(Carlito's Way)
Film de Brian de Palma (1993), avec Al Pacino, Sean, Penn, Penelope Ann Miller, James Rebhorn, Viggo Mortensen, John Leguizamo, etc.
Brian De Palma, Al Pacino… A courte vue, ça pouvait ressembler à une suite de Scarface. Carlito’s Way est au contraire l’itinéraire émouvant d’un ex-gangster qui ne parvient pas à se réinsérer et à échapper à son destin. Retour sur un classique du genre, et l’un des plus beaux films de son réalisateur.
Brian De Palma avait déjà prouvé à plusieurs reprises qu’il était un technicien hors-pair, mais avec Carlito’s Way, il passe à la vitesse supérieure. Le film arrive à concilier le style flamboyant de son auteur avec une histoire solide et émouvante, et le résultat est l’une de ses œuvres les plus attachantes et les plus fortes. Classique certifié.
Le Trombinoscope
En dehors de ses têtes d’affiche, le film comporte également un casting remarquable, principalement composé de « gueules », parmi lesquelles on reconnaîtra l’excellent Luis Guzman (toujours au rendez-vous pour les rôles de latinos) ainsi que Rick Aviles (qui jouait le tueur dans Ghost). A noter également la présence de Viggo Mortensen et aussi de ce solide second rôle qu’est James Rebhorn (toujours détestable dans les rôles de procureur). L’actrice Ingrid Rogers fait ses débuts dans le film, mais on ne peut pas dire que sa prestation soit particulièrement marquante. Egalement dans un tout petit rôle, Paul Mazursky, qui fût dans les années 70 un réalisateur remarqué.
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Al Pacino |
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Sean Penn |
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Penelope Ann Miller |
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Luis Guzman |
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John Leguizamo |
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Viggo Mortensen |
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James Rebhorn |
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Rick Aviles |
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Jorge Porcel |
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Paul Mazursky |
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Ingrid Rogers |
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Joseph Siravo |
La Technique du Film
ATTENTION! Ces focus techniques se concentrent sur la mise en scène de plusieurs séquences-clé du film. Il va donc de soi qu'ils révèlent des informations importantes sur l’intrigue, et qu’il est donc souhaitable de ne les lire qu'après avoir vu le film.
Le Bar
Lors de la première séquence d’action du film, Carlito accompagne son neveu pour un deal qui va mal tourner. Le cadre de l’action est une salle de billard dont les murs rouges taquinent déjà un peu l’œil du spectateur. L’idée maîtresse de la séquence est la confusion, et De Palma entretient cette impression en étant volontairement très imprécis dans sa mise en place. Le réalisateur fait généralement fonctionner l’action en posant clairement la géographie des lieux, ce qui n’est pas le cas ici. Les seuls éléments auxquels le spectateur peut se raccrocher, ce sont des gros plans qui établissent que Carlito a un plan pour se sortir de cette situation. Le moment-clé est un gros plan totalement irréaliste de lunettes, dans le reflet desquelles on voit la présence d’un individu armé. Le reste de l’action est extrêmement rapide, Carlito neutralisant les deux joueurs de billard avant de tirer sur les malfrats. L’affrontement contre le patron du bar est, par contre, très dynamique dans sa mise en images, un travelling latéral vers la gauche suit Carlito alors qu’un mouvement de caméra en sens inverse accompagne son adversaire.
L’Horizon qui chavire
Stephen H. Burum, le directeur photo attitré de De Palma, utilise dans le film de nombreux cadrages très inventifs, et l’un des effets les plus originaux consiste à incliner la caméra, parfois jusqu’à des angles excessifs, puisqu’elle pivote jusqu’à 90°. Cet effet accentue l’impression d’étrangeté dans certaines séquences, comme la scène d’amour entre Carlito et Gail. Dans la scène finale, l’image bascule carrément, un peu comme si le spectateur était à la place de l’âme de Carlito qui quitte son corps. Ce mouvement de caméra permet au réalisateur de raccorder sur la civière puis le visage d’Al Pacino.
L’Ascenseur
Plus classique dans sa forme, cette séquence repose essentiellement sur le rythme du montage. Le public sait que le personnage est menacé, et la musique, très nerveuse, fait lentement monter la tension. De Palma alterne entre les plans du visage de Kleinfeld, qui a remarqué quelque chose d’anormal, et des plans de coupe sur son agresseur qui progresse vers lui. Le réalisateur crée la surprise avec le gros plan d’un second attaquant sur qui s’ouvrent les portes de l’ascenseur. L’agression en elle-même se déroule très vite, le montage s’emballe, l’action devient chaotique jusqu’aux coups de couteau portés sur l’avocat.
« Adios Counselor ! »
Carlito se venge de son ami en retirant les balles de son pistolet, alors qu’il le sait menacé par des tueurs dans sa chambre d’hôpital. Le public n’est pas au courant que l’arme est vide, et De Palma explique la situation sans utiliser le moindre dialogue. Le tueur pénètre dans la chambre, met Kleinsfeld en joue. Celui-ci utilise son pistolet et découvre qu’il est vide. Le plan suivant montre Carlito à l’extérieur de l’hopital, jetant des objets dans une poubelle. Objets qui se révèleront être les balles du revolver, comme nous montre un plan pris depuis l’intérieur même de la poubelle.
La Poursuite dans le Métro
Carlito est repéré dans la rue par les tueurs qui veulent sa peau. Ils le poursuivent donc dans le métro. La caméra l’accompagne dans le wagon, mais De Palma coupe sur plusieurs plans extérieurs de la rame, qui accentuent le fait que le personnage est en quelque sorte prisonnier et n’a pas vraiment de place pour se cacher. On suit ses déplacements dans le wagon, talonné par ses adversaires. De Palma coupe la tension de la séquence en nous montrant Gail sur le quai de la gare. La pendule, cadrée au premier plan, nous rappelle que Carlito joue contre la montre. Alors qu’il est quasiment piégé à un arrêt, un gros plan sur sa main armée d’un revolver fait comprendre aux malfrats qu’il est prêt à tirer dans la foule pour se défendre.
Le « Point de vue de Dieu »
C’est un effet de style cher à De Palma, qui avait d’ailleurs été parfois utilisé par Hitchcock (à qui on doit d’ailleurs cette appellation). La caméra filme l’action depuis une position haute. Cela permet généralement d’offrir un point de vue supplémentaire sur l’action, et donc de la clarifier dans certains cas, mais bien souvent, un tel cadrage a tendance à « écraser » les personnages, et à souligner leur vulnérabilité.
Split Screen
Un autre effet de style qu’on retrouve souvent chez De Palma, c’est le fait d’impliquer davantage le spectateur en lui montrant deux ou plusieurs actions en simultané. C’est un procédé qu’il utilise à l’extrême avec le split-screen (deux images différentes à l’écran) dans des films comme Sisters ou Carrie. Par contre, son utilisation dans Carlito’s Way est beaucoup plus subtile. Dans le premier exemple, les visages de Carlito et de Gail ne sont sur le même plan et ne devraient donc pas être nets tous les deux. C’est un objectif spécial, le split diopter, qui permet ce type d’image, et cela oblige le spectateur à se concentrer sur les deux visages pour y lire les émotions, ici contradictoires, qui sont liées à la scène. Le second exemple est plus classique, le décor lui-même crée des cadres naturels où deux actions se déroulent en parallèle.
Grand Central
C’est le moment fort du film, dans lequel on retrouve un autre élément du style De Palma : le plan-séquence. La caméra suit Carlito alors qu’il essaie de se cacher dans la gare de Grand Central, et le spectateur est réellement impliqué en suivant tous ses déplacements. Le réalisateur fait converger l’action vers l’escalator, où se déroulera la fusillade finale. De Palma n’a pas voulu refaire la célèbre séquence des Incorruptibles et en dépit d’un cadre similaire, l’approche est totalement différente. On notera au passage l’efficacité du découpage et la précision de la mise en place, mais aussi la diversité des plans et le rythme imprimé par le montage et la musique. En même temps, la séquence reste fidèle à un parti-pris de réalisme, et ne succombe pas au côté too much de certaines scènes d’action actuelles.
La Fin
Bien qu’on sache depuis le début du film que Carlito est condamné, le film tente de nous le faire oublier. En fait, De Palma nous implique tellement sur le plan dramatique durant la séquence de Grand Central que nous ne pensons même pas que le héros va se faire « cueillir » au dernier moment, alors que tout semble résolu. Nous avions déjà vu la séquence lors du générique, mais en noir et blanc, ce qui lui conférait un caractère irréaliste (on aurait même pu penser qu’il s’agissait d’un rêve). La voir en couleur agit donc comme un dur retour à la réalité. Le film se termine sur une image paradisiaque, une affiche qui s’anime sous les yeux de Carlito, seul vestige d'une réalité qu'il ne connaîtra jamais. « J’ai eu une dure nuit. Je suis fatigué, chérie, si fatigué… »
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