jeudi 28 février 2013

Skyfall

Film de Sam Mendes (2012), avec Daniel Craig, Javier Bardem, Judi Dench, Ralph Fiennes, Albert Finney, etc...












 



La saga Bond, c'est quand même quelque chose d'assez particulier. Inévitablement, tout cinéphile qui se respecte possède sa petite madeleine dans la série, et forcément ça invite à l'indulgence. Bond (enfin, soyons juste, les Bond girls surtout), ça a taquiné les hormones des adolescents que nous étions. Bref, Bond, c'est un truc de mec. Dans le parcours du mordu de ciné ado, on y vient généralement après les Disney, et c'est quasiment devenu une institution. Diantre! Quelle série peut aujourd'hui se vanter d'afficher 50 ans et 23 films au compteur ? C'est pas rien! Ian Fleming était certainement à des lieues de se douter que son héros de roman allait devenir une véritable icône.


En fait, plus qu'une série, Bond c'est une franchise, que ses créateurs, la société Eon Productions, font évoluer bon an mal an, avec quelques petits loupés par-ci par-là. On se souvient encore de l'approche pépère d'Albert Broccoli, un des pères fondateurs de la saga, puis des différents relookings que cette dernière aura subi. Mais bon, il faut tout de même être honnête: la série a été souvent trahie par ses réalisateurs. Les premiers opus, signés par de gentils tâcherons (Terence Young, Lewis Gilbert) ne brillaient pas par leur style, et la production avait joué la sécurité en confiant les derniers à des réalisateurs à l'aise dans l'action (Martin Campbell, Lee Tamahori).

Aussi, surprise de constater que pour ce dernier épisode, on soit allé chercher quelqu'un comme Sam Mendes. Mendes, c'est Américan Beauty, Jarhead, Les Noces Rebelles ... un univers qui n'a carrément rien à voir avec l'agent 007. La curiosité était donc de mise pour ce Skyfall, et ceci d'autant plus que le précédent, Quantum of Solace, était probablement un des plus mauvais films de la série. Alors que tout le monde avait salué avec Casino Royale la renaissance du mythe Bond, Mark Forster avait carrément ramené la série au niveau zéro.


Skyfall devait donc sacrément surprendre pour convaincre. Et il faut avouer que le résultat, s'il ne paraît pas aussi novateur qu'un Casino Royale, est tout de même bigrement réussi. Pourtant, assez paradoxalement, le film fait tout pour se démarquer des éléments clés de la série: assez peu d'action, pratiquement pas de parenthèses touristiques. Le super agent secret est ramené tout en bas de l'échelle, il n'est plus aussi en forme qu'avant et échoue même à ses tests de remise en service. Quant a Q, le pourvoyeur de gadgets, ce n'est plus un vieillard malicieux mais un simple geek, qui lui remet en tout et pour tout... un revolver! Plus dépouillé, tu meurs!


Cette remise à plat des fondamentaux de la série est tellement excessive que passé le pré-générique musclé, on se demande vraiment comment le film va fonctionner. En fait, le truc c'est que Skyfall est davantage un vrai film d'espionnage qu'un véritable James Bond. Déjà, sur le plan esthétique, la remarquable photographie de Roger Deakins change carrément la donne. A la fois stylée et originale, elle se démarque radicalement des cadrages pantouflards auxquels nous a habitués la série. Enfin, la séquence de fusillade dans la maison familiale évoque plus volontiers le souvenir des Chiens de Paille de Peckinpah que les cabrioles qui ont fait les beaux jours de l'agent 007.


Seule concession au passé, le scénario, toujours immanquablement signé par le tandem Neil Purvis/Robert Wade, et qui est vraiment le point faible du film. Puisqu'on était dans une telle logique de renouvellement, pourquoi ne pas avoir aussi fait le ménage dans ce domaine-là ? C'est le cinquième film de la saga qu'ils co-signent, et pas toujours avec une très grande originalité. Quitte à refaire la déco, il serait peut-être temps d'injecter un peau de sang neuf dans un des ingrédients les plus importants de la série.




En dépit de cela, Skyfall est une étape plutôt brillante dans l'évolution de la franchise. Mendes n'y a pas vraiment imprimé son style, mais il n'a pas non plus fourni un boulot de tâcheron. L'émotion est au rendez-vous, Bond y gagne un petit peu plus d'épaisseur, et on y introduit en douceur de nouveaux personnages-clés, qui permettront certainement à la saga de rebondir (sans mauvais jeu de mot!) pour une nouvelle génération. Skyfall ou comment se réinventer en douceur, sans pour autant laisser le spectateur et les fans sur le bas-côté. Bien joué, 007!



Le Trombi:
De nouveaux visages dans la saga Bond pour ce 23ème opus. La plus grosse surprise, c'est Ralph Fiennes qui, mine de rien, a réussi après Harry Potter l'exploit de se caser dans deux des franchises les plus rentables qui soient à l'heure actuelle! Ben Whishaw, dans le rôle de Q, tenait il y a quelques années le rôle principal du Parfum. On est aussi bien contents de revoir Albert Finney dans un rôle savoureux. Enfin, si le visage de Rory Kinnear vous dit quelque chose, c'est normal: son père Roy Kinnear fût l'un des seconds rôles les plus populaires du cinéma anglais.

Daniel Craig
Javier Bardem
Judi Dench
Albert Finney
Ralph Fiennes
Ben Whishaw
Rory Kinnear
Naomie Harris
Le Générique:
C'est toujours un moment privilégié dans la série. Finis les collages pop-art de Maurice Binder, depuis l'évolution des images de synthèse, la conception des génériques a fait un énorme bond en avant, ce qui a donné des résultats plus ou moins heureux. Le générique de Skyfall est une petite merveille qui laisse tomber le côté trop lisse et synthétique de l'animation par ordinateur et crée une séquence onirique qui résume brillamment le film. Porté par la très "bondienne" chanson d'Adèle, il se classe sans mal parmi les plus belles réussites de la saga.


La Photographie:
Plutôt surprenant de voir le chef opérateur des frères Coen au générique d'un James Bond! C'est clairement grâce à Sam Mendes, avec qui il avait travaillé sur Jarhead et Revolutionary Road, que Roger Deakins a été choisi pour la photographie de Skyfall. Et c'est une excellente chose, car cela apporte un plus non négligeable au film, tant au niveau de l'atmosphère que de l'esthétisme. Passant avec habileté des tons chauds du pré-générique à la froideur des souterrains du MI6, Deakins prouve, s'il en était encore besoin qu'il est l'un des meilleurs directeurs photo actuels. La diversité de l'intrigue lui permet de jouer sur une palette assez impressionnante, qui achève de faire de Skyfall le film le plus impressionnant de la série sur le plan visuel.


vendredi 22 février 2013

Les Descendants

(The Descendants)
Film d'Alexander Payne (2011), avec George Clooney, Shailene Woodley, Amara Miller, Nick Krause, Patricia Hastie, etc...
















 
 

Ah que voilà une surprise qu'elle est bonne! Un film dont on n'attend pas franchement des merveilles, qu'on s'imagine traiter de certains trucs pas vraiment passionnants, et qui au final se révèle être sacrément bon... et sans rapport aucun avec l'idée qu'on pouvait s'en faire. C'est vrai qu'au vu de l'affiche et du titre, ça faisait pas vraiment envie. Mais bon, au diable les idées préconçues, après tout c'est bien le credo du Strapontin: attendez-vous à l'inattendu!

 

 
Donc, au départ, on se pense embringué dans une saga familiale sur le partage d'une grande propriété à Hawaï, sauf qu'en définitive, tout le film va s'articuler autour d'un accident qui a plongé la femme de George Clooney dans un coma irréversible. Dès lors, The Descendants va devenir une chronique familiale douce-amère, dans laquelle un père va, petit à petit, découvrir des choses qu'il ignorait sur sa femme. En révéler trop sur l'intrigue gâcherait la surprise de la découverte. Il suffit juste de dire que le film qui en résulte est un des plus sympathiques et des plus touchants qu'on ait vu depuis bien longtemps.
 
 
 

Clooney, en père de famille largué par ses deux filles, est excellent, même si on a un peu du mal à croire que Mister Nespresso puisse être aussi misérable que le héros du film. The Descendants donne une dimension à la fois humoristique et attendrissante aux rapports qu'il entretient avec elles. C'est finalement un itinéraire de découverte auquel on nous convie, quelque chose de très personnel mais qui sait rester drôle et attachant et ne verse jamais, malgré le sujet, dans l'apitoiement ou la larme facile.
 
 
 

Une belle découverte, donc, bercée par une bande son on ne peut plus cool et 100% hawaian style. Ne vous laissez donc pas rebuter par ce que vous pourrez connaître du sujet, et laissez vous embarquer pour cette tranche de vie au ton unique et définitivement enthousiasmant. Vous ne le regretterez pas.
 
 
 

samedi 16 février 2013

Psychose

(Psycho)
Film d'Alfred Hitchcock (1960), avec Anthony Perkins, Janet Leigh, John Gavin, Martin Balsam, Vera Miles, John Mc Intyre, etc






 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Psycho occupe une place à part dans la filmographie d’Alfred Hitchcock. Bien qu’il soit devenu au fil des ans son film le plus célèbre, on oublie facilement  combien cela a été un véritable pari artistique pour le réalisateur. Aujourd’hui, Psycho est décortiqué dans les écoles de cinéma, et le Strapontin ne va pas être en reste. Retour sur un des films essentiels du Maître du Suspense.
 
 
Quand Hitchcock décide de tourner Psycho, il vient d’achever le tournage de North By Northwest (La Mort aux Trousses), un autre de ses chefs d’œuvre, et accessoirement un film à gros budget. Reconnu par le grand public, il a su imposer son style et sa marque de fabrique et arrive à une période de sa carrière où il n’a plus rien à prouver. Lorsqu’il découvre le roman de Robert Bloch, il est tellement séduit qu’il en achète les droits sous un faux nom. C’est alors que se posent plusieurs problèmes. Visiblement, il est hors de question, vu le contenu violent du film, de le tourner en couleurs. Pour limiter les frais, le réalisateur a l’idée d’utiliser les services de l’équipe technique de sa série TV, Alfred Hitchcock Presents. Psycho sera donc tourné en noir et blanc, pour un budget plus que modeste.
 
 
 

Du coup, libéré des contraintes du studio et des producteurs, Hitchcock va faire de son film une œuvre carrément expérimentale, testant avec elles toutes les limites, que ce soit au niveau de la mise en scène que de la construction dramatique, titillant même un peu la Censure au passage... Et si Psycho a aussi durablement marqué les esprits, c'est essentiellement parce qu'il s'agit d'un film particulièrement innovant dans de nombreux domaines. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'il a été depuis pillé par une horde de metteurs en scène avec plus ou moins de bonheur.

 

 



Pour mieux situer l'impact de Psycho lors de sa sortie, il faut se souvenir de la réputation dont jouissait Hitchcock a l'époque. Réalisateur de films à suspense "familiaux", il avait su utiliser intelligemment la télévision pour populariser son image, avec la série Alfred Hitchcock Presents. En même temps, son cinéma était en train d'évoluer lentement vers des thèmes plus sombres et plus profonds, et le réalisateur n'hésitait déjà pas à prendre d'énormes risques sur le plan artistique, comme le prouvait déjà un film comme Vertigo, totalement en rupture avec tout ce qui pouvait se faire à l'époque.




 
Dès le départ, Psycho innove sur le plan de la construction. Durant toute la première partie du film, Hitchcock égare le spectateur. L'intrigue est centrée sur Marion Crane (Janet Leigh), une jeune femme qui vole 50.000 dollars à son employeur et prend la fuite. Le réalisateur accentue l'importance de l'argent au cours de séquences quasiment muettes, qui racontent l'histoire sans le support du moindre dialogue. Le spectateur est impliqué dans le vol, et prend fait et cause pour l'héroïne, qu'il suit dans son périple en espérant qu'elle ne sera pas prise. Ponctuellement, plusieurs menaces se rajoutent au parcours de Marion: un policier suspicieux, un vendeur de voitures. En même temps, Hitchcock garde à toute cette partie du film un profond réalisme: Marion n'est pas une voleuse professionnelle, et son comportement trahit son inexpérience. Cela rajoute un élément d'identification supplémentaire pour le spectateur, et reste parfaitement dans la logique Hitchcocokienne du personnage ordinaire pris dans des circonstances extraordinaires.


Visuellement, c'est du grand art, et le réalisateur manie avec une dextérité incroyable tous les éléments de son histoire. La musique oppressante de Bernard Herrmann crée un sentiment d'urgence et de menace absolument incroyable et s'associe aux images pour mieux nous faire vivre les sentiments de Marion. Le hasard l'amène jusque dans un motel égaré au bord de la route, sous une pluie battante, et c'est là que le film va complètement bifurquer. Une dernière fois, Hitchcock nous piège en insistant sur le fait que Marion puisse être dénoncée, puis c'est la plongée dans l'inconnu.


 
Tout le monde connaît la fameuse séquence du meurtre sous la douche. Sur le plan technique, déjà, c'est un accomplissement énorme. Près d'une douzaine d'angles différents, environ 50 changements de plan, le tout sur une durée d'à peine plus d'une minute. C'est aussi une illusion complète, puisqu'on ne voit le couteau toucher le corps que dans un seul plan très bref. Mais en sur-découpant la scène, Hitchcock en accentue la violence et le côté brutal. C'est aussi très audacieux sur le plan dramatique puisqu'en un instant, le réalisateur prive le public de son seul point d'identification, sa vedette principale, et le laisse totalement égaré au beau milieu d'une nouvelle histoire. Pire encore, il lui demande de s'identifier à Norman, un jeune homme un peu gauche qui couvre les agissements de sa mère qui "perd un peu la tête de temps en temps".


 
Psycho est un véritable jeu dans lequel Hitchcock manipule totalement le spectateur. Comme il l'a dit à Truffaut, "avec ce film, je faisais de la direction de spectateurs comme si je jouais de l'orgue". Sur le plan stylistique aussi, Psycho n'a plus grand'chose à voir avec les films précédents du metteur en scène: c'est une oeuvre sombre, torturée, dans laquelle il y a peu d'humour. En même temps, on y retrouve tout de même ses thèmes de prédilection, comme le double, qu'il avait brillamment exploité dans North By Northwest ou Vertigo. Il y a également toute une méditation sur la culpabilité, et Mrs. Bates, la mère de Norman, trouve tout naturellement sa place parmi les mères abusives déjà dépeintes par le réalisateur.


 
Chaque plan, chaque image de Psycho montre un Hitchcock au sommet de son talent, et n'hésitant pas à malmener le spectateur à tout bout de champ, à tel point que l'on traverse le film un peu comme une sorte de cauchemar éveillé. Sur le plan visuel, bien que tourné avec des moyens réduits, Psycho possède une "patte" indéniable, et il est difficile d'oublier certaines séquences comme la fuite de Marion sous une pluie battante, un moment magique dans lequel la musique se synchronise aux essuies-glaces de sa voiture pour nous emmener toujours plus loin vers l'inconnu. Le générique de Saül Bass, avec ses lignes verticales et horizontales qui découpent l'écran, est également très novateur. Il crée instantanément un sentiment d’oppression, enfermant symboliquement les personnages et l'histoire comme dans une prison (faisant ainsi écho à une remarque de Norman sur le fait que nous soyons "tous prisonniers de notre propre piège").


Musicalement, le film est également très riche. Bernard Herrmann, musicien fétiche d'Hitchcock depuis déjà plusieurs films, livre ici un de ses chefs d’œuvre. Pour épouser la mise en scène en noir et blanc du réalisateur, le musicien a créé une partition monochrome, en n'utilisant que des instruments à cordes (violons, contrebasse). Habituellement associés aux scènes romantiques, ils sont ici détournés de leur utilisation habituelle, puisque les rythmes sont violents et appuyés.


 
Le paroxysme est atteint lors de la séquence de la douche, où la partition prend des allures de cris d'oiseaux. Hitchcock, qui était très rigoureux quant à l'utilisation de la musique, n'en voulait pas pour cette séquence, mais le résultat était tellement efficace qu'il a laissé carte blanche à son compositeur... et ce motif a été depuis sur-utilisé dans bon nombre de bandes son de films d'horreur. Outre ces moments de pur génie, la partition d'Herrmann est aussi remarquablement efficace pour nous identifier au personnage de Marion pendant tout le début du film. Depuis des thèmes lancinants qui évoquent la tentation du vol, jusqu'aux violons appuyés de la séquence de la fuite, la musique se cale littéralement sur le rythme cardiaque de l'héroïne.



 
La seconde partie du film peut paraître un peu plus pauvre et plus aride que la première, la faute sans doute au fait qu'Hitchcock est alors davantage préoccupé à faire avancer l'intrigue coute que coute. Il est clair que c'est alors le personnage de Norman Bates qui accapare l'attention du spectateur et même si les acteurs secondaires livrent des performances solides, ils paraissent un peu négligés par le réalisateur. Le fait d'avoir placé une scène extrêmement violente dans la première portion du film lui permet de maintenir l'angoisse pendant toute la seconde. C'est une structure dont sauront se souvenir pas mal de thrillers.



 
La révélation pourra, avec le recul, paraître un petit peu scolaire. On a souvent reproché à Hitchcock cette fameuse scène avec le psychiatre, qui décortique un peu trop les mécanismes qui ont poussé le tueur à agir. On peut concevoir cela comme une concession que ferait le réalisateur à son public: après l'avoir malmené pendant tout le film, il se sent comme redevable d'une explication détaillée vis-à-vis de lui. C'est le seul point faible du film.







Fort heureusement, il est bien vite compensé par une scène finale brillantissime, dans laquelle Norman Bates, totalement possédé par le personnage de sa mère, essaie de trouver une dernière échappatoire. C'est alors la voix intérieure de Mrs. Bates que nous entendons, condamnant son fils et se donnant une contenance devant les policiers afin de passer pour une innocente. "Je ne vais pas chasser cette mouche. Comme ça, ils verront, et ils diront : 'Elle ne ferait pas de mal à une mouche!'". Norman relève la tête et regarde le spectateur, nous renvoyant tous à nos propres ténèbres, et le film se termine sur le plan de la voiture de Marion, tractée hors de la boue, tel un monstre. Des lignes referment le cauchemar et le cinéma  à suspense ne sera plus jamais le même. Géant.


 



 
Arrêts sur Images:
ATTENTION!  
Ces focus techniques se concentrent sur la mise en scène de plusieurs séquences-clé du film.
Il va donc de soi qu'ils révèlent des informations importantes sur l’intrigue.
Il est donc souhaitable de ne les lire qu'après avoir vu le film.


Le Trombi:
Bien que Psycho soit assimilé à un thriller, donc un genre qui ne laisse pas, par définition, place aux grandes performances d'acteurs, il faut quand même reconnaître qu'Anthony Perkins n'a jamais retrouvé de rôle aussi troublant que celui de Norman Bates. Son jeu plein d'anxiété et de non-dits apporte une crédibilité hors-pair au personnage. Janet Leigh, dans un rôle plus ingrat, impose sa personnalité. Par contre, les second rôles (John Gavin, Martin Balsam, Vera Miles) sont plus effacés, l'intrigue ayant tendance à les négliger un peu. A noter que Vera Miles devait initialement tenir le rôle principal de Vertigo mais a été remplacée pour cause de grossesse. Quant à John Gavin, il fût l'un des candidats à la succession de Sean Connery dans le rôle de James Bond.

Anthony Perkins
Janet Leigh
John Gavin
Vera Miles
Martin Balsam
John Mc Intyre
Simon Oakland
Vaughn Taylor
Frank Albertson
Patricia Hitchcock
Mort Mills
Le Générique:
Conçu par le graphiste Saül Bass, il met le spectateur dans l'ambiance dès les premières secondes du film. Par opposition au générique de Vertigo, construit sur le motif de la spirale, celui de Psycho repose sur des lignes animées, qui découpent l’écran, représentation de la fuite de Marion, mais aussi créant des barreaux symboliques qui enferment les personnages  dans leurs propres pièges.


La Séquence d’introduction:
Hitchcock voulait ouvrir le film par un gigantesque travelling aérien, qui aurait commencé en plein désert pour arriver aux immeubles de la ville de Phoenix, puis à la fenêtre de la chambre d’hôtel. Faute de moyens, il fût contraint d’abandonner cette idée, et il n’en reste dans le film qu’un simple panoramique, puis un court travelling sur la fenêtre. Notons que l’indication du lieu et de la date se conforment à la charte graphique du générique, avec des blocs de lettre se déplaçant horizontalement sur l’écran. Cette approche visuelle (du plus grand au plus petit) est typique d'Hitchcock, qui l'a exploitée à de nombreuses reprises, notamment dans Les Enchaînés.


Le caméo d’Hitchcock:
Compte tenu de l’intensité dramatique du film, et afin de ne pas distraire outre mesure le spectateur, le réalisateur voulait que son apparition ait lieu le plus tôt possible. Il apparaît donc dans la deuxième séquence, à l’extérieur de l’agence immobilière où travaille Marion.


Le vol de l’argent:
Pour aiguiller le spectateur sur une fausse piste, Hitchcock met l’accent dès les premières scènes sur le vol de l’argent. L'approche est dépouillée et totalement visuelle: en quelques plans, le public a tout compris des intentions de Marion. La simple scène dans laquelle elle se prépare pour aller rejoindre son amant est entrecoupée de plans sur l’enveloppe pleine de billets, cadrée au fur et à mesure de plus en plus près. La musique de Bernard Herrmann amplifie l’effet avec une mélodie entêtante, qui taquine l’oreille du spectateur.


Autre exemple de narration par l'image: la séquence où Marion décide de changer de voiture afin de dissimuler sa fuite. Hitchcock, au lieu d'avoir recours au dialogue pour expliquer la situation, n'utilise que les images. Un simple montage sur des plaques minéralogiques suffit pour illustrer l'idée. Le dialogue ne sera utilisé que lorsque intervient le vendeur, là encore pour faire naître le suspense, puisque ce dernier devine que le comportement de Marion cache quelque chose.




La fuite:
C’est l’image qu’on retient après avoir vu Psycho : Marion au volant de sa voiture. Hitchcock donne à chacune de ces séquences une identité particulière, en lui ajoutant un élément de suspense supplémentaire (filature par la police, orage…). A noter une utilisation très intéressante du son, dans la scène où Marion s’imagine les réactions supposées de son entourage et où nous les entendons en voix off. Enfin, la musique est une fois encore placée en avant, synchronisée sur les mouvements frénétiques des essuie-glaces de la voiture.


La douche:
C’est la séquence la plus célèbre du film. Outre le fait d’en faire le pivot même du film, Hitchcock a voulu expérimenter avec elle un montage très fragmenté, un sur-découpage de l’action qui servira ensuite de modèle à d’innombrables films.


De nombreuses légendes ont couru à propos de la séquence : elle aurait été dirigée par le consultant visuel Saül Bass, mais ceci a été démenti ensuite par l’équipe du film. Janet Leigh a été doublée pour certains plans et de la sauce au chocolat a été utilisée pour simuler le sang. Le raccord le plus fameux, celui de la bonde d’évacuation sur l’œil de Marion, a demandé énormément de préparation pour obtenir l’effet de tourbillon désiré.




Le meurtre d’Arbogast:
Pour l’autre séquence de meurtre du film, Hitchcock continue à innover en utilisant un point de vue inédit : la caméra accompagne littéralement la victime dans sa chute dans les escaliers. Pour ce faire, l’acteur Martin Balsam était assis sur une chaise à bascule placée devant un écran de transparence et gesticulait selon les besoins de la scène. Notons également que le réalisateur utilise un angle haut et éloigné pour éviter de montrer trop précisément l’identité de l’assassin. Cela crée également un très fort contraste avec le gros plan du visage d’Arbogast qui renforce l’impact de la scène.



Cacher la Mère:
Le but du jeu, c'est bien évidemment pour Hitchcock de dissimuler un personnage capital sans pour autant donner l'impression au spectateur qu'il cherche à le cacher. Pour cela il nous donne à entendre une dispute entre Norman et sa mère, et l'attention du public est à ce moment tellement détournée par la chamaillerie qu'il perd de vue le fait que la caméra filme sous des angles inhabituels. Un mouvement d'appareil la place en position haute, dans un cadrage similaire à celui du meurtre d'Arbogast. Le spectateur n'est donc pas désorienté car il a déjà vu l'action sous cet angle. Le réalisateur peut ainsi se permettre de montrer Mrs. Bates de loin, dans les bras de Norman.


La Séquence Finale:
Le monologue de la «mère » est entendu sur les images de Norman, seul dans sa cellule. Il faut noter à cet égard l’extraordinaire performance d’Anthony Perkins qui réussit à faire cohabiter, dans une séquence totalement muette, à l’aide de simples expressions la personnalité de sa mère et son propre statut de victime.


Petit détail qui peut passer inaperçu : sur le tout dernier plan de son visage, on peut voir discrètement en superposition le crâne de la mère.


 


Vendre Psychose:
Précurseur dans de nombreux domaines,, Hitchcock l’a également été dans le domaine de la promotion de ses films, en créant des bandes-annonces particulièrement savoureuses et innovantes. Pour celle de Psycho, il nous convie à une visite du Bates Motel et de la maison, tout en nous décrivant avec force détails ce qui s’y est passé. C’est très dans l’esprit des intros comiques qu’il faisait dans sa série Alfred Hitchcock Presents, avec un humour pince-sans-rire particulièrement réjouissant. Dans le dernier plan, le réalisateur tire le rideau de douche, révélant Marion qui hurle. Ce n’est pas Janet Leigh qui tiendra le rôle, car elle est indisponible à ce moment-là, mais Vera Miles (qui joue sa sœur dans le film) la remplacera.



Le logo, créé par Saül Bass, est également précurseur de certaines approches graphiques actuelles, dans lesquelles le design du titre reflète le ton du film. Les lettres, d'une police plutôt massive, sont déchirées comme l'est la personnalité du personnage principal.


Enfin, pour créer le buzz autour du film, Hitchcock aura l'idée géniale d'intensifier la participation du public à l'aide de deux idées particulièrement astucieuses. La première, consistait à interdire l'accès du cinéma après le début du film. Une règle plus ou moins dictée par la construction inhabituelle de l'intrigue: comme le disait Hitchcock, "les retardataires auraient attendu de voir Janet Leigh alors qu'elle avait déjà quitté le film les pieds devant!". Néanmoins, elle sera scrupuleusement suivie par les exploitants de salles et suscitera la curiosité. La seconde idée, c'est bien évidemment de demander aux spectateurs de ne pas révéler la fin du film car "nous n'en avons pas d'autre à vous proposer!".

 


Les Editions Vidéo :
Compte tenu de sa notoriété, Psycho est un des films d’Hitchcock qui a été le plus gâté au niveau de ses éditions vidéo. Le documentaliste Laurent Bouzereau a réalisé pour l’occasion un excellent making of qui dure pratiquement aussi longtemps que le film, et qui décortique tous l’historique du film, depuis sa conception jusqu’à sa sortie. C’est, comme toujours chez Bouzereau, hyper-documenté et particulièrement instructif. Il y a également une section d'archives photo plus que conséquente (tournage, matériel publicitaire...), et les storyboards de la séquence de la douche. Rien à redire donc, au niveau des éditions DVD. Attention toutefois, car certaines ne proposent pas les bonus.


Le film a eu récemment les honneurs d’une sortie en blu-ray, et je dois avouer en toute franchise que c’est l’un des plus beaux transferts que j’ai pu voir sur ce support : l’image offre un piqué et une qualité de détails vraiment exceptionnels. Pour la circonstance, la version originale mono a été entièrement retravaillée grâce aux merveilles de l’informatique, et le résultat est plutôt convaincant.

 



La Musique :
Indissociable du film, la musique de Bernard Herrmann a également connu de multiples éditions discographiques. On serait tenté de conseiller le réenregistrement dirigé par le compositeur (Unicorn UKCD 2021), mais le tempo y est un peu mou, bien loin de l’urgence de la version entendue dans le film. En définitive, c’est une version réenregistrée en 1997 sous la direction de Joel Mc Neely pour le label Varese Sarabande (VSD 5765) qui s’avère être la meilleure et la plus fidèle. Par curiosité, on peut se tourner vers la version de Danny Elfman pour le remake de Gus Van Sant (Virgin 72438 47657 2 9) qui est également très intéressante. A noter que lors de son édition laserdisc, Psycho proposait une piste musicale isolée, un supplément qui n’a jamais été ré-exploité depuis. La véritable bande sonore originale du film demeure donc totalement inédite à ce jour, les seules versions existantes étant des réenregistrements.