(Time After Time)
Film de Nicholas Meyer (1979), avec Malcolm Mc Dowell, David Warner, Mary Steenburgen, Charles Cioffi, Kent Williams, etc…
Le voyage dans le temps, en soi, c’est un sujet en or. Et pour cause : quand on tient une idée aussi folle, on peut se permettre de se lancer dans des variations aussi infinies que délirantes. On joue avec les paradoxes spatio-temporels ou avec des situations qui sont connues de tous, tout en leur ajoutant cette petite pincée de “et si…”, qui aurait pu changer le cours de l’Histoire. Ou mieux, on prend deux personnages bien réels et on les balance dans le temps. C’est le postulat malin et carrément génial de ce Time After Time.
Imaginons en effet que H.G.Wells, le célèbre romancier, ait réellement construit la machine à remonter le temps qu’il décrit dans ses romans. Imaginons que parmi ses connaissances se trouve un dangereux meurtrier qui n’est autre que… Jack L’Eventreur. La suite, on la devine aisément : le redoutable criminel trouve le moyen d’utiliser la machine pour fuir à travers le temps et aboutir en… 1979 ! Cette idée d’utiliser des personnages réels dans une intrigue abracadabrante n’est pas nouvelle pour le réalisateur Nicholas Meyer. C’est même la base d’un de ses romans, The Seven Per Cent Solution, qui associait Sherlock Holmes et Sigmund Freud, et qui sera d’ailleurs adapté au cinéma.
L’idée ne viendra pourtant pas de lui, mais d’un admirateur, Karl Alexander, qui, en reprenant le même principe, a écrit son propre roman et demande à Meyer de le lire pour avoir son avis. Si ce dernier n’est pas convaincu du potentiel en tant que livre, il est en revanche certain que cela ferait un excellent film. Il s’attelle donc à la rédaction d’un scénario, qu’il soumet à un de ses amis, Herb Jaffe, qui, ça tombe bien, cherche un projet pas trop cher pour la Warner. Ça y est, Time After Time est sur les rails. Le résultat, on le connaît : c’est l’un des films les plus attachants de ce sous-genre qu’est le voyage dans le temps.
Clairement, compte tenu de ses moyens limités, le film joue la carte du sourire en coin et du charme. H.G. Wells perdu dans le San Francisco des années 80 ressemble à un petit garçon qui découvre avec candeur les merveilles technologiques du monde qui l’entoure. C’est le vieux principe du personnage innocent égaré dans un univers qu’il ne connaît pas, mais qui est ici manié avec tellement d’humour et de délicatesse qu’il fonctionne à merveille. Nicholas Meyer évite l’humour facile et lui préfère des petites touches complices qui ne tournent pas ses héros en ridicule.
C’est dans son attachement aux personnages que Time After Time séduit. L’histoire d’amour, même si elle est improbable, charme tout de même, en grande partie grâce à l’alchimie entre les deux acteurs principaux, Malcolm Mc Dowell et Mary Steenburgen. C’est également un vrai plaisir de découvrir l’acteur dans un registre à l’opposé des rôles de voyous ou de psychopathes dont il s’était fait une spécialité. Mc Dowell apporte innocence et fraîcheur au personnage de H.G. Wells, et c’est d’ailleurs cette volonté de casser son image qui le décidera à accepter le rôle. Plutôt une bonne chose, puisqu’il tombera amoureux de sa partenaire et l’épousera peu de temps après.
Face à lui, David Warner fait des merveilles dans le rôle de Jack L’Eventreur. Comme à son habitude, l’acteur ne fait pas dans le spectaculaire ou dans le démesuré. Il reste au contraire fidèle à son jeu discret et subtil, qui renforce par sa retenue le sentiment de menace que crée le personnage. Le réalisateur non plus n’a pas besoin d’en rajouter: il joue sur la popularité de son anti-héros, le type en quelques plans et suscite l’horreur à partir de petits détails au cours d’une introduction maline (“Mes amis m’appellent Jack”).
Ce qui est par contre encore plus ingénieux, c’est de jouer sur le changement d’époque pour offrir un commentaire sardonique sur la violence. Jack L’Eventreur se trouve en effet parfaitement à sa place dans l’Amérique des années 80. “Vous n’êtes pas allé vers le futur, Herbert, mais vers la préhistoire”, dit-il à Wells en lui montrant un zapping bourré d’images agressives. “Notre place n’est pas ici ? Au contraire, je me sens chez moi”, surenchérit-t’il. “Il y a 90 ans, j’étais un monstre. Aujourd’hui, je suis un amateur”. Difficile de faire plus juste que cette confrontation qui est l’un des grands moments du film. Sans charger le trait, le discours est simple, éloquent et rajoute une dimension supplémentaire très bienvenue.
Mary Steenburgen, dans un de ses premiers rôles, apporte sa fragilité au personnage d’Amy Robbins. Son jeu inhabituel et décalé donne souvent l’impression qu’elle est à moitié bourrée et qu’elle traverse le film sur un nuage. Mais en définitive, cela s’intègre parfaitement au caractère insolite de l’intrigue et renforce l’intensité d’un moment clé de l’histoire. En plus d’avoir une efficacité dramatique imparable pour le spectateur qui a accepté le concept dès le début, il le rend crédible pour l’héroïne, tout en installant un élément de suspense d’autant plus efficace que nous nous sommes attachés à elle.
Le seul petit reproche qu’on pourrait adresser au film réside dans des effets spéciaux pas toujours au top. Certes, à l’époque, on n’en était pas encore aux prodiges numériques actuels, mais la technique avait tout de même fait quelques avancées spectaculaires quelques années auparavant, grâce à Lucas et Spielberg. Il est clair que les trucages sont ici victimes d’un budget hyper-serré, avec des incrustations très cheap où les différents éléments sont immobiles et où on nous ressort de vieux effets de solarisation façon sixties. Cela ne suffit pourtant pas pour mettre le film par terre, preuve que sa force ne réside pas seulement dans son côté fantastique.
Il faut également mentionner l’originalité de l’approche musicale. Au lieu d’utiliser une partition moderne, Nicholas Meyer a eu le culot de faire appel à l’un des meilleurs musiciens de l'âge d’or hollywoodien, Miklos Rozsa. Tout comme Bernard Hermann, le compositeur de Ben-Hur était dans le creux de la vague durant les années 80. Le réalisateur l’imposera donc contre l’avis de la Warner, et sera même obligé de mener campagne pour que sa partition ne soit pas remplacée. Le résultat est magnifique, le style flamboyant de Rozsa apportant une touche de majesté et de classe tout à fait unique.
Le fameux Festival d’Avoriaz, à l’époque une référence en matière de cinéma fantastique, ne s’y trompera pas et lui décernera son Grand Prix en 1980. Les spectateurs, eux, se feront davantage tirer l’oreille pour suivre. Malgré des avant-premières très prometteuses, le film ne trouvera son public que bien des années plus tard, grâce à la vidéo. Au point qu’un réalisateur comme Robert Zemeckis lui rendra un bel hommage indirect en reprenant l’actrice Mary Steenburgen pour une autre histoire de voyage dans le temps, le dernier volet de la trilogie de Retour Vers Le Futur. Un joli témoignage de l’efficacité et du charme de ce petit classique, qui est à sa manière devenu intemporel !
Le retour du Bouclier
Time After Time est le premier film à avoir réutilisé le vieux logo de la Warner, plus connu dans l’industrie sous le nom du “bouclier” ('”the shield”). Auparavant, le sigle avait connu plusieurs déclinaisons, plus ou moins stylisées. C’est le réalisateur Nicholas Meyer qui insista pour le remettre sur le devant de la scène, tel qu’il était dans les années 40, avec sa signature musicale, due au compositeur Max Steiner. Une idée plutôt judicieuse, puisque ce logo est toujours utilisé de nos jours, même s’il a été un petit peu modernisé depuis.
Mini-Trombi
Dans la distribution, on reconnaîtra Corey Feldman, qui fera une belle carrière pendant les années 80 dans des rôles d’ado. On a pu notamment le voir chez Joe Dante (Gremlins, The Burbs) mais également dans Les Goonies. C’est sa première apparition à l’écran.
On note également la présence de Patti d’Arbanville dans le rôle de la collègue d’Amy. Les cinquantenaires de ma génération se souviendront plutôt d’elle comme la “Lady d’Arbanville” de la chanson de Cat Stevens.
Les Effets Spéciaux
Comme nous l’avons dit, ils ne sont pas bien fameux, conséquence d’un budget tout riquiqui. Ils ont été supervisés par Richard Taylor, un designer qui travaillera essentiellement dans le domaine du jeu vidéo, mais participera tout de même à certaines grosses productions, comme Tron ou le premier film de la saga Star Trek. A ne pas confondre avec son homologue néo-zélandais, qui a fondé le studio Weta Workshop.
Les effets visuels de Time After Time sont réduits à leur plus simple expression. Les apparitions/disparitions de la machine à remonter le temps sont généralement des images fixes sur lesquelles ont été apposés des effets de lumière animés à la main (eh oui, nous étions en 1979!). Si le trucage en soi n’est pas foncièrement mauvais, il est trahi par le fait que les personnages s’immobilisent dès que l’effet commence. A l’époque, les caméras pilotées par ordinateur avaient déjà fait leur apparition, et les collages du film apparaissent comme particulièrement cheap.
La deuxième partie du voyage dans le temps est composée quand à elle d’effets vidéo, accompagnée d’extraits sonores qui permettent de dater les différentes époques. On y retrouve donc pêle-mêle Neil Armstrong, John Kennedy, Jimi Hendrix… Un moyen habile de détourner l’attention du spectateur de trucages assez moyens.
La Musique
A priori, quoi de plus surprenant que de retrouver le compositeur de Ben-Hur dans un film sur le voyage dans le temps ? C’est pourtant le pari un peu fou du réalisateur Nicholas Meyer. Miklos Rozsa, comme beaucoup de compositeurs de l’Age d’Or hollywoodien, n’était pas très demandé dans les années 80. Le metteur en scène insistera pourtant auprès de la Warner pour l’obtenir.
Mieux, lorsque les grands pontes de la compagnie commenceront à avoir des doutes sur la musique et menaceront de la remplacer par une B.O. davantage dans l’air du temps, il publiera une page de pub dans les journaux de la profession pour attirer l’attention des critiques sur la partition. Résultat garanti : La Warner abandonnera son idée et ne touchera pas à la musique de Rozsa.
Du coup, sur disque, la musique de Time After Time sera plutôt bien traitée, bien mieux que certaines œuvres de la même époque. La partition est réenregistrée à Londres par le compositeur et paraît sur le label Entracte. En 2009, c’est Film Score Monthly qui entreprend de publier l’intégrale, en utilisant les bandes originales. Le CD, tiré à 3000 exemplaires, est malheureusement devenu très vite une pièce de collection et se trouve très difficilement à l’heure actuelle.
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