mardi 15 janvier 2013

Complot de Famille

(Family Plot)
Film d'Alfred Hitchcock (1976), avec Karen Black, Barbara Harris, Bruce Dern, William Devane, Ed Lauter, etc...





















Parmi les derniers films d' Hitchcock, Family Plot n'a pas vraiment la côte. Il n'est de bon ton de dire que le Maître du Suspense n'était pas très inspiré pour ce dernier effort. C'est certain qu'à 80 ans, avec un stimulateur cardiaque, Hitch n'était pas non plus dans une forme olympique et qu'il aurait été vain d'attendre de lui un chef d'œuvre de la trempe de Psychose ou de Vertigo.
 
 
Pourtant, a l'arrivée, ce Family Plot se tient plutôt bien, c'est même une comédie plutôt recommandable, et tout à fait dans l'esprit d'un certain cinéma seventies. L'intrigue peut paraître simplette, mais on se rend vite compte que ce qui a intéréssé  Hitchcock, c'est l'entremêlement de deux histoires distinctes, qui finissent en définitive par fusionner. Le réalisateur passe allègrement sur les aspects un peu convenus du scénario et Family Plot devient, du coup, une véritable démonstration de style narratif.
 
 
Hitchcock, même dans ses films les plus faibles, reste fascinant dans la manière qu'il possède d'envisager les films comme de gigantesques équations: le but est d'obtenir une participation maximale du spectateur, et du coup, le réalisateur ne craint pas de privilégier tout ce qui peut l'encourager, et tant pis si cela peut paraître un peu scolaire à certains. C'est vrai que dans Family Plot, Hitchcock prend son temps pour récapituler tous les tenants et aboutissants du scénario. Du coup, cela donne au film une allure nonchalante et très détendue qui en fait une sorte de récréation.
 



 
Ce qui a pas mal joué contre Family Plot, c'est le fait que Hitchcock ait brillamment réussi Frenzy 2 ou 3 ans auparavant. D'un seul coup, il avait réussi à se réinventer après une série de films plus ou moins réussis, mais que la critique s'était accordée pour trouver bien inférieurs au reste de son œuvre. Donc forcément, se fendre d'une petite comédie gentillette la où on attendait un thriller implacable, ce n'était pas vraiment du goût de pas mal de monde.



 
Pourtant, ce Family Plot, malgré ses défauts, est plus que sympathique et bourré de petites touches Hitchcockiennes. Les deux intrigues parallèles se recoupent avec habileté, chacune menée sur un ton particulier: plus fantasque et déconneur avec le duo Barbara Harris/Bruce Dern, plus tenu et classique avec Karen Black et William Devane. Comme dans les meilleurs films du réalisateur, le scénario repose sur une confusion des identités et sur un personnage qui n'existe pas, Eddie Shoebridge. Ce n'est d'ailleurs pas la seule similitude: la séquence de la voiture sans freins évoque le début de La Mort aux Trousses, et Hitch n'a pas peur d'en faire des caisses dans l'humour un peu lourdingue avec les pitreries de son actrice principale. A d'autres moments, la mise en scène fait preuve d'une grande efficacité, comme durant la séquence du cimetière ou lors du rapt de l'évêque, qui montre que le réalisateur n'a rien perdu de son style inimitable.
 
 
En même temps, Family Plot est fidèle à un certain esprit seventies dans son esthétique et sa facture très classique. Mais Hitchcock ne se prive pas pour autant de quelques allusions douteuses qui, si elles ne sont pas d'une très grande finesse, restent fidèles à son esprit un peu frondeur. Il y a aussi une tirade contre la religion dont le cynisme surprend un peu, tant elle est à l'opposé d'un esprit somme toute assez bon enfant qui imprègne le film. Et puis il y a aussi ces petits détails, comme la perruque dans le frigo, qui sont tellement saugrenus qu'ils en deviennent carrément surréalistes.



 

 

C'est principalement cette ambiance conviviale et légère qu'on retiendra du film. A l'instar de la musique légère de John Williams, Hitchcock nous livre une œuvre malicieuse et espiègle, qui ne se prend pas au sérieux. On y retrouve, l'espace de quelques secondes, tout son talent et son sens de la mise en place. Peu importe alors que le reste soit parfois un peu mollasson et à la limite du téléfilm. Quelque part, Family Plot dégage un charme désuet, traversé de temps à autre par de petits éclairs de génie. Hitchcock nous quitte sur un clin d'oeil, un film mineur qui s'il n'est pas génial, s'avère tout de même fichtrement agréable.


Le Trombi:
Hitchcock avait assez mal digéré le fait d'avoir à payer des cachets astronomiques pour certains de ses films. Pour Family Plot, il choisira donc l'économie. Bruce Dern, qu'il avait déjà employé dans Marnie, sera préféré à Al Pacino, et William Devane à Burt Reynolds. Pour la petite histoire, Roy Thinnes (le David Vincent des Envahisseurs) sera engagé pour tenir le rôle d'Arthur Adamson, et sera débarqué en plein tournage et remplacé par Devane.
Karen Black
Bruce Dern
Barbara Harris
William Devane
Cathleen Nesbitt
Ed Lauter
J. Patrick Mc Namara
Charles Tyner
Warren J. Kemmerling
Katherine Helmond
Nicholas Colasanto

La Mise en Scène:
Family Plot a beau être un Hitchcock mineur, il contient tout de même quelques belles idées de mise en scène. La conception de l'intrigue est très géométrique, puisqu'il est question d'histoires distinctes qui se recoupent. Le premier point d'intersection intervient lorsque le taxi de George croise le chemin de Fran, la femme en noir. Alors que le spectateur était jusqu'alors resté dans la voiture, Hitchcock nous place à l’extérieur et en utilisant un ample mouvement de caméra, nous attache aux pas du nouveau personnage qu'il vient d'introduire. Bien évidemment, le public anticipe d'emblée le fait que la personne recherchée par Blanche a un lien avec tout cela, mais le réalisateur donne un minimum d'informations afin de permettre au spectateur de construire sa propre version de l'histoire.


L'approche géométrique est encore plus évidente dans la scène du cimetière, où la situation de base est inversée: ici un personnage détenteur d'un secret va chercher par tous les moyens a éviter de croiser George, qui est en quelque sorte le point d'identification du spectateur. Hitchcock avait d'ailleurs baptisé ce plan le "Mondrian shot", en référence aux oeuvres de Piet Mondrian, caractérisées par des formes rectangulaires très marquées.


La Voiture:
La séquence de la voiture sans freins est, comme nous l'avons dit, une citation à peine déguisée de la séquence de La Mort aux Trousses, où un Cary Grant bourré comme un coing tentait d'échapper à des tueurs. Ici, la situation est différente, puisque la voiture a été sabotée au préalable. Le spectateur sait qu'il sait passé quelque chose, mais il ne sait pas quoi. Hitchcock nous indique donc ce qui s'est passé grâce à un plan du dessous de la voiture.


Pendant toute la séquence, la caméra alterne entre des plans des deux personnages et leur point de vue. Le concept du réalisateur joue sur le fait de mettre le spectateur dans la même situation que les protagonistes, en concentrant l'action à l’intérieur de la voiture. Afin d'intensifier la menace, le réalisateur insère un court insert sur les marques du liquide de freinage sur la route.

 

Le Kidnapping:
Le moment le plus représentatif du style Hitchcock est probablement l'enlèvement de l'évêque. Le découpage se focalise sur des petits détails en gros plan (la seringue, le visage de la victime), montés sur un rythme très soutenu. Le fait que la séquence soit quasiment muette renforce l'impact des images.

 

Le Garage:
Un autre exemple de découpage se situe lorsque Blanche se retrouve confrontée à Adamson et Fran dans le garage. Les deux kidnappeurs doivent partir échanger l'évêque contre la rançon, et ce dernier est allongé dans la voiture, drogué. Hitchcock fait naître le suspense à partir d'un bout de son aube qui dépasse de la portière. Ici, le spectateur et un des personnages sont au courant d'un élément que les autres ignorent. Le suspense naîtra ici de la manière dont Fran tentera de camoufler ce détail. Le réalisateur crée la surprise avec un effet inattendu, renforcé par l'utilisation du gros plan: la tête de l'évêque qui bascule par la portière.


La lutte de Blanche contre Adamson est filmée en plans très serrés, caméra à l'épaule, et les mouvements incessants du cadre renforcent l'impression de violence. C'est un procédé qu'Hitchcock avait également employé dans La Mort aux Trousses. La tache de sang sur le chemisier évoque Marnie, même s'il est clair que la citation n'est pas implicitement voulue par le réalisateur.


 

 
La Musique:
Hitchcock a toujours eu une approche très musicale de la mise en scène. Dans ses meilleurs films, la musique de Bernard Herrmann tenait un rôle prépondérant. cependant, dans ses derniers films, le réalisateur avait eu du mal à trouver un compositeur à sa mesure. John Williams, tout frais sorti de l'expérience de Jaws, livre avec Family Plot une partition inattendue, à la fois légère et pleine de suspense. Beaucoup d'éléments, nottament l'utilisation des choeurs, évoquent ce que fera Williams l'année suivante dans Rencontres du Troisième Type, et l'utilisation du clavecin accentue le côté insouciant et souriant de l'intrigue. A l'époque, le compositeur n'avait pas connu le carton de Star Wars, et son style avait su garder une certaine fraîcheur. Assez curieusement, aucun disque ne sera édité au moment de la sortie du film, et il faudra attendre près de 35 ans pour que la partition soit enfin éditée. Bien que s'agissant d'une édition limitée, elle est toujours disponible sur le site de l'éditeur.







L'apparition d'Hitchcock:
C'est connu, le Maître du Suspense faisait toujours une petite apparition clin d'oeil dans chacun de ses films. Celle de Family Plot, la toute dernière, est particulièrement émouvante, puisqu'elle annonce en filigrane la conclusion de l'oeuvre du réalisateur. Il n'apparaît pas en personne, mais en ombre chinoise sur la porte d'un bureau d'état-civil. Une belle manière de tirer sa révérence.

 

En vidéo:
Considéré par beaucoup comme un Hitchcock mineur, Family Plot a tout de même eu droit à une édition DVD soignée, avec un reportage rétrospectif, Plotting Family Plot, qui sera un vrai régal pour les fans du film. Tous les acteurs principaux (à l'exception de Barbara Harris) y vont de leur petit souvenir d'un tournage apparemment très plaisant, et il y a même une petite section consacrée à la musique. On ne peut malheureusement pas dire que le transfert vidéo ait été réalisé avec autant de soin, puisque c'est vraiment l'un des plus mauvais de la collection parue chez Universal. Le blu-ray n'apporte malheureusement pas davantage d'amélioration, avec une image mal définie et pleine de défauts. Décidément...


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