mercredi 20 mai 2015

Patton

Film de Franklin J. Schaffner (1970), avec George C. Scott, Karl Malden, Michael Bates, Edward Binns, Stephen Young, etc…

vlcsnap-2015-05-17-19h49m09s14
 
 
“Mettez vous bien dans la tête qu’un connard n’a jamais gagné une guerre en mourant pour son pays.
On gagne une guerre en faisant ce qu’il faut pour que les pauvres connards d’en face meurent pour leur pays.”
 
Patton, un peu à l’image de son héros, est un film schizophrène, partagé entre le portrait virulent d’un “fou de guerre” et une réflexion qui charrie avec elle tout ce que le cinéma pouvait avoir de contestataire à la fin des années 60. C’est tout le paradoxe d’une major company comme la Fox, capable de produire à quelques années d’intervalle un brulot contestataire comme MASH et un grand spectacle comme celui-ci. Cette ambivalence qui fait de ce film l’un des plus particuliers du genre, riche et passionnant.


vlcsnap-2015-05-17-20h51m34s52Le biopic n’était pas un genre spécialement en vogue dans les années 60. Bien au contraire, les films de guerre misaient alors davantage sur la description d’évènements historiques, comme dans Le Jour Le Plus Long ou Paris Brule-t’il. C’est donc un angle particulièrement inédit qu’ont décidé d’adopter les producteurs du film, une entreprise plutôt audacieuse pour l’époque. En 1970, l’Amérique se débat dans le bourbier Vietnamien, et le cinéma se met au diapason de la contestation ambiante. Une œuvre grand public du style de MASH met délibérément et violemment les pieds dans le plat avec son antimilitarisme anarchiste.




vlcsnap-2015-05-17-19h54m06s161La Fox n’hésite pourtant pas à mettre en chantier cette énorme fresque militaire, et elle en confie la réalisation à Franklin J. Schaffner, qui vient de pulvériser le box-office avec le premier volet de La Planète des Singes. Schaffner, c’est un artiste discret qui, curieusement, est parvenu à imposer sa petite touche personnelle dans de grosses productions. Venu de la télévision, le réalisateur sait travailler à l’efficacité et gérer des tournages difficiles. Mais paradoxalement, il sait aussi injecter ce petit quelque chose de plus qui distinguera le film du tout-venant de la production de l’époque.





vlcsnap-2015-05-18-00h23m57s238Pour preuve, Patton, film sur lequel il n’a pas forcément les coudées franches et qui se distingue pourtant par de beaux partis-pris de mise en scène. Ainsi la fameuse scène d’ouverture ajoute à un dialogue brillantissime une approche visuelle inédite. Le drapeau américain immense devant lequel évolue George C. Scott est un élément graphique tellement inhabituel qu’il communique une ambiance presque irréelle à la scène. Du coup, pas besoin d’effets inutiles : la réalisation est au contraire très dépouillée, et tout ce qui fait vivre ce moment, c’est un extraordinaire travail d’acteur que l’approche visuelle transforme presque en icône pop art.




vlcsnap-2015-05-17-20h53m30s238Après cette entrée en matière qui surprend par sa crudité, le film hésite entre plusieurs approches opposées. L’accent est mis sur l’horreur de la guerre, davantage que dans les productions de la même époque, même si on est loin des déferlements gore que l’on peut voir à l’heure actuelle. On sent que le Vietnam est passé par là, et qu’il n’est plus question d’aborder la guerre sous un angle uniquement héroïque. Tout au contraire, Patton hésite constamment entre la glorification et la critique de son héros. On apprécie d’abord son franc-parler et son côté rentre dedans’, mais c’est pour mieux le déboulonner dans une seconde partie qui se montrera plus critique.




vlcsnap-2015-05-17-19h56m08s107On retrouve en filigrane la patte de Francis Ford Coppola, préposé au scénario. Le discours inaugural de Patton fait écho à la fameuse réplique “J’aime l’odeur du napalm au petit matin” d’Apocalypse Now, même si les deux œuvres n’ont pas grand chose en commun. Le film de Schaffner multiplie les angles d’approche radicalement différents sur la guerre, puisqu’elle est montrée sur un plan stratégique mais aussi humain. C’est à la fois une lutte d’influence entre généraux, mais aussi le quotidien des soldats qui donnent tout pour la victoire. Rarement un film de guerre aura-t’il livré une description aussi complète du conflit, prenant en compte chacune de ses composantes. Pas une mince affaire quand on sait que Patton résume à lui seul tout un pan de la Seconde Guerre Mondiale.



vlcsnap-2015-05-17-20h04m00s213La narration est très habile, et ne se perd jamais dans les détails pourtant abondants de toute cette fresque. Au contraire, Schaffner trouve même le moyen de nous surprendre en évoquant les croyances de son héros. Au cours d’une scène absolument magnifique, le général raconte une ancienne bataille entre Romains et Carthaginois comme s’il l’avait vécue (“J’y étais”). Il s’inscrit ainsi dans une thématique chère au réalisateur : la description de personnages en rupture avec leur époque, qui n’y sont pas véritablement intégrés ni réellement à leur place. Ce moment est une merveille de justesse, mis en scène très simplement, et portée par George C. Scott et la merveilleuse musique de Jerry Goldsmith.




vlcsnap-2015-05-17-20h59m54s44On ne peut parler de Patton sans mentionner son extraordinaire partition musicale, un des authentiques chefs d’œuvre de la musique de film. Elle décrit à la fois l’homme de guerre et ses multiples facettes, sa croyance en la réincarnation et son goût pour le combat. Utilisée avec une incroyable parcimonie (il y a tout juste 35 minutes de musique sur près de 3 heures de projection), elle sait, par le biais d’effets orchestraux, nous mettre dans l’esprit-même du personnage. La trompette et ses effets d’écho donnent corps à ces autres vies que le général prétend avoir vécues. D’une grande simplicité, la musique, tour à tour martiale et recueillie, accompagne et renforce les différents aspects du film.




vlcsnap-2015-05-17-23h07m43s111Patton suit bien évidemment la structure classique du biopic, qui veut que l’on cueille le personnage principal au sommet de sa gloire, puis qu’il suive un itinéraire dans lequel il va progressivement descendre au plus bas avant de triompher dans la dernière partie. Pourtant, le film s'ouvre sur les images dures de défaite et il reste très critique sur la personnalité du général, possédant une ambivalence qui en fait l’un des films les plus singuliers du genre. Ainsi, lorsque Patton demande à son aumônier une prière pour avoir du beau temps, Schaffner transforme la séquence en une sorte de manifeste contre la guerre, mais de manière très discrète, et sans jamais forcer le trait ni devenir caricatural.




vlcsnap-2015-05-17-23h02m58s81Cet aspect antimilitariste n'est pourtant pas brandi de manière excessive, mais au contraire traité avec une surprenante subtilité et incessamment mis en parallèle avec son contraire. Lorsque Patton, constatant au petit matin la défaite de ses hommes et se promenant parmi les corps  ensanglantés de ses soldats, fait cette surprenante confession ("J'aime ça ! Mon Dieu, j'aime ça ! Plus que ma propre vie"), on ne sait plus quoi penser d'un personnage qu'on pensait pourtant avoir compris.







vlcsnap-2015-05-17-20h59m30s11C'est également un souci constant de réalisme qui imprègne le film. Même si les rapports entre Patton et Montgomery sont montrés sur le ton de la plaisanterie, les tenants et aboutissants des différentes batailles sont décrits avec une grande clarté de style, ce qui n'est pas une mince affaire dans un film qui brasse autant d'informations. Enfin, pour une fois, les allemands ne sont pas dépeints de manière caricaturale et parlent leur propre langue,  tous les passages les concernant étant sous-titrés. Ce sont au contraire des adversaires cultivés, qui vont même jusqu’à admirer la personnalité hors normes  de leur opposant.




Tous ces éléments font de Patton un film hors du commun et unique en son genre. Portrait à la fois admiratif et très critique d'une figure historique, il réussit l'exploit d'intégrer des échos très contemporains, qui enrichissent une réflexion particulièrement intéressante sur la guerre. Avec ses multiples facettes et son souffle épique, le film réinvente le genre, au travers d’une réalisation aussi efficace qu’inspirée. Cet extraordinaire et flamboyant portrait, c’est aussi le chef d’œuvre de cet auteur atypique et modeste qu'était Franklin J. Schaffner. Immense.


vlcsnap-2015-05-17-19h57m59s231

 
 
 
Autour du Film
 
vlcsnap-2015-05-17-23h03m51s151Grosse production oblige, Patton va bénéficier d’un budget plus que confortable de la part de la Fox, et pour donner vie à l’itinéraire du général, pas moins de 72 lieux de tournage différents seront utilisés, pour la plupart situés en Espagne, dans la région d’Almeria. L’armée espagnole disposant d’une impressionnante collection de chars de la Seconde Guerre Mondiale, ceux-ci seront abondamment utilisés dans le film, au risque de certains anachronismes (on y voit notamment des chars Patton, qui furent utilisés après la guerre).





vlcsnap-2015-05-16-18h06m09s160George C. Scott, qui trouve pourtant le rôle de sa vie dans le film, était loin d’être le premier choix pour interpréter le général. Des acteurs comme Rod Steiger, Burt Lancaster, Robert Mitchum ont refusé le rôle, et John Wayne a été écarté car il ne correspondait pas assez au personnage. Scott, une fois choisi, s’immergera dans la personnalité et la vie de Patton, en dépit du fait qu’il n’aimait pas particulièrement l’homme lui-même. Le maquilleur Dan Striepeke, qui avait été assistant maquilleur sur Planet of the Apes, altèrera un peu ses traits (en particulier son nez) pour accentuer la ressemblance, même s’il est clair que l’acteur s’approchera davantage de Patton par son interprétation que par son physique.





La collaboration entre George C. Scott et le réalisateur Franklin J. Schaffner se passera à merveille, les deux hommes retravailleront d’ailleurs ensemble sur l’excellent et mésestimé L’Ile des Adieux. Par contre, ils entreront en désaccord sur la séquence du discours, que Scott estime trop forte pour ouvrir le film. Afin de ne pas créer de tensions avec son acteur principal, Schaffner lui fera croire qu’elle sera située en début de seconde partie, pour finalement la placer en début de film.



pc2



CaptureCélébré à la cérémonie des Oscars 1971, Patton remportera sept statuettes (Meilleur Film, Meilleur Acteur, Meilleur Scénario, Meilleur Réalisateur, Meilleur Son, Meilleure Direction Artistique et Meilleur Montage). Mais c’est George C. Scott qui fera le plus parler de lui en refusant carrément l’Oscar qui avait récompensé sa performance.

Assimilant la cérémonie à une “foire à la viande” et refusant d’être mie en compétition avec d’autres acteurs, il sera bien entendu absent lors de la remise, laissant le producteur Frank Mc Carthy récupérer la récompense à sa place. L’Oscar sera ensuite restitué à l’Académie. Scott avait émis le souhait qu’il soit remis au Patton Museum, mais ses instructions n’ayant jamais été formalisées par écrit, cela n’a jamais été fait.




La Photographie

Franklin J. Schaffner rompt carrément avec le style très brut de la photo de Planet Of The Apes. Ici, pas de caméra portée, pour une bonne et simple raison: le film utilise un nouveau procédé, le Dimension 150, un dérivé du 70 mm. censé garantir un champ de vision de 150 degrés (d’où son nom). Les caméras, très volumineuses, se prêtent donc assez mal à un style visuel trop exubérant. Cela n’empêche pas Fred Koenekamp de nous gratifier de quelques belles compositions, avec de temps à autre quelques cadrages surprenants, comme celui utilisé lors de la scène avec le général Montgomery. Dans la scène, ce dernier doit créer de la buée sur un miroir pour y dessiner un plan, et Schaffner nous le montre en très gros plan face caméra, ce qui ajoute une touche d’étrangeté plutôt incongrue mais assez bienvenue.


pc1 

 

La Musique 

vlcsnap-2015-05-17-19h49m19s118C'est Franklin J. Schaffner  lui même qui a insisté pour que Jerry Goldsmith signe la musique de Patton. Au départ, le compositeur devait en effet travailler sur le second volet de La Planète des Singes, mais le réalisateur avait tellement apprécié leur première collaboration et tenait tellement à l'avoir qu'il demandera à la Fox de casser son contrat. Le résultat, on le connaît: une musique en accord parfait non seulement avec le film mais avec son personnage principal.

Les expérimentations musicales du compositeur l'amèneront à utiliser l'Echoplex, un précurseur de la chambre d'écho, et le film est marqué à tout jamais par ces accords de trompette répétés à l'infini, qui donnent vie aux méditations du général sur la réincarnation. Goldsmith signe également une marche enjouée, qui traduit parfaitement la personnalité fonceuse de Patton. Malheureusement, bien que nominée, la partition ne remportera pas l'Oscar, les jurés préférant récompenser la guimauve de Francis Lai pour Love Story.

Par contre, la musique sera particulièrement bien traitée au niveau de son édition discographique, puisqu’elle sera réenregistrée à Londres pour la sortie de l'album. Le label 20th Century-Fox Records publiera le 33 tours sous sa forme originale, c'est à dire un panorama assez complet de la musique, avec en prime le discours d'ouverture. En 1997, Goldsmith réenregistrera la partition pour le label Varese mais le résultat n'est pas vraiment probant, à cause d'une prise de son mal adaptée. En 1999, c'est au tour du label Film Score Monthly de s'y coller, en utilisant les bandes originales, ce qui leur permet de sortir l'intégralité de la partition. C'est ensuite Intrada qui sort une édition qu'on peut qualifier de définitive, puisqu'elle regroupe à la fois les pistes originales remasterisées et l'album d'époque. On se tournera donc de préférence vers cette dernière version, toujours disponible sur le site de l'éditeur.


pc3

 
 
En Vidéo
 
pc4

Compte tenu de son important succès en salles, Patton est l’un des titres les plus prestigieux du catalogue Fox. Il a donc connu de multiples rééditions sur différents formats, les dinosaures nostalgiques du Strapontin ayant même connu l’édition VHS recadrée en “pan and scan” (une abomination) ! Ce fût l’un des premiers titres Fox à sortir en DVD en France, dans une édition simple, sans le moindre supplément. Du moins en France, car la version US contenait déjà un disque de suppléments … qu’on ne verra chez nous que 7 ans plus tard.





Le bonus le plus intéressant, c’est bien évidemment le reportage rétrospectif sur le film, d’ailleurs sous-titré A Tribute to Franklin J. Schaffner. Le doc revient en détail sur la production du film, avec des interventions de Richard Zanuck, président de la Fox à l’époque, du directeur de la photo Fred Koenekamp et du compositeur Jerry Goldsmith, plus des extraits d’interviews audio avec Schaffner et George C. Scott. Un document très complet, qui couvre tous les aspects liés au film, même si certains sont plutôt discutables. On se serait bien passé des interventions sensationnalistes d’Oliver Stone, qui prétend que la politique désastreuse de Nixon au Vietnam a été directement influencée par le fait que l’ex-président était un grand fan du film. Ben voyons !


pc6



pc5Pour ce qui est du blu-ray, la première édition française, même si elle peut paraître d’une qualité plutôt honorable, est cependant à éviter. D’abord parce que les bonus ont été zappés, et ensuite parce que l’image a été passée au réducteur de bruit, ce qui a eu pour effet de lisser l’image, gommer le grain et aussi pas mal de détails. Plutôt désastreux lorsqu’on sait que Patton avait été filmé en utilisant un dérivé du 70 mm, le Dimension 150, ce qui devait garantir une image HD irréprochable. Une seconde version a été récemment éditée aux USA, qui respecte parfaitement l’image d’origine. Le seul problème, c’est que cette édition est pour l’instant cantonnée au marché américain, et que les éditeurs français ne semblent pas vraiment décidés à la sortir dans notre beau pays. Après tout, tant qu’un ancien master peut être fourgué à des consommateurs pas trop regardants, pourquoi se priver ? Il faudra donc patienter pour pouvoir profiter du chef d’œuvre de Schaffner dans une qualité digne de ce nom.

 

La Petite Madeleine

La rencontre entre Patton et le Strapontin, ça remonte à… bien longtemps ! Découvert à la télévision, à une époque où on pouvait encore voir des grands classiques en prime time, sans qu’ils ne soient entrecoupés de pub ou bien recadrés, sur la Une, qui se s’appelait pas encore TF1 à l’époque. Le film a été d’ailleurs été diffusé plusieurs fois sur les chaines Hertziennes. Mais la vraie révélation, c’est la projection récente à la Cinémathèque d’une copie 70 mm, dans le cadre d’une rétrospective dédiée à ce format. Si le son était un peu à la ramasse, découvrir Patton sur grand écran dans son format natif était une expérience unique. M’accompagnait ce jour-là une complice de nombreuses sorties que le Strapontin a formé à la dure, au fil de très nombreuses pérégrinations cinéphiliques. Cette chronique lui est dédiée.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire