jeudi 14 mars 2013

Les Banlieusards

(The ‘Burbs)
Film de Joe Dante (1989), avec Tom Hanks, Carrie Fisher, Bruce Dern, Rick Ducommun, Henry Gibson, etc...




















 
La situation de base pourrait sortir d'un épisode déjanté de Desperate Housewives : les habitants d'un paisible petit lotissement voient un jour débarquer des voisins pas comme les autres, qui font des trucs vraiment pas catholiques, genre sortir les poubelles en voiture ou creuser dans leur jardin en pleine nuit sous une pluie battante. Tout cela va finir par alimenter la rumeur et les soupçons d'un petit groupe, mené par Ray Peterson (Tom Hanks).
 
 
Les américains n'ont pas, mais alors pas du tout aimé The 'Burbs, et ça se comprend un peu, tant le film se moque impitoyablement de l'esprit de voisinage tel qu'il se pratique outre-Atlantique. Laminé par la critique, boudé par le public, il se traîne du coup une réputation particulièrement désastreuse, à un point tel qu'il n'a même pas été distribué en France. Avec le temps, et aussi un peu grace à la vidéo, il a tout de même fini par trouver son public, devenant même au passage un mini film-culte, avec ses fans et ses sites dédiés.



 
 
 
 
Nous avons déjà parlé du cas Joe Dante qui, après avoir cartonné avec Gremlins, n'a jamais réellement réussi à retrouver les faveurs du grand public. Son cinéma, qui régale les cinéphiles, n'est pas toujours compris par le spectateur lambda, qui lui ne parvient pas à déchiffrer un style, à la fois hérité de la série B et des grands classiques américains style Capra. C'est un cinéma qui a su garder un esprit un peu gamin, qui n'a pas peur des clins d’œil et des citations, dans lesquels transparaît souvent la formidable culture du réalisateur.



 
Mais quelque part, les studios non plus ne comprennent pas Joe Dante, et The 'Burbs a sans doute participé à cette incompréhension. Au départ, il s'agît d'un film de commande, tourné pour la compagnie de production de Ron Howard, Imagine, sur un script signé Dana Olsen, également co-producteur. Dante n'a donc pas les coudées franches pour faire ce qu'il veut, et il se heurtera plusieurs fois aux diktats du studio, qui n'aime pas trop la direction que prend le film. La fin, de toute évidence, pose problème et personne ne sait très bien comment s'en dépatouiller.
 


 
Non content d'en rajouter un peu, Dante veut renforcer l'aspect social du film. Il veut faire du personnage de Tom Hanks un chômeur désœuvré, fraîchement licencié. L'acteur Kevin Mc Carthy tiendra d'ailleurs le rôle de son boss lors d'une séquence de rêve qui sera sabrée au montage. Exit toutes ces petites connotations, les producteurs laminent les intentions du réalisateur et choisissent de faire de The 'Burbs une bonne grosse comédie, fidèle aux canons du genre et sans la moindre aspérité.
 



 
On pourrait donc légitimement penser que le film a totalement échappé à Dante et qu'il ne reste pas grand-chose d'appréciable dedans. Or, surprise, le réalisateur a passé outre ces nombreux aléas pour nous donner en définitive une comédie particulièrement savoureuse. Il est certain que si The 'Burbs ne révolutionne pas l'histoire du cinéma, il s'avère être un portrait particulièrement cocasse et enjoué de la vie de banlieue et de la paranoïa qui en découle. Dante joue habilement sur les préjugés et les interprétations des uns et des autres pour dépeindre un univers en vase clos, où chacun s'épie, et dans lequel tout le monde est toujours à l'affut du moindre signe d'anormalité, prêt à pêter les plombs sur la base de faux-semblants.
 

 
Toute cette description est d'autant plus savoureuse qu'on y retrouve de nombreux habitués des films du réalisateur, dans des rôles taillés sur mesure. Tant pis si chacun en fait des tonnes, et si le casting hétéroclite ne fait pas dans la subtilité. Le film fonctionne sur un mode gentillet et inoffensif, avec, de temps à autre, quelques petites trouvailles de mise en scène qui font sourire. Ce n'est pas un film très personnel, mais on sent que Dante et son équipe ont pris plaisir à le faire et leur enthousiasme est communicatif.
 



 
Sur la fin, on sent poindre des velléités de critique sociale. Après avoir joué sur la méfiance et les idées toutes faites, Dante nous tire la couverture sous les pieds en nous rendant tout aussi coupables que ses protagonistes. Le discours de Tom Hanks sur la banlieue rebat les cartes en dénonçant les travers des uns et des autres, un peu comme s'il était resté quelques bribes de l'approche initiale plus culottée du réalisateur. Malheureusement, le film fait très vite machine arrière, repart en sens inverse et se termine en eau de boudin, sur une note beaucoup plus traditionnelle et prévisible.





Néanmoins, malgré ses nombreux handicaps, The 'Burbs s'avère tout de même être une comédie fort recommandable. Il lui manque peut-être ce soupçon de personnalité qui en aurait fait un grand film. Peut-être aussi que Joe Dante y a peut-être trop délaissé son humanisme à la Capra, mais en même temps, pouvait-on privilégier gentillesse et générosité dans un sujet qui soit aussi cynique à la base? Film de commande à moitié réussi (ou à moitié raté, dirons certains) à la loufoquerie clairement assumée, The 'Burbs est en tout cas un petit film éminemment sympathique. Même si, venant de Joe Dante, on en attendait peut-être un petit peu plus...

 
 
Le Trombi:
Chouette, encore un trombi maison à la fin du film !!! Outre les habitués de Joe Dante, qu'on retrouve dans des petits rôles (Miller et Picardo en éboueurs!), le film bénéficie d'un casting assez inspiré. Tom Hanks, qui n'avait pas encore fait sa percée dans les rôles dits sérieux, tient la vedette avec élégance. A ses côtés, Carrie Fisher en rupture de Star Wars, et un Bruce Dern qui deviendra avec ce film un des fidèles du réalisateur. On retrouve également Wendy Schaal, qu'on avait vue dans L'Aventure Intérieure, ainsi que Corey Feldman, révélé par Gremlins et Les Goonies. Dans des petits rôles, on retrouve également Rance Howard (le père de Ron Howard) et le scénariste Dana Olsen.

Rance Howard
Robert Picardo et Dick Miller
Dana Olsen (à gauche)

La Mise en Scène:
Joe Dante a beau ne pas avoir bénéficié d'une liberté artistique totale, plusieurs séquences du film portent sa patte. L'introduction, qui détourne le logo Universal, est une formidable prouesse visuelle. C'est une plongée vertigineuse sur le globe terrestre, qui nous amène directement sur les lieux de l'action. Réalisée par la firme d'effets spéciaux ILM, c'est une combinaison de peintures sur caches et de miniatures.


Joe Dante détourne également les codes de mise en scène avec la séquence où Tom Hanks et son voisin se décident à aller sonner chez les Klopek. On y reprend un effet utilisé dans les westerns spaghetti (un travelling sur un visage en gros plan) en lui rajoutant une chute inattendue (le chien).


La Photographie:
A la place de John Hora, qui signe habituellement la photo si particulière des films de Dante, c'est Robert Stevens qui s'y colle ici. Chef opérateur spécialisé dans les comédies, Stevens n'apporte pas vraiment de touche personnelle aux cadrages du film. Tout au plus reproduit-il le style très coloré de Hora dans une ou deux séquences, comme celle du rêve.


On reconnaît également une constante du style de Joe Dante, avec l'utilisation des dutch angles, ces plans où la caméra cadre à l'oblique.




La Musique:
Comme chacune des œuvres de Joe Dante, The 'Burbs sera mis en musique par Jerry Goldsmith. Nouvelle étape d'une collaboration fructueuse, la partition se met au diapason de la fantaisie débridée du film, n'hésitant pas à oser les effets musicaux les plus déconcertants. Aboiements de chien synthétisés, couinements, bruitages divers, rien n'est trop too much pour le compositeur qui livre ici une petite merveille d'inventivité. En même temps, Goldsmith sait aussi donner corps aux personnages avec des thèmes très variés, et il n'hésite pas à s'auto-parodier, en détournant le célèbre effet musical de Patton pour l'associer au personnage de vieille ganache militaire interprété par Bruce Dern. Assez curieusement, Dante voulait au départ une musique plus mélancolique, et le compositeur, travaillant d'après des musiques temporaires, lui aurait demandé: "Tu es certain de vouloir que ce soit aussi triste?". Au final, la composition de Goldsmith est aux antipodes de cette approche, et tout à fait dans la tonalité loufoque du film. Compte tenu du flop financier, il faudra attendre 3 ans pour qu'un album soit édité, hélas dans une série hyper-limitée, ce qui en fera d'office un collector. Rebelote en 2007, pour une réédition augmentée de plusieurs morceaux supplémentaires, mais qui s'arrachera elle aussi en l'espace de quelques jours...







La Fin Alternative:
Surprise! Si vous arrivez à mettre la main sur le DVD américain du film, un bonus exclusif vous y attend, sous la forme d'une fin alternative. De manière assez curieuse, ce supplément n'est d'ailleurs même pas mentionné sur la jaquette. Du coup, lorsqu'on connait l'historique de la production tumultueuse du film, on en salive d'avance. On se calme! La fin qui est proposée ici est tout à fait anecdotique, et n'est en fait qu'une variation, un peu moins burlesque de la conclusion existante. Le docteur Klopek est surpris par les voisins alors qu'il s'apprête à tuer Ray. Arrêté par la police, il se lance dans un plaidoyer pour expliquer à tous son désir de s'intégrer. La seule surprise vient de l'accompagnement musical, très mélancolique, puisqu'il s'agit d'un des thèmes de Mais Qui a Tué Harry, de Bernard Herrmann. Un vestige de l'approche initiale voulue par Dante, mais apparemment rejetée par les producteurs.

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