(The Ten Commandments)
Film de Cecil B. DeMille (1956), avec Charlton Heston, Yul Brynner, Anne Baxter, Edward G. Robinson, Yvonne de Carlo, etc…
Il y a quelque chose dans Les Dix Commandements qui parle directement à une sensibilité d’enfant. C'est un grand spectacle biblique qui n'a pas peur de ses ambitions, fait dans l'énorme et le démesuré, et qui resta pendant bien longtemps comme le mètre-étalon dans son domaine. Budget record (on pourrait presque le qualifier de pharaonique!), figuration imposante, effets spéciaux révolutionnaires (pour l'époque) ... Aujourd'hui que reste-t'il de tout celà ? Une énorme pâtisserie, un monument de kitsch qui fait plus d'une fois sourire, mais qui représente indéniablement une date dans l'histoire du cinéma.
Le nom de Cecil B. de Mille ne parlera sans doute pas aux nouvelles générations, mais au même titre que Hitchcock en matière de suspense, l'homme a tout de même laissé une trace dans l'histoire des gros budgets. Un brin mégalo (il apparaît d'ailleurs dans une introduction filmée), DeMille c'est une sorte de papa gâteau qui gèrerait des projets colossaux et grandioses. Catho bon teint, le père DeMille ne révolutionnera pas le 7ème art grace au style de sa mise en scène ou les performances de ses acteurs. Non, sa spécialité à lui, c'est le démesuré, le titanesque. Et il faut reconnaitre, avec le recul, qu'il fallait tout de même un sacré sens du spectacle pour arriver au résultat qu'il obtient ici.
C'est moins grâce aux effets spéciaux (souvent ratés à l’exception de la grosse scène de la Mer Rouge) qu'à une impressionnante figuration que le film impressionne encore aujourd'hui. A une époque où les infographistes multiplient d'un clic de souris les foules numériques comme des petits pains, on reste admiratif devant le travail incroyable qu'a pu demander la coordination de telles scènes, pleines à craquer de figurants ou d'animaux divers et variés. Ça fourmille de détails incroyables, tellement que le film doit obligatoirement être vu sur grand écran pour être pleinement apprécié (les cinéphiles de la génération du Strapontin y ont forcément eu droit).
On ne peut regarder Les Dix Commandements sans un brin de nostalgie pour ce cinéma de carton-pâte qui a fait les beaux jours d'Hollywood. Les ressorts dramatiques sont archi-éprouvés et suffisamment universels pour parler à chacun, et même s'il s'inspire des textes bibliques, l'histoire de Moïse est également fidèle à un certain esprit américain dans lequel le héros tombe au plus bas et triomphe de l'adversité. A sa manière, le film est une grande saga et si sa durée excessive (près de 4 heures) peut faire peur, DeMille arrive tout de même à maintenir l'intérêt du spectateur, même si la dernière partie se résume principalement à un bras de fer un peu longuet entre Moïse et Pharaon.
Bien entendu, il ne faut pas attendre des merveilles d'un casting pourtant top moumoute. Charlton Heston apporte toute sa conviction au rôle de Moïse, et parmi tous les autres, on remarquera plus volontiers Edward G. Robinson dans le rôle de l'infâme Dathan et un Vincent Price plutôt effacé dans le rôle d'un contremaitre égyptien. Les acteurs sont davantage des éléments, presque des détails, au service d'une gigantesque tapisserie, mise en images avec application, mais aussi une indéniable ferveur qui dérape plus d'une fois dans le cucul et le saint-sulpicien. Le film affiche bien son âge dans ce mélange de mauvais gout hollywoodien et de carton-pâte.
Mais DeMille avait tout de même, à l'époque, tout compris de la notion de spectacle. A savoir qu'il fallait donner au public du jamais-vu, de l'inédit. Du coup, avec les ressources techniques limitées et le savoir-faire de l'époque, il réussit tout de même à créer un spectacle grandiose, dont le clou, la séquence de la Mer Rouge, étonne encore plus d'un demi-siècle après sa réalisation. Les effets spéciaux parfois rudimentaires ont ce mélange d'ingéniosité et de merveilleux, mais ils sont surtout soutenus par une mise en place soigneuse qui pousse au maximum leur potentiel dramatique. DeMille sait comment les mettre en valeur, à grand coups de dialogues ampoulés ou de répliques péremptoires et menaçantes qui font partie de ce plaisir jubilatoire et un peu gamin qu'on éprouve à la vision du film.
Grosse pièce montée, Les Dix Commandements a les défauts de ses qualités: trop riche, trop sucré et trop bourratif, il impressionne plus d'une fois et fait certainement saliver, mais on cale un peu lorsqu'on arrive au bout. Unique mais définitivement pas pour les estomacs fragiles.
Les Effets Spéciaux
Clairement, Cecil B. DeMille a mis les petits plats dans les grands. Par rapport aux films réalisés à la même époque, Les Dix Commandements comporte une quantité plus que significative d’effets spéciaux en tout genre, ce qui explique sans doute en partie le budget colossal du film. DeMille travaillait d’ordinaire avec Gordon Jennings, responsable de ce département à la Paramount, mais ce dernier décéda durant la mise en chantier du film. C’est donc John P. Fulton, l’un des artistes les plus réputés de sa profession, qui prendra en charge les effets. Pour mémoire, Fulton a été rendu célèbre par son travail innovant sur la version 1933 de L’Homme Invisible. Il recevra un Oscar pour son travail sur le film de DeMille.
Le film mélange habilement des prises de vues captées sur les lieux-mêmes de l’action, qui ont été ensuite utilisés comme arrière-plans pour l’incrustation des acteurs.
C’est malheureusement dans ce domaine que le film pêche, car tout ce qui est incrustations reste tout de même d’une qualité plus que discutable. On a (sur)utilisé la technique de l’écran bleu, mais suite à des problèmes d’alignement optique qui n’étaient pas bien maitrisés à l’époque (et aussi d’une post-production bouclée à la va-vite), le résultat est souvent très médiocre. Les découpes autour des acteurs, ou même autour des décors, sont vraiment extrêmement voyantes. Cela participe un peu à l’effet carton-pâte du film, mais le résultat fait tout de même un peu bâclé.
Par contre, le film utilise une quantité impressionnante (plus d’une centaine) de matte paintings, des fonds peints sur verre, dont la plus grosse partie seront réalisés par Jan Domela, qui était l’artiste “maison” de la Paramount. Certaines de ses peintures, comme celles du mont Sinaï, sont particulièrement impressionnantes par l’ambiance très particulière qu’elles dégagent.
Les Dix Commandements utilise également les effets d’animation, un peu comme avait pu le faire une production MGM de la même époque, Planète Interdite. Le film en fait cependant un usage beaucoup plus intensif, et là encore, la technique montre ses limites. Les colonnes de feu animées sont effectivement plaisantes à l’œil, mail il leur manque un certain relief, en dépit du fait que DeMille use et abuse des effets de perspective (notamment lors de la scène où sont gravés les dix commandements).
L’animation est également utilisée pour des effets précurseurs du morphing, comme celui où le bâton de pèlerin de Moïse se transforme en cobra. Le serpent est d’abord animé, puis superposé à une prise de vues live lorsque le mouvement de l’animal et celui l’animation correspondent exactement.
Le gros morceau du film, c’est bien évidemment la séquence de la Mer Rouge, dont le secret a été jalousement gardé pendant des années. La séquence a été en fait réalisée dans un bassin, construit avec une tranchée centrale, qui était inondée par le contenu de deux énormes réservoirs. La séquence était alors projetée à l’envers pour montrer les flots s’ouvrir. De nombreux tests furent effectués, mais l’eau n’ayant pas la densité requise, son écoulement n’était pas assez réaliste. Fulton utilisa donc de la gélatine diluée dans l’eau afin de lui donner l’épaisseur nécessaire. Cette séquence est restée pendant très longtemps l’effet spécial le plus cher jamais réalisé.
Les murs d’eau qui encadrent les acteurs étaient en fait des chutes d’eau, dont l’image a été renversée perpendiculairement pour donner cet effet d’écoulement vers le haut.
En vidéo
Les Dix Commandements est un titre-culte pour la Paramount. Le film est même régulièrement rediffusé à Paques à la télé américaine. C’est dire si son édition vidéo a été soignée. En DVD, il y a d’abord eu une édition parue en 2001 sans le moindre bonus, car à l’époque Paramount ne croyait pas vraiment au succès du support et tâtait un peu le terrain et le marché. Le film était réparti sur deux galettes, avec 3 bandes-annonce en supplément. Trois ans plus tard, une édition collector bien plus fournie est disponible. Parmi les extras, on trouve un commentaire audio, un reportage sur la première du film, et en pièce de résistance, un documentaire en 6 parties qui couvre toute la production du film. C’est fait sur un ton très promotionnel, mais il y a quelques anecdotes sympathiques. Par contre, la qualité d’image n’est pas vraiment terrible, et accentue les défauts des effets spéciaux. Le film sera restauré pour sa sortie en blu-ray, avec un piqué et une définition qui rendent justice au format VistaVision dans lequel le film a été tourné. Malheureusement, on perd en route tous les bonus de la précédente édition. La politique des éditeurs quant à la reprise de suppléments existants reste décidément incompréhensible !
Pour les collectionneurs, il existe une édition de 6 disques parue dans un luxueux coffret, avec des reproductions des tables de la Loi (si!). C’est un import américain, mais compatible avec les platines françaises.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire