jeudi 3 octobre 2013

Les Enchaînés

(Notorious)

Film d'Alfred Hitchcock (1946), avec Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains, Louis Calhern, Leopoldine Konstantin, etc...








































Loin du caractère quasi-expérimental de ses films les plus populaires, Notorious représente l’apogée du style Hitchcockien dans ce qu’il a de plus classique : une histoire solide, qui marie romance et espionnage, des personnages attachants,  des dialogues étincelants et quelques grands moments de suspense. Au même titre que plusieurs grands classiques américains, le film d’Hitchcock synthétise l’esprit d’un certain cinéma des années 40, bourré de classe et de sophistication. Mais en même temps, il annonce également des thématiques auxquelles il se réfèrera souvent dans la suite de son œuvre.



  
Au moment où Hitchcock tourne Notorious, il est encore sous la coupe du producteur David O. Selznick, qui l’a fait venir d’Angleterre. Plus  que ses projets suivants, ce sera donc un film de studio, vendu sur le nom de ses stars et de son scénariste, Ben Hecht. Cela n’empêche pas le réalisateur de livrer une œuvre déjà très personnelle, en particulier au niveau de sa mise en images. Notorious contient ainsi de nombreux morceaux de bravoure visuels, des figures de styles typiquement Hitchcockiennes.














Commencée sur un mode romantique, l’intrigue bifurque de manière inattendue. Le réalisateur jette Ingrid Bergman dans les bras de Cary Grant, mais c’est pour mieux les séparer par la suite. Comme dans La Mort aux Trousses, les amants sacrifient leur histoire au nom de la raison d’Etat. Hitchcock brise la romance, la transforme en une sorte de triangle amoureux, dans lequel Bergman et Grant se défient et testent leur attachement l’un à l’autre. Hitchcock donne corps à ses personnages et crée déjà un lien affectif fort avec le public, au travers de leurs réactions.













Dans sa seconde partie, Notorious endosse de manière plus affichée son versant suspense, et c’est vraiment du grand art. Par une utilisation extraordinaire des cadrages et du montage, Hitchcock mène le public où il veut, au gré de morceaux de bravoure discrets mais formidablement efficaces. Une clé, des bouteilles, une tasse deviennent ainsi des instruments qui font naître la tension et l'appréhension avec une apparente simplicité. L'art d'Hitchcock, c'est d'arriver à jouer ainsi avec les gros plans et les réactions de ses personnages pour créer une connivence avec le spectateur et échafauder de merveilleux moments de suspense.











 
On notera que, comme dans de nombreuses œuvres Hitchcockiennes postérieures, le personnage de la mère, effacée mais pourtant d'une grande influence, qui tient fermement les rênes des affaires de son fils. Dans Notorious, elle est moins caricaturale et destructrice que dans les derniers films d'Hitchcock, mais sa présence la rend finalement beaucoup plus menaçante que le "méchant" de l'histoire, Claude Rains. Le réalisateur joue contre les stéréotypes en en faisant un homme gentil et foncièrement aimable. C'est davantage l'organisation nazie pour laquelle il travaille qui crée la menace.











Sommet de classe et de distinction, Notorious est peut-être moins immédiatement évident sur le plan visuel que certains grands classiques Hitchcockiens. Mais à sa manière, il pose les jalons de sa passionnante filmographie. En misant sur un cinéma ouvertement romantique, dans lequel il injecte par petites touches son savoir-faire, il construit petit à petit son œuvre future. Ce côté irrésistiblement glamour en a fait l'un de ses films les plus populaires, tout autant que sa gestion économe et impeccable du suspense. Classique certifié !






Le Trombinoscope
Outre Cary Grant et Ingrid Bergman, stars bankables de l'époque, on retrouve peu de noms connus au générique de Notorious. Claude Rains est surtout connu pour des classiques comme Casablanca ou pour avoir joué sans être vu dans la première version de L'Homme Invisible, et Louis Calhern était un acteur de second rôle assez populaire dans les années 40-50.


 
Cary Grant
Ingrid Bergman
Claude Rains
Leopoldine Konstantin
Ivan Triesault
Louis Calhern
Moroni Olsen


 
Arrêts sur Images
(Comme d'habitude, section à ne lire qu'après avoir vu le film)



Une mise en scène subjective
Bien souvent, pour que le spectateur s'identifie davantage aux personnages, Hitchcock nous fait partager leur point de vue. C'est le cas lors de la séquence en voiture au début du film. Nous partageons le point de vue de Cary Grant sur la route et l'avant de la voiture, ce qui renforce la notion de danger. C'est une technique que le réalisateur réutilisera au début de La Mort aux Trousses.




Hitchcock ose même un effet assez culotté en nous faisant partager le point de vue d'Ingrid Bergman, qui a du mal à voir la route à cause de ses cheveux.





Le réalisateur anticipe la réaction du spectateur avec un plan des mains de Cary Grant, prêt à reprendre le volant pour éviter que la voiture ne quitte la route. Il nous fait également partager son inquiétude avec des gros plans sur son visage.






Jouer avec le spectateur
Le public sait bien que Cary Grant est le héros du film, pourtant Hitchcock prend un malin plaisir à présenter son personnage de manière un peu inhabituelle, en le montrant de dos de manière très prolongée. Cette manière de faire désarçonne un peu le spectateur, qui en cherche la signification sans arriver à la trouver. C'est un moyen d'introduire dans le film la notion de secret, liée au cadre de l'espionnage.






A la première personne
Pour identifier davantage le spectateur aux personnages, Hitchcock n'hésite pas à nous faire partager leur point de vue, même lorsque ce dernier peut être inhabituel. Pour la première cuite d'Alicia, la caméra bascule comme si nous etions ivres.






De manière identique, les effets du poison à la fin du film sont montrés à l'aide de déformations d'image. On anticipe ici un point de vue subjectif dont l'idée sera reprise dans Vertigo.


 



Du plus grand au plus petit
C'est l'une des techniques les plus célèbres du maître du Suspense: passer à l'aide de la caméra d'un point de vue global à un simple détail autour duquel va s'articuler toute l'intrigue. Le travelling de Notorious est sans doute une des séquences qui symbolisent le mieux cette technique. On passe ainsi d'un plan très large de la salle de bal à la main d'Ingrid Bergman tenant la fameuse clé.






Les objets comme acteurs
Toute l'intrigue de Notorious tourne autour d'objets symboliques, qui se répondent les uns aux autres. Hitchcock fait naître la notion de secret en nous montrant une porte fermée. Il créera ensuite le suspense avec la clé qui permettra de l'ouvrir. Le réalisateur accentue son importance avec le travelling dont nous venons de parler, puis la séquence où Alicia la dérobe à son mari.


 
 


C'est un moment remarquablement construit, pendant lequel Hitchcock joue jusqu'au bout avec le spectateur, sur la présence de la clé dans une des mains de l'héroïne. Il le déstabilise en plaçant Alicia dans une situation imprévue. C'est un procédé assez nouveau pour l'époque, où Hitchcock prend une longueur d'avance sur le public en sabrant toutes les possibilités dramatiques qu'il a pu envisager.


 



Lorsque le réalisateur envoie ses personnages dans la fameuse cave, toute la séquence est construite sur l'utilisation des bouteilles. Le suspense est rythmé par le nombre de celles qui restent au bar, car le public sait bien que leur absence obligera les serveurs à surprendre les héros.






Dans la cave, la bouteille devient également un objet capital, puisqu'elle est censée contenir l'élément essentiel  de l'intrigue, ce que Hitchcock appellait le "Mac Guffin", c'est à dire quelque chose de totalement artificiel, qui  ne sera pas forcément expliqué au public mais dont celui-ci comprendra qu'il possède énormément d'importance.






La bombe atomique étant particulièrement d'actualité à l'époque, le Mac Guffin, ce sera donc la matière contenue dans les bouteilles, à savoir de l'uranium.


 



Le réalisateur nous permet d'anticiper l'empoisonnement d'Alicia à l'aide de gros plans de la tasse qu'elle utilise. La composition de l'image, volontairement excessive, est faite pour attirer l’œil, d'abord de manière discrète, puis plus insistante, avant que l'héroïne ne découvre la vérité.





Le caméo d'Hitchcock
Pour un film dont certaines séquences essentielles sont centrées sur l'idée de boisson, l'apparition du réalisateur est particulièrement savoureuse puisqu'on le voit prendre un verre ! De manière assez inhabituelle, ce petit clin d’œil intervient relativement tard. Par la suite, il deviendra tellement populaire qu'Hitchcock le placera en début de film, pour ne pas détourner l'attention du public.

 

Le Final
Notorious est très original en ce sens qu'il ne se termine pas sur une action d'éclat mais presque sur la pointe des pieds. L'idée de la descente d'escaliers porteuse de suspense sera réutilisée bien plus tard par Hitchcock dans son remake de L'Homme qui en Savait Trop.


 


Outre le concept très romantique du héros qui vient secourir sa belle, la fin est également très inhabituelle puisque le public en viendrait presque à plaindre le "méchant". Là encore, l'idée est amenée avec beaucoup de subtilité, puisque nous savons parfaitement qu'il est condamné, victime d'un système qu'il pensait maitriser. Le dernier plan nous le montre allant vers son destin et une mort qu'on sait inéluctable.


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