mercredi 20 mai 2015

Patton

Film de Franklin J. Schaffner (1970), avec George C. Scott, Karl Malden, Michael Bates, Edward Binns, Stephen Young, etc…

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“Mettez vous bien dans la tête qu’un connard n’a jamais gagné une guerre en mourant pour son pays.
On gagne une guerre en faisant ce qu’il faut pour que les pauvres connards d’en face meurent pour leur pays.”
 
Patton, un peu à l’image de son héros, est un film schizophrène, partagé entre le portrait virulent d’un “fou de guerre” et une réflexion qui charrie avec elle tout ce que le cinéma pouvait avoir de contestataire à la fin des années 60. C’est tout le paradoxe d’une major company comme la Fox, capable de produire à quelques années d’intervalle un brulot contestataire comme MASH et un grand spectacle comme celui-ci. Cette ambivalence qui fait de ce film l’un des plus particuliers du genre, riche et passionnant.


vlcsnap-2015-05-17-20h51m34s52Le biopic n’était pas un genre spécialement en vogue dans les années 60. Bien au contraire, les films de guerre misaient alors davantage sur la description d’évènements historiques, comme dans Le Jour Le Plus Long ou Paris Brule-t’il. C’est donc un angle particulièrement inédit qu’ont décidé d’adopter les producteurs du film, une entreprise plutôt audacieuse pour l’époque. En 1970, l’Amérique se débat dans le bourbier Vietnamien, et le cinéma se met au diapason de la contestation ambiante. Une œuvre grand public du style de MASH met délibérément et violemment les pieds dans le plat avec son antimilitarisme anarchiste.




vlcsnap-2015-05-17-19h54m06s161La Fox n’hésite pourtant pas à mettre en chantier cette énorme fresque militaire, et elle en confie la réalisation à Franklin J. Schaffner, qui vient de pulvériser le box-office avec le premier volet de La Planète des Singes. Schaffner, c’est un artiste discret qui, curieusement, est parvenu à imposer sa petite touche personnelle dans de grosses productions. Venu de la télévision, le réalisateur sait travailler à l’efficacité et gérer des tournages difficiles. Mais paradoxalement, il sait aussi injecter ce petit quelque chose de plus qui distinguera le film du tout-venant de la production de l’époque.





vlcsnap-2015-05-18-00h23m57s238Pour preuve, Patton, film sur lequel il n’a pas forcément les coudées franches et qui se distingue pourtant par de beaux partis-pris de mise en scène. Ainsi la fameuse scène d’ouverture ajoute à un dialogue brillantissime une approche visuelle inédite. Le drapeau américain immense devant lequel évolue George C. Scott est un élément graphique tellement inhabituel qu’il communique une ambiance presque irréelle à la scène. Du coup, pas besoin d’effets inutiles : la réalisation est au contraire très dépouillée, et tout ce qui fait vivre ce moment, c’est un extraordinaire travail d’acteur que l’approche visuelle transforme presque en icône pop art.




vlcsnap-2015-05-17-20h53m30s238Après cette entrée en matière qui surprend par sa crudité, le film hésite entre plusieurs approches opposées. L’accent est mis sur l’horreur de la guerre, davantage que dans les productions de la même époque, même si on est loin des déferlements gore que l’on peut voir à l’heure actuelle. On sent que le Vietnam est passé par là, et qu’il n’est plus question d’aborder la guerre sous un angle uniquement héroïque. Tout au contraire, Patton hésite constamment entre la glorification et la critique de son héros. On apprécie d’abord son franc-parler et son côté rentre dedans’, mais c’est pour mieux le déboulonner dans une seconde partie qui se montrera plus critique.




vlcsnap-2015-05-17-19h56m08s107On retrouve en filigrane la patte de Francis Ford Coppola, préposé au scénario. Le discours inaugural de Patton fait écho à la fameuse réplique “J’aime l’odeur du napalm au petit matin” d’Apocalypse Now, même si les deux œuvres n’ont pas grand chose en commun. Le film de Schaffner multiplie les angles d’approche radicalement différents sur la guerre, puisqu’elle est montrée sur un plan stratégique mais aussi humain. C’est à la fois une lutte d’influence entre généraux, mais aussi le quotidien des soldats qui donnent tout pour la victoire. Rarement un film de guerre aura-t’il livré une description aussi complète du conflit, prenant en compte chacune de ses composantes. Pas une mince affaire quand on sait que Patton résume à lui seul tout un pan de la Seconde Guerre Mondiale.



vlcsnap-2015-05-17-20h04m00s213La narration est très habile, et ne se perd jamais dans les détails pourtant abondants de toute cette fresque. Au contraire, Schaffner trouve même le moyen de nous surprendre en évoquant les croyances de son héros. Au cours d’une scène absolument magnifique, le général raconte une ancienne bataille entre Romains et Carthaginois comme s’il l’avait vécue (“J’y étais”). Il s’inscrit ainsi dans une thématique chère au réalisateur : la description de personnages en rupture avec leur époque, qui n’y sont pas véritablement intégrés ni réellement à leur place. Ce moment est une merveille de justesse, mis en scène très simplement, et portée par George C. Scott et la merveilleuse musique de Jerry Goldsmith.




vlcsnap-2015-05-17-20h59m54s44On ne peut parler de Patton sans mentionner son extraordinaire partition musicale, un des authentiques chefs d’œuvre de la musique de film. Elle décrit à la fois l’homme de guerre et ses multiples facettes, sa croyance en la réincarnation et son goût pour le combat. Utilisée avec une incroyable parcimonie (il y a tout juste 35 minutes de musique sur près de 3 heures de projection), elle sait, par le biais d’effets orchestraux, nous mettre dans l’esprit-même du personnage. La trompette et ses effets d’écho donnent corps à ces autres vies que le général prétend avoir vécues. D’une grande simplicité, la musique, tour à tour martiale et recueillie, accompagne et renforce les différents aspects du film.




vlcsnap-2015-05-17-23h07m43s111Patton suit bien évidemment la structure classique du biopic, qui veut que l’on cueille le personnage principal au sommet de sa gloire, puis qu’il suive un itinéraire dans lequel il va progressivement descendre au plus bas avant de triompher dans la dernière partie. Pourtant, le film s'ouvre sur les images dures de défaite et il reste très critique sur la personnalité du général, possédant une ambivalence qui en fait l’un des films les plus singuliers du genre. Ainsi, lorsque Patton demande à son aumônier une prière pour avoir du beau temps, Schaffner transforme la séquence en une sorte de manifeste contre la guerre, mais de manière très discrète, et sans jamais forcer le trait ni devenir caricatural.




vlcsnap-2015-05-17-23h02m58s81Cet aspect antimilitariste n'est pourtant pas brandi de manière excessive, mais au contraire traité avec une surprenante subtilité et incessamment mis en parallèle avec son contraire. Lorsque Patton, constatant au petit matin la défaite de ses hommes et se promenant parmi les corps  ensanglantés de ses soldats, fait cette surprenante confession ("J'aime ça ! Mon Dieu, j'aime ça ! Plus que ma propre vie"), on ne sait plus quoi penser d'un personnage qu'on pensait pourtant avoir compris.







vlcsnap-2015-05-17-20h59m30s11C'est également un souci constant de réalisme qui imprègne le film. Même si les rapports entre Patton et Montgomery sont montrés sur le ton de la plaisanterie, les tenants et aboutissants des différentes batailles sont décrits avec une grande clarté de style, ce qui n'est pas une mince affaire dans un film qui brasse autant d'informations. Enfin, pour une fois, les allemands ne sont pas dépeints de manière caricaturale et parlent leur propre langue,  tous les passages les concernant étant sous-titrés. Ce sont au contraire des adversaires cultivés, qui vont même jusqu’à admirer la personnalité hors normes  de leur opposant.




Tous ces éléments font de Patton un film hors du commun et unique en son genre. Portrait à la fois admiratif et très critique d'une figure historique, il réussit l'exploit d'intégrer des échos très contemporains, qui enrichissent une réflexion particulièrement intéressante sur la guerre. Avec ses multiples facettes et son souffle épique, le film réinvente le genre, au travers d’une réalisation aussi efficace qu’inspirée. Cet extraordinaire et flamboyant portrait, c’est aussi le chef d’œuvre de cet auteur atypique et modeste qu'était Franklin J. Schaffner. Immense.


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Autour du Film
 
vlcsnap-2015-05-17-23h03m51s151Grosse production oblige, Patton va bénéficier d’un budget plus que confortable de la part de la Fox, et pour donner vie à l’itinéraire du général, pas moins de 72 lieux de tournage différents seront utilisés, pour la plupart situés en Espagne, dans la région d’Almeria. L’armée espagnole disposant d’une impressionnante collection de chars de la Seconde Guerre Mondiale, ceux-ci seront abondamment utilisés dans le film, au risque de certains anachronismes (on y voit notamment des chars Patton, qui furent utilisés après la guerre).





vlcsnap-2015-05-16-18h06m09s160George C. Scott, qui trouve pourtant le rôle de sa vie dans le film, était loin d’être le premier choix pour interpréter le général. Des acteurs comme Rod Steiger, Burt Lancaster, Robert Mitchum ont refusé le rôle, et John Wayne a été écarté car il ne correspondait pas assez au personnage. Scott, une fois choisi, s’immergera dans la personnalité et la vie de Patton, en dépit du fait qu’il n’aimait pas particulièrement l’homme lui-même. Le maquilleur Dan Striepeke, qui avait été assistant maquilleur sur Planet of the Apes, altèrera un peu ses traits (en particulier son nez) pour accentuer la ressemblance, même s’il est clair que l’acteur s’approchera davantage de Patton par son interprétation que par son physique.





La collaboration entre George C. Scott et le réalisateur Franklin J. Schaffner se passera à merveille, les deux hommes retravailleront d’ailleurs ensemble sur l’excellent et mésestimé L’Ile des Adieux. Par contre, ils entreront en désaccord sur la séquence du discours, que Scott estime trop forte pour ouvrir le film. Afin de ne pas créer de tensions avec son acteur principal, Schaffner lui fera croire qu’elle sera située en début de seconde partie, pour finalement la placer en début de film.



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CaptureCélébré à la cérémonie des Oscars 1971, Patton remportera sept statuettes (Meilleur Film, Meilleur Acteur, Meilleur Scénario, Meilleur Réalisateur, Meilleur Son, Meilleure Direction Artistique et Meilleur Montage). Mais c’est George C. Scott qui fera le plus parler de lui en refusant carrément l’Oscar qui avait récompensé sa performance.

Assimilant la cérémonie à une “foire à la viande” et refusant d’être mie en compétition avec d’autres acteurs, il sera bien entendu absent lors de la remise, laissant le producteur Frank Mc Carthy récupérer la récompense à sa place. L’Oscar sera ensuite restitué à l’Académie. Scott avait émis le souhait qu’il soit remis au Patton Museum, mais ses instructions n’ayant jamais été formalisées par écrit, cela n’a jamais été fait.




La Photographie

Franklin J. Schaffner rompt carrément avec le style très brut de la photo de Planet Of The Apes. Ici, pas de caméra portée, pour une bonne et simple raison: le film utilise un nouveau procédé, le Dimension 150, un dérivé du 70 mm. censé garantir un champ de vision de 150 degrés (d’où son nom). Les caméras, très volumineuses, se prêtent donc assez mal à un style visuel trop exubérant. Cela n’empêche pas Fred Koenekamp de nous gratifier de quelques belles compositions, avec de temps à autre quelques cadrages surprenants, comme celui utilisé lors de la scène avec le général Montgomery. Dans la scène, ce dernier doit créer de la buée sur un miroir pour y dessiner un plan, et Schaffner nous le montre en très gros plan face caméra, ce qui ajoute une touche d’étrangeté plutôt incongrue mais assez bienvenue.


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La Musique 

vlcsnap-2015-05-17-19h49m19s118C'est Franklin J. Schaffner  lui même qui a insisté pour que Jerry Goldsmith signe la musique de Patton. Au départ, le compositeur devait en effet travailler sur le second volet de La Planète des Singes, mais le réalisateur avait tellement apprécié leur première collaboration et tenait tellement à l'avoir qu'il demandera à la Fox de casser son contrat. Le résultat, on le connaît: une musique en accord parfait non seulement avec le film mais avec son personnage principal.

Les expérimentations musicales du compositeur l'amèneront à utiliser l'Echoplex, un précurseur de la chambre d'écho, et le film est marqué à tout jamais par ces accords de trompette répétés à l'infini, qui donnent vie aux méditations du général sur la réincarnation. Goldsmith signe également une marche enjouée, qui traduit parfaitement la personnalité fonceuse de Patton. Malheureusement, bien que nominée, la partition ne remportera pas l'Oscar, les jurés préférant récompenser la guimauve de Francis Lai pour Love Story.

Par contre, la musique sera particulièrement bien traitée au niveau de son édition discographique, puisqu’elle sera réenregistrée à Londres pour la sortie de l'album. Le label 20th Century-Fox Records publiera le 33 tours sous sa forme originale, c'est à dire un panorama assez complet de la musique, avec en prime le discours d'ouverture. En 1997, Goldsmith réenregistrera la partition pour le label Varese mais le résultat n'est pas vraiment probant, à cause d'une prise de son mal adaptée. En 1999, c'est au tour du label Film Score Monthly de s'y coller, en utilisant les bandes originales, ce qui leur permet de sortir l'intégralité de la partition. C'est ensuite Intrada qui sort une édition qu'on peut qualifier de définitive, puisqu'elle regroupe à la fois les pistes originales remasterisées et l'album d'époque. On se tournera donc de préférence vers cette dernière version, toujours disponible sur le site de l'éditeur.


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En Vidéo
 
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Compte tenu de son important succès en salles, Patton est l’un des titres les plus prestigieux du catalogue Fox. Il a donc connu de multiples rééditions sur différents formats, les dinosaures nostalgiques du Strapontin ayant même connu l’édition VHS recadrée en “pan and scan” (une abomination) ! Ce fût l’un des premiers titres Fox à sortir en DVD en France, dans une édition simple, sans le moindre supplément. Du moins en France, car la version US contenait déjà un disque de suppléments … qu’on ne verra chez nous que 7 ans plus tard.





Le bonus le plus intéressant, c’est bien évidemment le reportage rétrospectif sur le film, d’ailleurs sous-titré A Tribute to Franklin J. Schaffner. Le doc revient en détail sur la production du film, avec des interventions de Richard Zanuck, président de la Fox à l’époque, du directeur de la photo Fred Koenekamp et du compositeur Jerry Goldsmith, plus des extraits d’interviews audio avec Schaffner et George C. Scott. Un document très complet, qui couvre tous les aspects liés au film, même si certains sont plutôt discutables. On se serait bien passé des interventions sensationnalistes d’Oliver Stone, qui prétend que la politique désastreuse de Nixon au Vietnam a été directement influencée par le fait que l’ex-président était un grand fan du film. Ben voyons !


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pc5Pour ce qui est du blu-ray, la première édition française, même si elle peut paraître d’une qualité plutôt honorable, est cependant à éviter. D’abord parce que les bonus ont été zappés, et ensuite parce que l’image a été passée au réducteur de bruit, ce qui a eu pour effet de lisser l’image, gommer le grain et aussi pas mal de détails. Plutôt désastreux lorsqu’on sait que Patton avait été filmé en utilisant un dérivé du 70 mm, le Dimension 150, ce qui devait garantir une image HD irréprochable. Une seconde version a été récemment éditée aux USA, qui respecte parfaitement l’image d’origine. Le seul problème, c’est que cette édition est pour l’instant cantonnée au marché américain, et que les éditeurs français ne semblent pas vraiment décidés à la sortir dans notre beau pays. Après tout, tant qu’un ancien master peut être fourgué à des consommateurs pas trop regardants, pourquoi se priver ? Il faudra donc patienter pour pouvoir profiter du chef d’œuvre de Schaffner dans une qualité digne de ce nom.

 

La Petite Madeleine

La rencontre entre Patton et le Strapontin, ça remonte à… bien longtemps ! Découvert à la télévision, à une époque où on pouvait encore voir des grands classiques en prime time, sans qu’ils ne soient entrecoupés de pub ou bien recadrés, sur la Une, qui se s’appelait pas encore TF1 à l’époque. Le film a été d’ailleurs été diffusé plusieurs fois sur les chaines Hertziennes. Mais la vraie révélation, c’est la projection récente à la Cinémathèque d’une copie 70 mm, dans le cadre d’une rétrospective dédiée à ce format. Si le son était un peu à la ramasse, découvrir Patton sur grand écran dans son format natif était une expérience unique. M’accompagnait ce jour-là une complice de nombreuses sorties que le Strapontin a formé à la dure, au fil de très nombreuses pérégrinations cinéphiliques. Cette chronique lui est dédiée.

lundi 18 mai 2015

Légitime Violence

(Rolling Thunder)

Film de John Flynn (1977), avec William Devane, Tommy Lee Jones, Linda Haynes, James Best, Dabney Coleman, etc…

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Curieux parcours que celui de ce petit film des années 70. Sorti en catimini (il n’a d’ailleurs jamais réellement été distribué en France à l’époque), il s’est petit à petit taillé une modeste réputation, en grande partie parce que Paul Schrader en avait signé le scénario, et que l’intrigue n’était finalement pas si éloignée que ça du fameux Taxi Driver de Scorsese. Et puis, top du top, le film a récemment été consacré par Quentin Tarantino, qui a avoué qu’il faisait partie de son Top Ten et qui a même baptisé sa société de production d’après lui. Hé bé !



vlcsnap-2015-05-15-00h16m27s231Au Strapontin, on se rappelle surtout qu’à l’époque, on avait bien salivé sur un film qui n’était finalement jamais sorti en salles. Déjà, on était bien fan de William Devane, cet acteur découvert avec le Family Plot d’Hitchcock et le Marathon Man de Schlesinger. Ensuite, une intrigue en béton, avec un ancien du Vietnam, le major Charles Rane, qui se fait dérouiller sauvagement et se venge de ses agresseurs. Bref, ce qu’on appelle un bon vigilante movie. sauf que notre ami Devane se fait carrément déchiqueter la main dans un broyeur à ordures et règle ses comptes avec un crochet à rendre jaloux le capitaine dans Peter Pan.

 



 

vlcsnap-2015-05-15-00h19m54s226Vous imaginez donc que cette découverte avait pour le Strapontin quelque chose de très spécial. C’est d’ailleurs assez amusant de constater que, dans des cas comme celui-ci, le film qu’on construit dans sa tête est fichtrement plus enthousiasmant que celui qu’on découvre. Non que ce Rolling Thunder soit mauvais. Simplement, on en attend un peu plus de punch, et on se retrouve finalement devant un film très mollasson, ce qui, pour une histoire de vengeance, n’est pas vraiment pertinent. Alors oui, on nous en rajoute une tranche sur les problèmes de réadaptation des vétérans du Vietnam, mais la réalisation fait tellement série B que le message a du mal à passer.

 

 

 

vlcsnap-2015-05-15-00h13m07s38Car il y a de bonnes choses dans le scénario de Schrader, mais la mise en scène de John Flynn est tellement paresseuse qu’elle n’en tire jamais vraiment parti. Le héros se fait gentiment larguer par sa femme, qui s’est rapproché d’un voisin flic pendant sa captivité, et le film est assez adroit pour nous faire ressentir la dureté de la situation, de même qu’il est plutôt touchant dans la description des rapports de Rane avec un fils qu’il n’a pas vu grandir. William Devane encaisse sans rien dire, déambule comme dans un rêve, se fait brancher par une serveuse mimi puis passer à tabac par une bande de loubards qui lui piquent son fric et tuent sa femme et son gosse. Carrément.

 

 

 

vlcsnap-2015-05-15-00h29m36s129La suite, c’est bien évidemment la vengeance proprement dite, qui est menée sur un rythme tellement amorphe qu’on finit très vite par s’en désintéresser. Le tout épicé de flashbacks lourdingues où le héros se fait torturer par les Viets, subtilement accompagnés d’une musique pataude. Heureusement, le film redresse la barre dans sa dernière séquence, un gunfight à la Peckinpah qui fleure bon le fusil à pompe et le canon scié. Ça défouraille franchement, avec en prime la participation d’un Tommy Lee Jones tout jeune et déjà sacrément bon.

 

 

 

Donc ma foi, ce Rolling Thunder nous laisse plutôt perplexe. Pas assez nerveux ni couillu pour un revenge movie, pas assez humain pour une réflexion sur le retour au civil des soldats du Vietnam, il rate constamment le coche, malgré un scénario solide. Seule consolation de cette série B sans conviction, William Devane est véritablement excellent, dans un jeu tout à l’économie qui fait vraiment regretter que cet acteur sous-estimé n’ait pas connu une carrière plus brillante.

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mardi 12 mai 2015

La Famille Bélier

Film d’Eric Lartigau (2014), avec François Damiens, Karin Viard, Louane Emera, Eric Elmosnino, Roxane Duran, etc…

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Franchement, vous savez quoi ? Eh ben j'y allais plutôt à reculons, comme dès qu'il s'agit de films qui font l'unanimité, on ne refait pas le Strapontin. En plus, le fait que la jeune star féminine ait été la révélation du télé-crochet de TF1, ça calmait aussi pas mal. Donc oui c'est vrai, on plaide coupable : La Famille Bélier, on avait zappé, malgré les bons conseils des uns et des autres, les "mais si, tu verras, c'est cool !".


 

vlcsnap-2015-05-12-23h08m34s198Il faut dire aussi que le CV du réalisateur Eric Lartigau était loin d'être une référence. Avec des casseroles comme Pamela Rose ou Un Ticket pour L'Espace, forcément ça incitait pas. Eh ben franchement vous savez quoi ? On aurait eu tort de se priver. Car si La Famille Bélier n'est pas le chef d'œuvre de l'année, c'est un exemple de ce que les américains appellent un feelgood movie, autrement dit le film qui vous file la pêche et d'où on ressort avec un sourire grand comme ça. 

 

 

 

 

vlcsnap-2015-05-12-23h10m49s253Pourtant, c'était pas gagné d'avance. Qui aurait misé un kopek sur la chronique d'une famille dont les parents sont sourds et dont la fille se révèle être une chanteuse hors-pair ? Raconté comme ça, ça donne pas vraiment envie, et pourtant. Le film évite d'entrée de jeu tout sentimentalisme inutile pour se définir comme une sorte de Little Miss Sunshine à la française, une comédie sans prétention avec de ci de là quelques belles idées et un regard tout sauf apitoyé sur les handicapés.

 

 

 


 

vlcsnap-2015-05-12-23h19m21s238Certes, vous me direz que le film aurait pu aller jusqu’au bout de sa logique et donner les deux rôles principaux à de vrais handicapés. Parce que c’est vrai, malgré tout, que François Damiens et Karin Viard, tout excellents qu’ils sont, ne s’effacent pas réellement derrière leurs personnages, et même s’ils sont plutôt crédibles, ils imposent avant tout leur propre image. De même, on peut déplorer certains bons gros clichés comme le personnage du prof de chant, impitoyable au début, mais qui se révèle être une véritable crème. Ou bien la première visite du petit ami, qui est carrément et forcément catastrophique. Et perso, je me serais bien passé d’entendre du Sardou, même super bien chanté, mais bon c’est affaire de gout.

 

 

 

vlcsnap-2015-05-12-23h17m52s97Là où le film emporte le morceau, c’est dans ses petits apartés surprenants. Pendant la première représentation de l’héroïne, la bande-son s’efface petit à petit pour laisser place à des vibrations, nous mettant carrément à la place des deux parents, heureux mais incapables de profiter pleinement du triomphe de leur enfant. C’est une belle idée, assez culotée et finalement émouvante, tout comme l’est la scène où le père tente de ressentir le chant de sa fille. Le final, par contre, est un petit peu trop classique et convenu pour être réellement convaincant. 

 

 

 

Pittoresque et agréable, La Famille Bélier, c’est un peu du cousu main aussi. Inévitablement, le public s’est retrouvé dans une comédie juste un peu différente des autres, qui exalte à fond les valeurs familiales. Mais comme les acteurs sont bons et les situations bien vues, on se laisse volontiers prendre au jeu, même si tout cela a un léger parfum de déjà vu et s’il n’en reste pas grand chose après la projection. Très agréable.

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jeudi 7 mai 2015

Sugarland Express

(The Sugarland Express)

Film de Steven Spielberg (1974), avec Goldie Hawn, William Atherton, Michael Sacks, Ben Johnson, Gregory Walcott, etc…

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Parmi tous les films de Steven Spielberg, on parle très peu, trop peu de Sugarland Express. Et ça se comprend un peu, car c’est un des rares films du réalisateur qui n’ait pas connu une carrière particulièrement flambante au box-office. Ensuite, on n’y trouve pas vraiment non plus les petits détails si typiques du style Spielbergien. C’est au contraire un film hésitant et pas très sûr de lui, malgré pourtant une indéniable aisance dans la mise en scène. Il faut donc le prendre davantage comme un galop d’essai que comme une œuvre à part entière.


vlcsnap-2015-04-28-12h34m40s193Spielberg a 26 ans quand il réalise Sugarland Express. A son actif, juste un téléfilm (mais quel téléfilm): Duel, qui a tellement enthousiasmé le public et la critique qu’il se verra distribué en salles à l’étranger, où il consacrera le réalisateur. A un point tel que les pontes d’Universal lui mangent dans la main, et que, du coup, lorsqu’il insiste pour mettre en scène le film, on ne lui dit pas vraiment non, bien que plusieurs personnes doutent (à raison) du potentiel commercial du film. Il est vrai qu’avec le recul, connaissant les thèmes fétiches du réalisateur, il est difficile de voir ce qui a bien pu l’accrocher dans cette adaptation d’un fait divers réel.


 

vlcsnap-2015-04-28-12h32m11s35Le film raconte la cavale d’un couple de délinquants qui prennent en otage un flic dans le but de récupérer leur enfant, dont on leur a retiré la garde. Dès le début, Sugarland Express se définit comme un road movie, qui se préoccupe davantage de croquer des vignettes pittoresques que d’essayer d’humaniser des personnages auxquels on peine à s’identifier. Le choix de Goldie Hawn n’est pas non plus totalement judicieux, tant l’actrice n’est jamais réellement parvenue à se défaire de l’image de blondinette rigolote qu’elle trimballe de film en film. C’est dommage, car le trio qu’elle forme avec William Atherton (qui joue son mari) et Michael Sacks (le flic) fonctionne plutôt bien.



vlcsnap-2015-04-28-12h47m25s247Sugarland Express est plus efficace lorsqu’il décrit tout ce petit monde qui gravite autour des fugitifs. Les flics d’abord, avec un Ben Johnson fidèle à lui-même en policier intègre et débonnaire. Puis il y a tout le barnum médiatique qui se met en place autour de la cavale, l’occasion pour Spielberg de moquer gentiment et sans cynisme exagéré cette tendance bien américaine. Pour un peu, on se croirait presque chez Robert Altman, avec cette insistance sur les médias et l’élan populaire suscité par la situation.




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Déjà, on sent à l’œuvre, dans la réalisation, un sens de la mise en place et de la narration, même s’il est rendu moins évident par la nature de l’histoire. Il y a quelques jolis moments inattendus, comme celui où le couple trouve refuge sur le parking d’un vendeur de voitures et se marre en regardant un dessin animé. L’espace de quelques minutes, Spielberg parvient à humaniser ses personnages et montre leur fragilité face à une situation qui leur échappe. La fin, radicale et sans concession, est brutale et nous laisse sur le bas-côté, concluant le film sur une note amère et sans réelle conclusion. On est décidément loin des grandes poussées d’émotion auxquelles le réalisateur se laissera aller par la suite.


A l’époque de sa sortie, Sugarland Express avait été reçu par la critique comme la confirmation des bonnes promesses de Duel, le film ayant même été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, où il a décroché le prix du meilleur scénario. Aujourd’hui, il apparait comme une œuvre à part dans la filmographie de Spielberg, une parenthèse qui surprend par la sècheresse de son style et sa tonalité de road movie décalé.


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La Mise en Scène

Bien que moins virtuose que dans ses films suivants, la patte de Steven Spielberg est bien présente dans Sugarland Express, mais de manière plus diffuse. On sent déjà une habileté indéniable à mettre en valeur l’action, comme le prouve par exemple le découpage de la séquence d’action chez le vendeur de voitures. On peut voir que dans le choix des angles, l’accent est mis sur les coups de feu eux-mêmes et les impacts par terre, qui sont mis en valeur par un cadrage au ras du sol. L’alternance des angles de prises de vues (hauts pour les coups de feu, bas pour les impacts) renforce le dynamisme de la séquence.

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Une séquence est aussi particulièrement frappante par son dynamisme, c’est celle où la camionnette de la télévision fait une embardée après qu’on lui ait tiré dans les pneus. L’effet est accentué en faisant venir le véhicule directement vers le spectateur. L’idée de violence et d’énergie est transmise là encore par un cadrage très bas, avec une embardée dans un étang qui provoque un éclaboussement de la caméra (et donc, d’une certaine manière, du public). Là encore, on remarque que le style de Spielberg vise essentiellement à maximiser l’impact de l’image en plaçant le spectateur le plus près possible de l’action.


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Spielberg expérimente, un peu comme Brian De Palma, la juxtaposition de deux actions différentes dans un même plan.

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Le film reprend même le fameux effet Vertigo, qu’on retrouvera également dans Jaws, avec un étirement de la perspective qui garde dans le champ un élément visuel indispensable, ici la présence du tireur.

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Sugarland Express marque la première collaboration entre Spielberg et le chef opérateur Vilmos Zsigmond, dont on retrouvera le remarquable travail quelques années plus tard dans Rencontres du Troisième Type. Sa photographie est ici très discrète, mais toujours efficace dans ses compositions et la touche particulière qu’elle apporte aux séquences nocturnes. Pour la petite histoire, c’est dans ce film qu’on réalisait pour la première fois un panoramique dans une voiture en mouvement, ce qui était rendu particulièrement difficile par le volume énorme des caméras Panavision de l’époque.



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La Musique

vlcsnap-2015-04-28-13h00m43s61Juste un petit mot sur la musique, davantage pour aspect anecdotique que pour sa valeur réelle. Sugarland Express est en effet la première d’une très longue et fructueuse collaboration entre Spielberg et le compositeur John Williams. Seulement, vous aurez beau chercher chez votre disquaire favori, impossible de mettre la main sur l’album ! C’est en effet la seule B.O. qu’il ait composée pour le réalisateur qui ne soit pas disponible sur disque. Il semblerait, à ce qu’on dit, que John Williams lui-même ne tienne pas à ce qu’un CD soit édité. Il faudra donc se rabattre sur plusieurs compilations (dont la plus connue, The Spielberg/Williams Collaboration, chez Sony Classical), qui proposent de courts extraits de la partition ou bien sur les bootlegs au son plutôt crade qui circulent à droite à gauche.

lundi 4 mai 2015

Les Jeux de l’Amour et de la Guerre

(The Americanization of Emily)

Film d’Arthur Hiller (1964), avec Julie Andrews, James Garner, Melwyn Douglas, James Coburn, William Windom, etc…

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Derrière ce titre français improbable (et il faut avouer que le titre américain n’est pas mal non plus !) se cache en fait l’une des plus surprenantes curiosités dont Hollywood nous ait gratifié dans les années 60. Songez un peu : à une époque où triomphent des grands spectacles patriotiques comme Le Jour Le Plus Long, il fallait oser un film qui célèbre ouvertement la lâcheté et la couardise. Aujourd’hui encore, on reste stupéfait par le discours politiquement incorrect de ce petit classique méconnu.

 

vlcsnap-2015-05-03-22h55m21s159Ca commence comme une de ces innombrables fresques à la gloire de l’armée, et en particulier d’une communauté méconnue, celle des aides de camp, ces militaires dévoués qui œuvrent dans l’ombre des gradés. Le film brosse le portrait pittoresque et amusant d’un groupe de combinards qui ont trouvé la bonne planque pour servir leur pays. Au départ, on croit bien bêtement que tout cela va s’orienter vers la comédie romantique, avec la rencontre de James Garner, soldat magouilleur, et de Julie Andrews, la jeune femme un peu coincée qui lui est affectée comme assistante.

 


 

 

vlcsnap-2015-05-03-22h58m58s18Puis le film prend un virage inattendu, lors d’une scène en apparence anodine. The Americanization of Emily abat alors ses cartes avec un brio qui laisse sans voix. Non, on n’est pas dans l’héroïsme ni dans le cocardier, mais dans un discours antimilitariste qui frappe par sa violence tranquille et la franchise avec laquelle il abat ses cartes. On n’y parle plus d’honneur ni de gloire, on le ramène simplement toutes ces notions à leur niveau le plus humain, celui de la perte d’être aimés et des blessures qu’elle entraine. Le tout déclamé avec les mots qui vont bien : c’est la patte de Paddy Chayefsky.

 

 


 

vlcsnap-2015-05-03-23h01m55s244On ne parle pas souvent des scénaristes. A tort, car il en existe qui savent donner corps à des moments de cinéma mémorables. Chayefsky est de ceux-là. Son style est unique, à la fois vivant et coloré, mais aussi profondément humain. Il sait trouver les mots justes pour susciter la colère et l’indignation, mais aussi nous faire ressentir toute la fragilité de ses personnages par quelques répliques bien choisies, balancées comme de véritables armes. Un jeu de massacre qui atteindra son apogée dans son chef d’œuvre, Network, et qui trouve ici un écho dans un antimilitarisme revigorant.

 

 

 


vlcsnap-2015-05-03-23h06m52s141Car The Americanization of Emily possède toutes les caractéristiques de la comédie américaine bon teint telle qu’on la pratiquait à cette époque-là. Mais il y a, sous les situations cocasses, une vraie réflexion sur la gloire, ou plutôt la manière dont l’émotion peut être manipulée au point de déformer carrément, pour l’enjoliver, le déroulement d’un évènement historique. On n’est pas très loin, finalement, du discours d’un Clint Eastwood dans Mémoires de Nos Pères, qui s’interrogeait sur ce genre de détournement de la vérité. A ceci près qu’ici, le personnage principal est un authentique lâche, qui participera accidentellement au débarquement et deviendra un héros alors qu’il ne cherchait qu’à fuir le champ de bataille. Par la virulence et le cynisme assumé de son discours, le film est décidément plus près de MASH que du Soldat Ryan.

 


 

vlcsnap-2015-05-03-23h07m34s55Arthur Hiller, le réalisateur, a toujours été un outsider dans le paysage du cinéma US des années 70. Il fait partie de ces réalisateurs issus de la télévision, mais à la différence de certains autres, comme Sidney Lumet ou Arthur Penn, n’a jamais su réellement trouver sa voie en signant des films qui sortent de l’ordinaire. Son plus gros succès, Love Story, n’est pas vraiment très personnel, et tout au long de sa carrière, il slalomera entre les genres sans vraiment imposer sa patte. Dans The Americanization of Emily, il s’efface devant son sujet, et sa mise en scène, transparente, sert finalement assez bien le propos du film.

 

 

 

vlcsnap-2015-05-03-23h00m10s222La direction d’acteurs, en tout cas, est de tout premier ordre. Le duo James Garner-Julie Andrews fonctionne admirablement bien, ce dont Blake Edwards saura se souvenir des années plus tard en reconstituant le duo dans Victor Victoria. Mais le plus épatant, c’est James Coburn qui, malgré son second rôle, bouffe littéralement l’écran. C’est assez amusant, avec le recul, de voir combien cet acteur possédait déjà, à l’époque, une présence incroyable. On n’oublie pas non plus le grand Melwyn Douglas, excellent, mais aussi des noms moins connus, comme William Windom ou Keenan Wynn, qui, en l’espace de quelques scènes, arrivent à imposer leurs personnages. C’est le signe d’un réalisateur qui respecte les comédiens.

 

 


Sous ses dehors très classiques, The Americanization of Emily est en fait un petit monument d’impertinence, qui utilise avec beaucoup d’adresse les mécanismes de la comédie américaine pour imposer un ton très personnel, insolent et résolument antimilitariste. Porté par un casting en béton et émaillé de dialogues extraordinaires, le film d’Arthur Hiller fait partie de ces petites perles méconnues à redécouvrir et réhabiliter de toute urgence.

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