lundi 4 mai 2015

Les Jeux de l’Amour et de la Guerre

(The Americanization of Emily)

Film d’Arthur Hiller (1964), avec Julie Andrews, James Garner, Melwyn Douglas, James Coburn, William Windom, etc…

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Derrière ce titre français improbable (et il faut avouer que le titre américain n’est pas mal non plus !) se cache en fait l’une des plus surprenantes curiosités dont Hollywood nous ait gratifié dans les années 60. Songez un peu : à une époque où triomphent des grands spectacles patriotiques comme Le Jour Le Plus Long, il fallait oser un film qui célèbre ouvertement la lâcheté et la couardise. Aujourd’hui encore, on reste stupéfait par le discours politiquement incorrect de ce petit classique méconnu.

 

vlcsnap-2015-05-03-22h55m21s159Ca commence comme une de ces innombrables fresques à la gloire de l’armée, et en particulier d’une communauté méconnue, celle des aides de camp, ces militaires dévoués qui œuvrent dans l’ombre des gradés. Le film brosse le portrait pittoresque et amusant d’un groupe de combinards qui ont trouvé la bonne planque pour servir leur pays. Au départ, on croit bien bêtement que tout cela va s’orienter vers la comédie romantique, avec la rencontre de James Garner, soldat magouilleur, et de Julie Andrews, la jeune femme un peu coincée qui lui est affectée comme assistante.

 


 

 

vlcsnap-2015-05-03-22h58m58s18Puis le film prend un virage inattendu, lors d’une scène en apparence anodine. The Americanization of Emily abat alors ses cartes avec un brio qui laisse sans voix. Non, on n’est pas dans l’héroïsme ni dans le cocardier, mais dans un discours antimilitariste qui frappe par sa violence tranquille et la franchise avec laquelle il abat ses cartes. On n’y parle plus d’honneur ni de gloire, on le ramène simplement toutes ces notions à leur niveau le plus humain, celui de la perte d’être aimés et des blessures qu’elle entraine. Le tout déclamé avec les mots qui vont bien : c’est la patte de Paddy Chayefsky.

 

 


 

vlcsnap-2015-05-03-23h01m55s244On ne parle pas souvent des scénaristes. A tort, car il en existe qui savent donner corps à des moments de cinéma mémorables. Chayefsky est de ceux-là. Son style est unique, à la fois vivant et coloré, mais aussi profondément humain. Il sait trouver les mots justes pour susciter la colère et l’indignation, mais aussi nous faire ressentir toute la fragilité de ses personnages par quelques répliques bien choisies, balancées comme de véritables armes. Un jeu de massacre qui atteindra son apogée dans son chef d’œuvre, Network, et qui trouve ici un écho dans un antimilitarisme revigorant.

 

 

 


vlcsnap-2015-05-03-23h06m52s141Car The Americanization of Emily possède toutes les caractéristiques de la comédie américaine bon teint telle qu’on la pratiquait à cette époque-là. Mais il y a, sous les situations cocasses, une vraie réflexion sur la gloire, ou plutôt la manière dont l’émotion peut être manipulée au point de déformer carrément, pour l’enjoliver, le déroulement d’un évènement historique. On n’est pas très loin, finalement, du discours d’un Clint Eastwood dans Mémoires de Nos Pères, qui s’interrogeait sur ce genre de détournement de la vérité. A ceci près qu’ici, le personnage principal est un authentique lâche, qui participera accidentellement au débarquement et deviendra un héros alors qu’il ne cherchait qu’à fuir le champ de bataille. Par la virulence et le cynisme assumé de son discours, le film est décidément plus près de MASH que du Soldat Ryan.

 


 

vlcsnap-2015-05-03-23h07m34s55Arthur Hiller, le réalisateur, a toujours été un outsider dans le paysage du cinéma US des années 70. Il fait partie de ces réalisateurs issus de la télévision, mais à la différence de certains autres, comme Sidney Lumet ou Arthur Penn, n’a jamais su réellement trouver sa voie en signant des films qui sortent de l’ordinaire. Son plus gros succès, Love Story, n’est pas vraiment très personnel, et tout au long de sa carrière, il slalomera entre les genres sans vraiment imposer sa patte. Dans The Americanization of Emily, il s’efface devant son sujet, et sa mise en scène, transparente, sert finalement assez bien le propos du film.

 

 

 

vlcsnap-2015-05-03-23h00m10s222La direction d’acteurs, en tout cas, est de tout premier ordre. Le duo James Garner-Julie Andrews fonctionne admirablement bien, ce dont Blake Edwards saura se souvenir des années plus tard en reconstituant le duo dans Victor Victoria. Mais le plus épatant, c’est James Coburn qui, malgré son second rôle, bouffe littéralement l’écran. C’est assez amusant, avec le recul, de voir combien cet acteur possédait déjà, à l’époque, une présence incroyable. On n’oublie pas non plus le grand Melwyn Douglas, excellent, mais aussi des noms moins connus, comme William Windom ou Keenan Wynn, qui, en l’espace de quelques scènes, arrivent à imposer leurs personnages. C’est le signe d’un réalisateur qui respecte les comédiens.

 

 


Sous ses dehors très classiques, The Americanization of Emily est en fait un petit monument d’impertinence, qui utilise avec beaucoup d’adresse les mécanismes de la comédie américaine pour imposer un ton très personnel, insolent et résolument antimilitariste. Porté par un casting en béton et émaillé de dialogues extraordinaires, le film d’Arthur Hiller fait partie de ces petites perles méconnues à redécouvrir et réhabiliter de toute urgence.

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