Il y a des films comme ça, dont le concept titille la curiosité, et fait peut-être même plus que la titiller. La Planète des Singes, avec ses 4 suites et son remake, a marqué définitivement le cinéma de S.F., qui pourtant à l’époque n’était pas aussi vendeur qu’aujourd’hui. Retour sur un classique inattendu.
Avant d’aller plus loin, le Strapontin se doit de mettre en garde ceux qui d’aventure n’auraient pas vu le film et n’en connaîtraient pas les surprises. Dans le cadre d’un article rétrospectif comme celui, il paraît difficile d’analyser le film sans en dévoiler les secrets. Le Strapontin invite donc ceux qui ignoreraient tout de ce classique (même si c’est difficilement concevable) de ne lire l’article qu’après avoir vu le film.
Si Planet of the Apes a autant marqué les esprits, c’est qu’il repose sur une idée inhabituelle : l’inversion des rôles, l’homme ramené au rang de bête. L’intelligence du scénario, c’est de prendre appui sur un thème de science-fiction, l’apocalypse nucléaire, pour en analyser les conséquences. L’idée principale vient du roman de Pierre Boulle, mais elle a été considérablement enrichie par les scénaristes Michael Wilson et surtout Rod Serling, le créateur de la série Twilight Zone (La Quatrième Dimension).


Bien sûr, Planet of the Apes n’aurait pas atteint son statut d’œuvre culte sans l’impressionnant travail de maquillage conçu par John Chambers. Ancien prothésiste, Chambers a été le premier à utiliser le latex dans sa spécialité, et ses maquillages, même si leur expressivité est limitée par rapport à ce qui se fait aujourd’hui, restent particulièrement crédibles. Il faut d’ailleurs savoir que c’est à la suite d’un test filmé avec ces maquillages que la Fox donnera le feu vert à la mise en chantier du film.

Enfin, il serait injuste de parler de Planet of the Apes sans mentionner l’extraordinaire partition musicale de Jerry Goldsmith, à la fois cahotique, atonale et d’une richesse instrumentale incroyable. Extrêmement novatrice, la musique renforce le caractère barbare et l’atmosphère violente du film.

Planet of the Apes gère avec beaucoup d’intelligence cette idée d’ « évolution à l’envers », qui aurait ramené l’être humain à l’état sauvage tandis que les singes prenaient sa place à la suite d'un cataclysme nucléaire. Cela replace le film dans le courant du cinéma des années 60, où s’exprimait la peur de la bombe. En même temps, malgré son absence d’effets spéciaux, il a contribué à sensibiliser le grand public au film de genre. On peut même dire qu’il a préparé le terrain pour 2001, qui arrivera un an plus tard.
Un mot rapide tout de même sur les suites, qui ont tenté d’exploiter le filon au mieux. Si le deuxième épisode est plutôt dispensable, le troisième, Les Evadés de la Planète des Singes propose un développement intéressant, ramenant les singes à notre époque et amorçant du même coup le déclin de l’homme. Les volets 4 et 5 racontent le soulèvement des singes, mais il a hélas manqué à tous ces films un véritable metteur en scène, qui se serait impliqué autant que Schaffner l’avait fait dans le premier épisode. Passons enfin sur le remake inutile de Tim Burton, sans âme ni passion, en dépit des formidables progrès techniques effectués au niveau des maquillages.
Planet of the Apes reste donc un film unique en son genre, le premier à avoir fait entrer la science-fiction de plain pied dans l’âge adulte, un classique dans le vrai sens du terme. A la fois sauvage, drôle, incongru, brutal, le film ose brillamment le mélange des genres. Charlton Heston y trouve un de ses meilleurs rôles et même après des années, on reste toujours sous le charme de cette fable novatrice et diablement intelligente. Géant.
Le Casting :
Difficile mission pour le trombi, puisque la plupart des acteurs sont ici grimés. Mais cela n’empêchera pas le Strapontin de leur rendre hommage tout de même ! Saluons au passage la profonde humanité de Kim Hunter, dans le rôle de Zira, la performance débonnaire de Roddy Mc Dowall en Cornelius, et un Maurice Evans excellent dans le rôle du Dr Zaïus.
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Charlton Heston |
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Roddy Mc Dowall |
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Kim Hunter |
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Maurice Evans |
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Linda Harrison |
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Robert Gunner |
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Jeff Burton |
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Norman Burton |
Arrêts sur Images:
L’Introduction :
Un homme seul, aux commandes d’un vaisseau spatial : c’est Taylor, qui se pose des questions sur une humanité assez évoluée pour l’expédier dans l’espace, mais suffisamment primitive pour « regarder mourir de faim les enfants de son voisin ». Ce monologue se termine sur une remarque troublante sur la solitude : « Vu d’ici, tout paraît … sans limites. Je me sens très seul ». Cette simple séquence casse déjà l’image d’ « homme fort » de Charlton Heston et nous présente un personnage très cynique.
Le Crash :
Dans le projet initial, on devait voir le vaisseau s’écraser sur la planète. Faute de moyens, Schaffner trouvera une solution plus économique : filmer la séquence en caméra subjective, comme si cette dernière était à la place de l’appareil. Les mouvements désordonnés de la caméra annoncent déjà le style visuel très mobile de la photographie du film.
Un moment de tension pour la séquence où Taylor découvre une des astronautes momifiée. Le réalisateur utilise très intelligemment le bruit strident de décompression de la cabine pour souligner l’effet de surprise. Il est à noter que de la musique avait été composée pour ce passage mais que Schaffner a préféré se reposer sur les effets sonores.
Les Effets Visuels :
Malgré la présence au générique des trois spécialistes des effets spéciaux de la Fox (L.B. Abbott, Art Cruickshank et Emil Kosa Jr.), ils sont réduits à leur plus simple expression dans le film. Quelques effets de lumière inhabituels pour la séquence de marche dans le désert, une peinture sur verre pour la séquence où le vaisseau coule, et enfin, le fameux final avec la Statue de la Liberté, qui est également un matte painting, exécuté par Emil Kosa Jr.
Les Origines:
Le film présente beaucoup de ressemblances avec un épisode de la série The Twilight Zone, « I Shot an Arrow Into the Air ». Rien d’étonnant à cela puisque le co-scénariste Rod Serling était le créateur de la série. Cet épisode raconte l’odyssée de l’équipage d’un vaisseau spatial dont la Terre a perdu la trace après le décollage. Ecrasés sur une planète aride, ils vont s’entretuer pour survivre, jusqu’à ce que le dernier survivant ne se rende compte que le vaisseau n’avait jamais quitté la Terre et s’était crashé en plein désert.
La Marche dans le Désert :
D’emblée, le film est fidèle à son parti-pris et ne triche pas. Puisque cette planète est la Terre du futur, Schaffner a utilisé des décors naturels. Le crash a été tourné au Lac Powell, alors en cours de remplissage, et le reste des séquences en Arizona. D'emblée, il nous montre le cadre comme une planète étrangère, mettant l'accent sur la découverte de la végétation et de l'eau. Il fait naître un certain suspense en montrant que les astronautes sont suivis (mais on ne verra pas par qui), et avec l’apparition des épouvantails, dont l’aspect étrange, ni humain ni animal, provoque un certain malaise.
La Chasse à l’Homme :
C’est la séquence la plus célèbre du film, et sans nul doute la plus marquante. Soutenue par un travail de montage et une musique extraordinaires, son impact est toujours aussi saisissant. Notons que, malgré le fait que le public sache d’entrée ce qui va se passer, le film le maintient dans le même état de surprise que les astronautes, en ne montrant les singes qu’au tout dernier moment. La réalisation met l’accent sur des détails (des perches qui s’agitent dans un champ de maïs, les sabots des chevaux, des coups de feu… sans qu’on sache qui les tire !) pour renforcer leur toute première apparition. La séquence est d’une très grande violence, le film jouant d’ores et déjà le parti-pris de l’inversion des rôles et transformant les humains en gibier. Elle se termine sur un clin d’œil comique (des gorilles en train de poser pour une photo) qui renforce le côté absurde de la situation.
La Quête d’Identité de Taylor :
Sur le plan dramatique, Planet of the Apes est aussi remarquablement construit. La première partie met Taylor sur un pied d’égalité avec les autres humains du film, puisqu’une blessure le prive de la parole. Le spectateur est impliqué par ses tentatives pour communiquer, d'abord par l'écriture, ce qui prouve par ailleurs le fait que les hautes autorités simiesques tentent de cacher quelque chose. Les premières paroles de Taylor sont utilisées au moment opportun, et finalement très tard dans le film. Elles constituent le point d’orgue d’une tentative avortée d’évasion, un peu comme si elles traduisaient à la fois la colère de Taylor, mais aussi la frustration du spectateur de le voir repris: « Take your stinking paws off me, you damn dirty ape ! », littéralement « Vire tes pattes puantes de moi, espèce de foutu singe dégueulasse ! », une réplique qui est d’ailleurs singulièrement adoucie dans la version française.
Les Secrets de la Zone Interdite :
La dernière partie emmène les personnages dans le désert, sur un site de fouilles qui pourrait apporter des réponses aux personnages. Elle est bâtie sur l’opposition entre le Dr Zaïus, qui connaît le secret de la planète, et Zira et Cornelius, deux scientifiques qui en ignorent tout et cherchent à comprendre. La séquence de la grotte laisse des indices sur « l’évolution inversée », sous la forme d’une poupée humaine qui parle. Enfin, le Dr Zaïus introduit la dernière surprise en mettant Taylor (et de la même manière le spectateur) en garde : « Vous n’aimerez peut-être pas ce que vous allez découvrir ».
Le Style Visuel :
A l’époque, les caméras ne pouvaient pas se permettre toutes les prouesses qu’elles effectuent aujourd’hui grâce aux stabilisateurs et aux montures spéciales. Cela n’empêche pas le style visuel du film d’être très original, avec des cadrages souvent désordonnés et très mobiles (ce qui, compte tenu du poids des caméras Panavision, ne devait pas être une mince affaire !). Ils renforcent le caractère brutal et sauvage de la mise en scène. Il y a parfois un aspect très "reportage", comme au début du film où la caméra portée suit les acteurs. A d'autres moments, les parti-pris de cadrage sont assez audacieux, un peu comme si le caméraman voulait garder à tout prix certains éléments dans le champ, même au risque de remuer la caméra dans tous les sens.
C’est l’un des éléments majeurs du film, et certainement un des plus novateurs. Bien qu’il s’agisse de S.F., elle refuse tout instrument électronique ou synthétique pour utiliser essentiellement des percussions et une approche très rythmique. A sa façon, la musique illustre donc les origines « Terriennes » de la planète, mais en détournant l’utilisation des instruments. Ce qui marque à la première écoute, c’est l’incroyable diversité des effets musicaux. La marche dans le désert est illustrée par des effets d’Echoplex (une chambre d’écho que le compositeur réutilisera d’ailleurs dans Patton), la découverte de l’oasis par des percussions métalliques (en réalité des bols de métal) et la première apparition des singes par des hurlements de cuivres (on avait d’ailleurs demandé aux musiciens de retirer l’embout de leurs instruments pour obtenir des résultats encore plus étranges). Sur le plan des percussions, la partition est aussi d’une grande richesse, utilisant des instruments comme la cuica, une sorte de tambour dont on frotte la peau. Il faut noter que le compositeur Jerry Goldsmith s’adjoindra les services de deux percussionnistes hors-pair, Shelly Manne et Emil Richards, et que c’est son ancien professeur Jakob Gimpel qui assurera les incroyables et complexes parties de piano. Bien que très innovante, la partition ne sera même pas récompensée par un Oscar. On peut aujourd’hui la trouver dans une édition très complète (Varese VSD-5848), et malgré le fait qu’il s’agisse d’une oeuvre assez difficile d’accès, elle compte parmi les authentiques chefs d’œuvre de la musique de film.
Le DVD:

très intéressant !
RépondreSupprimerJ'apprend plein de chose sur un film que j'aime beaucoup voire culte.
Merci!
RépondreSupprimerC'est un de mes films de chevet, il devait donc avoir droit à une place de choix sur le blog!
Mon père avait essayé de m'emmener le voir alors que j'avais 12 ans (le film était interdit aux moins de 13 ans), et nous nous étions fait refouler à l'entrée de la salle comme des malpropres parce que je n'avais pas l'age requis! Je garde un souvenir ému du scandale qu'a tapé mon père devant le cinéma!
Souvenirs, souvenirs...