jeudi 8 novembre 2012

Coup de Torchon

Film de Bertrand Tavernier (1981), avec Philippe Noiret, Stéphane Audran, Jean-Pierre Marielle, Isabelle Huppert, Eddy Mitchell, etc…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Bertrand Tavernier a toujours été une personnalité à part dans le cinéma français, l’un des rares, à une certaine époque, à oser un cinéma qui, bien que commercial par la présence de têtes d’affiche, laissait tout de même parler une sensibilité très personnelle. Au travers d’une filmographie plus que diversifiée, on sent constamment la patte d’un auteur, qui n’hésite pas à prendre des risques.
 
 
Coup de Torchon est né de l’admiration du réalisateur pour l’écrivain Jim Thompson, dont il cherchait depuis des années à adapter l’une de ses œuvres-phare, 1275 Âmes. Réputé comme impossible à transposer au cinéma, le livre usera pas mal de scénaristes jusqu’à ce que Tavernier ait l’idée de le transposer en Afrique Occidentale à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale. Le résultat est une comédie noire et grinçante, et un film unique en son genre.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le héros, Cordier (Philippe Noiret), « shériff » de Bourkassa-Oubangui, décide donc un jour de donner ce fameux « coup de torchon » et de se rebeller contre tous ceux qui l’ont humilié. Et c’est le début d’un formidable jeu de massacre dans lequel tout le monde en prend pour son grade. Cordier se dit guidé par la main de Dieu, mais est-il réellement fou ? Le film nous emmène très vite dans une savoureuse et subtile manipulation, dans laquelle le héros, d’abord présenté comme un raté intégral, trouvera une certaine forme de rédemption en faisant le ménage autour de lui.
 
 
 
 
 
Pour ajouter davantage au caractère déjà inhabituel de l’histoire, Bertrand Tavernier brouille les cartes avec brio et mélange allègrement les genres, tout en gardant au film un côté malicieux et pétillant. Il utilise les codes de la comédie à la française pour mieux les détourner ensuite et surprendre le spectateur au détour d’une trouvaille inattendue. Plus d’une fois, le rire s’étrangle et on est cueilli à froid par une rupture de ton. Le réalisateur n’hésite pas à aller trop loin, que ce soit dans l’humour noir ou la veulerie des personnages, qui sont en définitive tous plus haïssables les uns que les autres.



 
 
 
Tavernier porte un regard goguenard sur tout ce petit monde, aidé il est vrai par des acteurs hors-pair, souvent utilisés à contre-emploi. Eddy Mitchell en abruti intégral, Isabelle Huppert en nymphomane, Stéphane Audran en épouse aigrie, c’est un véritable festival. Coup de Torchon ne serait pas aussi percutant sans ses dialogues savoureux, co-signés par Jean Aurenche et Tavernier. Ils savent être efficaces et goûteux, aussi bien dans les échanges entre les personnages que sur les monologues existentiels de Philippe Noiret, qui a rarement été aussi bon. Le film est une véritable mine de répliques cultes et mémorables, qui ne sont pas simplement là pour le plaisir d'aligner de bons mots. Au contraire, ils enrichissent l'histoire et les personnages, mais permettent également au spectateur de ne pas trop être désarçonné par les changements de registre du film.

 
 
 
La photographie de Pierre-William Glenn est particulièrement réussie, avec ses longs travellings à la Steadicam qui poursuivent les personnages ou les traquent au sein de leur folie. Elle communique une instabilité permanente des cadrages, qui renforce l’atmosphère d’étrangeté qui imprègne le film. Enfin, la musique de Philippe Sarde est un ingrédient supplémentaire dans ce patchwork : elle-même se nourrit d’influences diverses, entre musique atonale au jazz, et change de registre avec maestria, accompagnant subtilement les cassures de style du film.
 
 
 
 
 
 
 
 
Coup de Torchon est un film inclassable, qui n’oublie pourtant jamais d’être drôle. Son mélange des genres peut désarçonner, de même que son univers et ses personnages déjantés. Même si Tavernier garde une forme de mise en scène très familière, c’est pour mieux déstabiliser ensuite le spectateur. Ce mélange déconcertant restitue à merveille le style a priori inadaptable de Jim Thompson, et se classe sans conteste parmi les meilleurs films de son auteur. Définitivement cultissime.
 

 
Le Trombi :
Une section trombinosocope très fournie, car comme on l’a dit, le casting de Coup de Torchon est l’un des principaux atouts du film, avec des acteurs confirmés certes, mais dans des rôles inhabituels. Beaucoup de seconds rôles judicieusement choisis, plus quelques nouvelles têtes, dont un Eddy Mitchell qui faisait ici des débuts remarqués au cinéma.
 
Philippe Noiret
Stéphane Audran
Eddy Mitchell
Gérard Hernandez et Jean-Pierre Marielle
Guy Marchand
Isabelle Huppert
Michel Beaune
Irène Skobline
Jean Champion
François Perrot
 
Ma rencontre avec Bertrand Tavernier :
A l’époque, nous avions le projet, moi et des amis, de monter un magazine consacré à la musique de films. Entreprise qui n’a malheureusement pas vu le jour, mais qu'il a fallu tout de même faire vivre et alimenter par quelques entretiens. Aussi, lorsque le père d'un de mes copains, à qui j'avais parlé de notre projet, me propose de rencontrer Bertrand Tavernier, inutile de dire que j’étais dans mes petits souliers et que, vu que je n’avais strictement aucune expérience dans ce domaine, je me préparais à un fiasco monumental.
 
Le jour de l’interview, il me reçoit donc dans son appartement parisien. Problème, il souffre d’un violent mal de dos et restera donc allongé pendant la durée de l’entretien. J’ai presque l’impression d’être un psy à l’écoute de son patient, et je me lance avec mon petit magnétophone tout ridicule. Dès les premières questions, Tavernier me met à l’aise, car c’est davantage le cinéphile que le metteur en scène qui parle. Et il en connaît un rayon, il a même des connaissances carrément encyclopédiques. Cela va de soi, car il a quand même signé avec Jean-Pierre Coursodon la bible 50 ans de Cinéma Américain, et la conversation est passionnante, presque à bâtons rompus. Bertrand Tavernier est quelqu'un d'une formidable simplicité et d'une telle humilité qu'on en oublierait presque le metteur en scène, tant il revendique et vous fait partager son admiration pour des tas de choses, que ce soit dans le domaine de la musique que du cinéma. On pourrait l’écouter des heures, tant sa culture et sa passion pour le cinéma sont immenses. Nous parlerons de jazz (une autre de ses grandes passions), de musique de film et bien entendu de Coup de Torchon. Il évoquera notamment ses difficultés à monter la scène finale du film, et comment son compositeur Philippe Sarde l’aidera à les résoudre. L’entretien durera une heure environ, et je l’aurais volontiers fait durer davantage, tant c’était un réel plaisir de l’écouter parler, mais je ne voulais pas non plus abuser, compte tenu de son état de santé. Je tenais donc à le remercier publiquement pour cette m’avoir accordé cet entretien qui, hélas pour lui, ne sera jamais publié…

 
Le DVD :
Le film a été édité par StudioCanal dans une copie de bonne qualité, même si le contraste laisse un peu à désirer. Côté suppléments, le disque est plutôt bien fourni et propose une interview de Noiret et Tavernier, riche en anecdotes savoureuses sur le tournage du film. Un petit régal. Il y a également un entretien avec Eddy Mitchell, et surtout une section consacrée aux fins alternatives du film. Tavernier en a filmé deux différentes, qui apparaissent ici. Personnellement, j’avoue ma préférence pour celle retenue dans le film, celle avec les gorilles en rajoutant peut-être un petit peu trop dans l’esprit décalé du film. Une édition hautement recommandable, donc, même si elle commence à dater.

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