankiewicz y manie avec brio l'art du coup de théâtre, sans que cela paraisse artificiel ou tiré par les cheveux. Tout au contraire, Sleuth acquiert ainsi une dimension vertigineuse, tant le jeu qui s'y joue apparaît vite comme démesuré, aussi bien dans ses enjeux que dans sa cruauté.





 

 
C'est également l'occasion pour Mankiewicz d'aborder une fois de plus un de ses thèmes de prédilection: la lutte des classes. Partout dans son œuvre, chacun veut paraître plus qu'il n'est réellement, et les personnages de Sleuth s'intègrent tout naturellement dans cette thématique. Pour Wyke, le jeu n'est qu'un moyen pour humilier Tindle, petit immigré italien qui a le culot d'avoir voulu "devenir anglais". C'est la lutte de l'aristocrate contre le parvenu, et tout le génie de l'intrigue, c'est d'avoir fait de cette différence de classes le véritable moteur de l'action, sans pour autant qu'elle soit directement perceptible par le spectateur.




Le dialogue est, à cet égard un véritable joyau d'humour et d'observation. Ce n'est pas un dialogue facile et artificiel, dans lequel on recherche les bons mots, mais plutôt, comme toujours chez Mankiewicz, un instrument primordial pour définir les personnages. Mieux, les mots y sont utilisés comme de véritables armes, que chacun manie pour mettre à terre son adversaire, mais aussi pour défendre sa classe sociale. Le dialogue est parfois d'une très grande intensité comme dans la scène où Tindle relate à Wyke son ressenti par rapport à la "partie" qu'ils viennent de disputer. C'est du grand art, porté par deux acteurs exceptionnels.








On pourra reprocher au film son côté théâtral et il est vrai que Sleuth ne fait rien pour dissimuler le fait qu'il adapte une pièce. La mise en scène est constamment au service des personnages, elle est très effacée et ne cherche pas à éblouir inutilement avec des travellings sophistiqués. Tout au contraire, la photographie reste très neutre et ne se permet que quelques rares mouvements de caméra à des moments décisifs, comme pour cerner les personnages l'un face à l'autre.





Malgré tout, Sleuth ressemble à tout sauf du théâtre filmé, car même si la réalisation s'efface derrière le jeu des acteurs, la direction artistique contribue à définir plus précisément le personnage de Wyke, au travers des décors et de leur aménagement. Alors que le labyrinthe du début préfigure les revirements de l'intrigue, le moindre détail de la maison est organisé autour de l'univers de la manipulation: le romancier règle en maître au beau milieu d'une foule d'automates ou de jeux dont il est le seul à connaître les règles. Il faut saluer ici le travail de Ken Adam, décorateur habituel des James Bond, qui est arrivé à donner vie à cet univers si particulier.

 



 

Formidable jeu de piste dans lequel le spectateur se perd avec bonheur, Sleuth prend plaisir à nous égarer, à nous manipuler, à tel point que nous rentrons nous aussi dans sa thématique. Ce jeu de miroirs fascinant est aussi, par la finesse de son scénario, une subtile étude de caractères dont la richesse éblouit à chaque vision. Un authentique chef d'œuvre, qui est aussi une merveilleuse sortie de scène pour un Mankiewicz malicieux, qui n'a jamais été aussi spirituel et machiavélique qu'ici. Tout simplement éblouissant.




 

 
Arrêts sur Images:
ATTENTION!  
Plus que pour tout autre film, la surprise est au cœur même du Limier.
L'analyse qui suit révèle des éléments très importants de l'intrigue.
Il est donc plus que souhaitable, sinon recommandé, de ne les lire qu'après avoir vu le film.




Le Trombinoscope
Laurence Olivier trouve ici le dernier bon rôle de sa carrière, avant de s'égarer dans une suite de nanars alimentaires. Son Andrew Wyke est merveilleusement excessif, mélange d'onctuosité, de cruauté et de démesure. En face de lui, Michael Caine est excellent, d'abord timide et réservé, avant de montrer les dents dès que l'intrigue se corse. C'est tout bonnement un des meilleurs rôles.


Laurence Olivier
Michael Caine
Alec Cawthorne
Eve Channing



Pour mieux nous rouler dans la farine, Mankiewicz, roublard jusqu'au bout, créera de toute pièce un générique bidon, avec de faux noms d'acteurs, dont l'un (Eve Channing) est une référence directe à All About Eve. On raconte que c'est l'actrice Joanne Woodward, l'épouse de Paul Newman, qui a servi de modèle au portrait de Madeleine.


 



Le Générique
Dès le début du film, la notion de mise en scène est présente, avec une suite de tableaux, censés représenter les œuvres de Wyke. Ils sont présentés comme sur une scène de théatre: Sleuth ne cache donc pas ses origines.




La transition avec l'action réelle se fait sur le plan de la voiture de Milo qui arrive. Symboliquement, l'action prend un double sens dès le départ: elle est placée sous le signe du théâtre, mais elle devient également la représentation d'un des romans de Wyke.


 



A l'inverse, lors de la fin du film, la caméra recule et l'image se fixe, transformant la conclusion en une autre des histoires créées par Wyke. C'est un ultime jeu de miroirs qui remet en perspective ce que nous venons de voir. Le rideau tombe sur l'action, mettant une nouvelle fois en avant la notion de théâtre (et qu'est-ce le théâtre, si ce n'est un jeu de plus ?)





Les Automates
Témoins muets de l'action, ils ponctuent et commentent subtilement le déroulé de l'intrigue, devenant presque des personnages à part entière. Le film met souvent l'accent sur la manière dont ils deviennent quasiment une émanation du "côté obscur" de Wyke. Après le "meurtre" de Tindle, on nous les montre tous en mouvement, comme pour une célébration.


 



A la fin du film, par contre, leurs mouvements sont dirigés par Milo, et ils se lancent dans une sorte de sarabande hystérique, dont la réalisation renforce encore plus le côté étrange et inquiétant par l'utilisation d'objectifs déformants.





Le Jeu
Symbole du film, il y est omniprésent, tant dans la progression de l'intrigue que dans la décoration.  L'accent est mis spontanément sur le fait que Wyke en soit le maître. Il est le seul à connaître le chemin hors du labyrinthe qui lui tient lieu de jardin (belle métaphore, en passant, sur le caractère tordu et tortueux de son esprit!), et lui seul sait comment manœuvrer les automates.


 


La fin, lors de laquelle les jouets échappent à son contrôle, c'est la défaite symbolique, la destruction de son univers. L'ambiance speedée dans laquelle évoluent les automates et le gros plan sur ses yeux laisse même supposer que Wyke a été vaincu psychologiquement et qu'il en a littéralement perdu la raison.






Version Originale ou Version Française ?
Sur le Strapontin, on ne taille pas systématiquement des costards aux VF. Dans les années 60/70, il y avait même un véritable talent dans ce domaine, et cela nous a valu des doublages particulièrement réussis, parfois même meilleurs que la version originale. Pour Sleuth, le cas est épineux. En effet, le dialogue y est tellement primordial et abondant que le voir en VO oblige à un effort de concentration plus qu' important, ce qui vous fait inévitablement perdre certaines nuances. D'un autre côté, la VF, doublée par Philippe Dumat et Dominique Paturel, est spontanée et finalement plutôt réussie. Bien entendu, on y perd la diction incomparable de Sir Laurence Olivier et le jeu sur les accents de Michael Caine, mais le doublage réussit à préserver l'esprit du film, ce qui n'est pas une mince affaire. Pour avoir vu les deux versions, le Strapontin avoue, au risque de s'attirer les foudres des cinéphiles intégristes, qu'il a pris davantage de plaisir à suivre le film en français. L'idéal reste de découvrir le film en VF, puis de s'envoyer ensuite la VO, pour le plaisir.



Logo et Slogan
Comme pas mal de films des années 70, le logo de Sleuth participe aux créations graphiques qui reflétaient l'esprit du film. L'image-clé de la loupe met l'accent sur l'aspect "détective" de l'intrigue. Elle est utilisée dans la bande-annonce, où elle passe en grossissant sur les noms des acteurs et du réalisateur, puis sera déclinée dans sa version graphique sur l'affiche du film.


 


Le slogan américain, "Think of the perfect crime, then go one step further..." ("Imaginez le crime parfait, puis allez un tout petit peu plus loin...") aiguille le spectateur vers les aspects plus tortueux de l'intrigue.



La Musique
J'ai des sentiments un peu partagés sur la musique de Sleuth. Autant j'admire le film, autant je trouve que la partition de John Addison est parfois un peu juste et arrive rarement à son niveau. Addison, c'est un spécialiste de la musique légère et enjouée, mais qui reste malgré tout un peu limité au niveau de la dramaturgie. Dès qu'il s'agit de suivre les personnages dans une intrigue particulièrement vertigineuse, le compositeur montre vite ses limites. Il arrive sans peine à donner une tonalité stylée, un peu "Agatha Christie" par l'utilisation du clavecin, mais le recours à la musique de cirque (justifiée dans le film par le déguisement de Milo) est un peu facile et lourdingue, presque à l'opposé de la finesse du film. Le disque de la B.O., devenu assez rare, a été réédité l'année dernière sur le label Intrada, et est disponible ici.





En DVD
C'est un peu la honte, mais il est carrément impossible de dénicher une édition de Sleuth dans notre beau pays. Diffusé quelques fois à la TV dans les années 70, édité en VHS par TF1 Vidéo, le film est virtuellement introuvable sur support DVD, si ce n'est dans une édition américaine qui date d'il y a au moins 10 ans. Lisible sur les platines françaises, le disque zone 1 possède la VF, mais malheureusement pas de sous-titrage français sur la version anglaise. L'image, sans être exceptionnelle, est d'une honnête moyenne, même si elle manque de contraste et de définition. En bonus pour les anglophiles, il y a une interview d'Anthony Shaffer, qui revient sur la genèse de la pièce et le tournage du film. Avis, donc, aux éditeurs vidéo ! Au lieu d'encombrer les linéaires de grosses bouses, occupez-vous donc un peu de votre patrimoine qui pourrit sur les étagères !

 

jeudi 14 mars 2013

Les Banlieusards

(The ‘Burbs)
Film de Joe Dante (1989), avec Tom Hanks, Carrie Fisher, Bruce Dern, Rick Ducommun, Henry Gibson, etc...




















 
La situation de base pourrait sortir d'un épisode déjanté de Desperate Housewives : les habitants d'un paisible petit lotissement voient un jour débarquer des voisins pas comme les autres, qui font des trucs vraiment pas catholiques, genre sortir les poubelles en voiture ou creuser dans leur jardin en pleine nuit sous une pluie battante. Tout cela va finir par alimenter la rumeur et les soupçons d'un petit groupe, mené par Ray Peterson (Tom Hanks).
 
 
Les américains n'ont pas, mais alors pas du tout aimé The 'Burbs, et ça se comprend un peu, tant le film se moque impitoyablement de l'esprit de voisinage tel qu'il se pratique outre-Atlantique. Laminé par la critique, boudé par le public, il se traîne du coup une réputation particulièrement désastreuse, à un point tel qu'il n'a même pas été distribué en France. Avec le temps, et aussi un peu grace à la vidéo, il a tout de même fini par trouver son public, devenant même au passage un mini film-culte, avec ses fans et ses sites dédiés.



 
 
 
 
Nous avons déjà parlé du cas Joe Dante qui, après avoir cartonné avec Gremlins, n'a jamais réellement réussi à retrouver les faveurs du grand public. Son cinéma, qui régale les cinéphiles, n'est pas toujours compris par le spectateur lambda, qui lui ne parvient pas à déchiffrer un style, à la fois hérité de la série B et des grands classiques américains style Capra. C'est un cinéma qui a su garder un esprit un peu gamin, qui n'a pas peur des clins d’œil et des citations, dans lesquels transparaît souvent la formidable culture du réalisateur.



 
Mais quelque part, les studios non plus ne comprennent pas Joe Dante, et The 'Burbs a sans doute participé à cette incompréhension. Au départ, il s'agît d'un film de commande, tourné pour la compagnie de production de Ron Howard, Imagine, sur un script signé Dana Olsen, également co-producteur. Dante n'a donc pas les coudées franches pour faire ce qu'il veut, et il se heurtera plusieurs fois aux diktats du studio, qui n'aime pas trop la direction que prend le film. La fin, de toute évidence, pose problème et personne ne sait très bien comment s'en dépatouiller.
 


 
Non content d'en rajouter un peu, Dante veut renforcer l'aspect social du film. Il veut faire du personnage de Tom Hanks un chômeur désœuvré, fraîchement licencié. L'acteur Kevin Mc Carthy tiendra d'ailleurs le rôle de son boss lors d'une séquence de rêve qui sera sabrée au montage. Exit toutes ces petites connotations, les producteurs laminent les intentions du réalisateur et choisissent de faire de The 'Burbs une bonne grosse comédie, fidèle aux canons du genre et sans la moindre aspérité.
 



 
On pourrait donc légitimement penser que le film a totalement échappé à Dante et qu'il ne reste pas grand-chose d'appréciable dedans. Or, surprise, le réalisateur a passé outre ces nombreux aléas pour nous donner en définitive une comédie particulièrement savoureuse. Il est certain que si The 'Burbs ne révolutionne pas l'histoire du cinéma, il s'avère être un portrait particulièrement cocasse et enjoué de la vie de banlieue et de la paranoïa qui en découle. Dante joue habilement sur les préjugés et les interprétations des uns et des autres pour dépeindre un univers en vase clos, où chacun s'épie, et dans lequel tout le monde est toujours à l'affut du moindre signe d'anormalité, prêt à pêter les plombs sur la base de faux-semblants.
 

 
Toute cette description est d'autant plus savoureuse qu'on y retrouve de nombreux habitués des films du réalisateur, dans des rôles taillés sur mesure. Tant pis si chacun en fait des tonnes, et si le casting hétéroclite ne fait pas dans la subtilité. Le film fonctionne sur un mode gentillet et inoffensif, avec, de temps à autre, quelques petites trouvailles de mise en scène qui font sourire. Ce n'est pas un film très personnel, mais on sent que Dante et son équipe ont pris plaisir à le faire et leur enthousiasme est communicatif.
 



 
Sur la fin, on sent poindre des velléités de critique sociale. Après avoir joué sur la méfiance et les idées toutes faites, Dante nous tire la couverture sous les pieds en nous rendant tout aussi coupables que ses protagonistes. Le discours de Tom Hanks sur la banlieue rebat les cartes en dénonçant les travers des uns et des autres, un peu comme s'il était resté quelques bribes de l'approche initiale plus culottée du réalisateur. Malheureusement, le film fait très vite machine arrière, repart en sens inverse et se termine en eau de boudin, sur une note beaucoup plus traditionnelle et prévisible.





Néanmoins, malgré ses nombreux handicaps, The 'Burbs s'avère tout de même être une comédie fort recommandable. Il lui manque peut-être ce soupçon de personnalité qui en aurait fait un grand film. Peut-être aussi que Joe Dante y a peut-être trop délaissé son humanisme à la Capra, mais en même temps, pouvait-on privilégier gentillesse et générosité dans un sujet qui soit aussi cynique à la base? Film de commande à moitié réussi (ou à moitié raté, dirons certains) à la loufoquerie clairement assumée, The 'Burbs est en tout cas un petit film éminemment sympathique. Même si, venant de Joe Dante, on en attendait peut-être un petit peu plus...

 
 
Le Trombi:
Chouette, encore un trombi maison à la fin du film !!! Outre les habitués de Joe Dante, qu'on retrouve dans des petits rôles (Miller et Picardo en éboueurs!), le film bénéficie d'un casting assez inspiré. Tom Hanks, qui n'avait pas encore fait sa percée dans les rôles dits sérieux, tient la vedette avec élégance. A ses côtés, Carrie Fisher en rupture de Star Wars, et un Bruce Dern qui deviendra avec ce film un des fidèles du réalisateur. On retrouve également Wendy Schaal, qu'on avait vue dans L'Aventure Intérieure, ainsi que Corey Feldman, révélé par Gremlins et Les Goonies. Dans des petits rôles, on retrouve également Rance Howard (le père de Ron Howard) et le scénariste Dana Olsen.

Rance Howard
Robert Picardo et Dick Miller
Dana Olsen (à gauche)

La Mise en Scène:
Joe Dante a beau ne pas avoir bénéficié d'une liberté artistique totale, plusieurs séquences du film portent sa patte. L'introduction, qui détourne le logo Universal, est une formidable prouesse visuelle. C'est une plongée vertigineuse sur le globe terrestre, qui nous amène directement sur les lieux de l'action. Réalisée par la firme d'effets spéciaux ILM, c'est une combinaison de peintures sur caches et de miniatures.


Joe Dante détourne également les codes de mise en scène avec la séquence où Tom Hanks et son voisin se décident à aller sonner chez les Klopek. On y reprend un effet utilisé dans les westerns spaghetti (un travelling sur un visage en gros plan) en lui rajoutant une chute inattendue (le chien).


La Photographie:
A la place de John Hora, qui signe habituellement la photo si particulière des films de Dante, c'est Robert Stevens qui s'y colle ici. Chef opérateur spécialisé dans les comédies, Stevens n'apporte pas vraiment de touche personnelle aux cadrages du film. Tout au plus reproduit-il le style très coloré de Hora dans une ou deux séquences, comme celle du rêve.


On reconnaît également une constante du style de Joe Dante, avec l'utilisation des dutch angles, ces plans où la caméra cadre à l'oblique.




La Musique:
Comme chacune des œuvres de Joe Dante, The 'Burbs sera mis en musique par Jerry Goldsmith. Nouvelle étape d'une collaboration fructueuse, la partition se met au diapason de la fantaisie débridée du film, n'hésitant pas à oser les effets musicaux les plus déconcertants. Aboiements de chien synthétisés, couinements, bruitages divers, rien n'est trop too much pour le compositeur qui livre ici une petite merveille d'inventivité. En même temps, Goldsmith sait aussi donner corps aux personnages avec des thèmes très variés, et il n'hésite pas à s'auto-parodier, en détournant le célèbre effet musical de Patton pour l'associer au personnage de vieille ganache militaire interprété par Bruce Dern. Assez curieusement, Dante voulait au départ une musique plus mélancolique, et le compositeur, travaillant d'après des musiques temporaires, lui aurait demandé: "Tu es certain de vouloir que ce soit aussi triste?". Au final, la composition de Goldsmith est aux antipodes de cette approche, et tout à fait dans la tonalité loufoque du film. Compte tenu du flop financier, il faudra attendre 3 ans pour qu'un album soit édité, hélas dans une série hyper-limitée, ce qui en fera d'office un collector. Rebelote en 2007, pour une réédition augmentée de plusieurs morceaux supplémentaires, mais qui s'arrachera elle aussi en l'espace de quelques jours...







La Fin Alternative:
Surprise! Si vous arrivez à mettre la main sur le DVD américain du film, un bonus exclusif vous y attend, sous la forme d'une fin alternative. De manière assez curieuse, ce supplément n'est d'ailleurs même pas mentionné sur la jaquette. Du coup, lorsqu'on connait l'historique de la production tumultueuse du film, on en salive d'avance. On se calme! La fin qui est proposée ici est tout à fait anecdotique, et n'est en fait qu'une variation, un peu moins burlesque de la conclusion existante. Le docteur Klopek est surpris par les voisins alors qu'il s'apprête à tuer Ray. Arrêté par la police, il se lance dans un plaidoyer pour expliquer à tous son désir de s'intégrer. La seule surprise vient de l'accompagnement musical, très mélancolique, puisqu'il s'agit d'un des thèmes de Mais Qui a Tué Harry, de Bernard Herrmann. Un vestige de l'approche initiale voulue par Dante, mais apparemment rejetée par les producteurs.