jeudi 5 mai 2011

L’Opération Diabolique

(Seconds)

Film de John Frankenheimer (1966), avec Rock Hudson, Salomé Jens, John Randolph, Will Geer, Murray Hamilton, etc.





















 









Que feriez-vous si vous aviez la possibilité de tout reprendre à zéro et de démarrer une nouvelle vie ? C’est la question que pose Seconds, un chef d’œuvre méconnu qui est devenu, par la force des choses, un film-culte. Plongée au cœur d’un film bizarre, étouffant, et dont on  ne sort définitivement pas indemne.



Le postulat posé par Seconds est très original : par le biais de la chirurgie esthétique, mais aussi grâce à un scénario malin où il ne faut pas trop chercher de vraisemblance, Arthur Hamilton, le héros du film, va avoir la possibilité d’endosser un tout nouveau physique, et de concrétiser ses rêves. Une mystérieuse société se charge d’organiser sa mort, puis sa renaissance.










Mais, au final, on se rend vite compte qu’au-delà de l’apparence physique, la personnalité reste la même, et que le héros, un loser, ne tire pas plus de satisfactions de sa nouvelle vie que de l’ancienne. Pire, la réalité lui revoie cette image totalement artificielle de lui-même, dans laquelle il est incapable de se reconnaître. Au-delà de la réflexion, le film est surtout une fable amère sur le désir illusoire du changement. C’est aussi un thriller passionnant, qui nous rappelle que son réalisateur, John Frankenheimer, a signé dans les années 60 de belles réussites, telles que Un Crime dans la Tête ou Sept Jours en Mai.





Ce qui frappe dans Seconds, c’est sa noirceur et le malaise qui s’en dégage. Déjà, l’admirable générique de Saül Bass donne le ton en montrant des reflets de visages déformés. Ensuite, la superbe photographie de James Wong-Howe, en utilisant des focales courtes, des objectifs grand angle et des gros plans, renforce cette impression de trouble et d'étrangeté. Tout le début du film est imprégné de bizarrerie, que ce soit dans des perspectives déformées, ou bien dans le choix des décors (la quête d’Hamilton, qui le conduit dans une blanchisserie, puis dans un abattoir).







Petit à petit, le héros, croyant accéder à ses rêves, se retrouve victime d’une compagnie aux motivations obscures, qui le manipulera. C’est le bon vieux thème de Faust, réactualisé sous la forme d’un conte fantastique. La construction du film fait beaucoup penser à la série TV La Quatrième Dimension, dans le principe de prendre une situation extraordinaire dont le héros finira par devenir la victime. Sur ce plan, Seconds va vraiment très loin, imposant au spectateur une conclusion brutale et sans échappatoire. Les dernières images sont véritablement cauchemardesques dans leur implacabilité, nous laissant dans un état de choc qui perdure longtemps après la projection. Le film va véritablement jusqu’au bout de son idée et il est difficile d’imaginer qu’une fin aussi radicale puisse être acceptée aujourd’hui.





Au milieu de ces moments très forts, l’intrigue donne l’impression de se perdre, de patiner un peu parfois. Toute la partie centrale du film semble un peu maladroite, à l’image d’une séquence de fête des vendanges beaucoup trop longue. J’avais considéré cela comme un défaut, mais en définitive, ces scènes nous communiquent assez bien l’état d’esprit du personnage, qui est totalement perdu et ne sait finalement trouver sa place nulle part. La scène où il retrouve son ex-femme sous sa nouvelle identité est d’ailleurs particulièrement touchante mais acide : Arthur Hamilton était déjà mort avant de changer de vie.


 



 
Assez curieusement, le film a été vraiment très mal reçu par la critique lors de sa sortie. Lors de sa présentation au Festival de Cannes en 1966, les journalistes avaient été tellement cinglants que le réalisateur avait même refusé d’assister à la conférence de presse. Depuis, Seconds est devenu, un peu par la force des choses, un film maudit. Pratiquement jamais diffusé à la TV, sorti confidentiellement en DVD, il a acquis une réputation culte et la critique est désormais unanime pour le désigner comme un classique. Il a même été question d’en tirer un remake, dont on se demande bien comment il pourrait arriver à retrouver la puissance de son modèle.

 

Fable fantastique, méditation ironique et amère sur le regret, la personnalité et la vie, Seconds est un film passionnant et difficile qui se classe d’emblée parmi les plus fortes réussites du genre.





 
Le Trombinoscope
Rock Hudson, en tête d’affiche, porte le film avec beaucoup de conviction et de crédibilité. Il est dommage que l’insuccès du film n’ait pas permis au public de le découvrir dans ce registre dramatique où il est excellent. John Randolph joue avec sensibilité le Arthur Hamilton d’« avant » l’opération. Parmi les autres interprètes, on reconnaîtra Murray Hamilton (qu’on retrouvera dans Jaws) ainsi que Richard Anderson (plus connu pour avoir joué dans la série L’Homme qui Valait Trois Milliards).


Rock Hudson
John Randolph
Jeff Corey
Salomé Jens
Will Geer
Khigh Dhiegh
Richard Anderson
Murray Hamilton
Frances Reid

Le Générique
Stylisé et très dérangeant, il est l’œuvre de Saül Bass, l’un des graphistes américains les plus célèbres, auquel on doit aussi de nombreux génériques d’Hitchcock (Vertigo, Psycho…). Pour obtenir ce résultat, il a simplement filmé des reflets de visages sur des miroirs flexibles et déformants. A noter que certains gros plans ont été réutilisés par Bass dans le générique de Cape Fear (Les Nerfs à Vif), le film de Martin Scorcese.



Vous pouvez également le visionner sur YouTube en cliquant ici.



La Musique
La partition de Seconds est un modèle d’économie : environ 20 minutes de musique pour 1 h 45 de film. Jerry Goldsmith, le compositeur, a toujours fait preuve de beaucoup de parcimonie dans son utilisation. La musique n’intervient pas lorsque les images sont suffisamment fortes pour se suffire à elles-mêmes, elle préfère souligner l’étrangeté d’une situation ou dépeindre les sentiments des personnages.

Le générique, avec son orgue dramatique et sa mélodie très sombre, donne le ton et scelle dès le début le destin d’Arthur Hamilton. Ailleurs, une mélodie fragile dépeint l’absence de sentiments entre Hamilton et sa femme. L’essentiel de la musique intervient d’ailleurs durant la première partie du film, aidant le spectateur à s’identifier au personnage principal. Restée inédite durant des années suite à des problèmes de droits, la partition a été récemment éditée par un label américain dans une édition limitée, hélas épuisée depuis.

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