samedi 5 mars 2016

Génération Proteus

(Demon Seed)

Film de Donald Cammell (1977), avec Julie Christie, Fritz Weaver, Gerrit Graham, Berry Kroeger, Lisa Lu, etc…

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Même en matière de science-fiction, le postulat de départ de Demon Seed est tout de même assez culotté et tordu. On y parle d’un super-ordinateur, qui enterre allègrement tout ce qui a pû se faire dans le domaine de l’intelligence artificielle. Un ordi tellement intelligent et évolué qu’il se rebelle contre ses créateurs, puis finit par séquestrer la femme de son concepteur, dans le but de lui … faire un enfant ! Oui, vous avez bien lu ! Un pitch à la fois énorme et grotesque, qui finit en définitive par donner l’un des films de SF les plus singuliers des années 70.

 

vlcsnap-2016-03-05-16h07m42s195La plus grosse qualité de ce Demon Seed, c’est justement qu’en dépit de l’invraisemblance de son postulat, on finit tout doucement par y croire. Entendons-nous bien, le film est extrêmement daté, en particulier au niveau des ses graphismes vidéo, qui évoquent gentiment ce qui pouvait se faire de plus laid en matière d’effets télévisuels. Si le nom de Jean-Christophe Averty rappelle quelque chose aux plus anciens d’entre vous, cela leur situera à peu près le niveau.

 


 

vlcsnap-2016-03-05-16h07m34s120Le film souffre visiblement d’un budget réduit, qui a contraint les producteurs à faire appel à des créateurs guère originaux et surtout bon marché. Jordan Belson, avec ses effets abstraits et un peu cheap, faisait déjà daté en 1977, et ceci d’autant plus qu’un certain George Lucas allait imposer un nouveau standard de qualité en matière d’effets visuels. C’est sans doute l’une des raisons pour laquelle le film ne trouvera jamais réellement son public. Le titre original, Demon Seed (la semence du démon), n’aidera pas vraiment non plus, en le cataloguant comme un médiocre film d’horreur.

 

 

vlcsnap-2016-03-05-16h14m40s38Pourtant, s’il est très loin d’être un chef d’oeuvre du genre, Demon Seed se tient plutôt bien, en grande partie grace à l’extraordinaire performance de Julie Christie. Jouer sans partenaire réel en face d’elle n’était déjà pas évident, mais elle réussit en plus le tour de force de rendre l’histoire crédible par l’authenticité de son jeu et de ses réactions. En face d’elle, on reconnaîtra le trop rare Gerrit Graham, dont les fans de Phantom of The Paradise se souviendont dans le rôle du flamboyant Beef. Il n’est malheureusement pas beaucoup mis en valeur par un personnage sans relief et c’est dommage. L’acteur considère cependant que c’est l’une des performances dont il est le plus fier. Comme quoi …


 

vlcsnap-2016-03-05-16h20m11s16Julie Christie, par contre, paie vraiment de sa personne, car le film ne lui épargne pas plusieurs séquences de torture un tantinet voyeuristes et flirtant avec le bondage. Rien de bien méchant, mais on sent que la provocation n’est pas loin, même si Donald Cammell met tout cela en scène avec tact et sobriété. Le moment capital, la scène à ne pas rater, bref la “scène d’amour”, est montrée sans complaisance, dans un déluge d’effets laser, avant de se conclure par un trip visuel à la 2001, mais réalisé à l’économie. C’est bien dommage.

 

 

vlcsnap-2016-03-05-16h02m47s79Demon Seed trouve par contre des échos très contemporains dans la description, 30 ans avant l’heure, de la domotique. L’omniprésence de l’informatique paraît d’ailleurs beaucoup plus crédible aujourd’hui qu’en 1977. Le film pose bien évidemment plusieurs questions sur les limites de l’intelligence artificielle, mais qui sont bien vite balayées au profit du spectacle et de l’aspect thriller. Donald Cammell n’est pas Kubrick. C’est un réalisateur très rare, dont le seul titre de gloire est d’avoir co-réalisé avec Nicholas Roeg un film-culte des années 70, Performance, avec Mick Jagger. Sa réalisation est efficace, malgré certains parti-pris curieux, comme l’utilisation du ralenti.

 


Alors bien évidemment, vous allez me demander comment tout celà finit, si la belle Julie Christie accouche d’un portable ou d’un Mac, de quelle couleur est la chambre du bébé, tout ça quoi ! Je dirai juste que Demon Seed va jusqu’au bout de son concept à dormir debout et que la conclusion de cette intrigue délirante est parfaitement à la hauteur. Mieux, le film rebondit alors avec une force insoupçonnée et trouve enfin la pleine mesure de son sujet. Un dénouement idéal et surprenant pour un film atypique, le genre-même d’oeuvre culte et obscure qui, même si elle n’est pas complètement réussie, sera, on l’espère, un jour réhabilitée.

 

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En vidéo

vlcsnap-2016-03-05-15h57m53s119Pour découvrir Demon Seed, il faut malheureusement se tourner vers les States, puisque notre beau pays n’a même pas cru bon de le sortir en DVD. Il y a des films comme ça, qui sentent apparemment le gaz. Sorti en catimini dans les salles françaises pour des résultats dérisoires, autant dire que les éditeurs ne se sont pas bousculés au portillon pour le distribuer. On se tournera donc vers le DVD Zone 1 paru aux USA qui, fort heureusement, est totalement compatible avec les platines françaises. La qualité d’image n’est pas top, elle est même parfois limite mais on y trouve une bande son et des sous-titres français. Bonus inexistants (une bande-annonce), on espère donc qu’un éditeur indépendant redonnera sa chance à ce film oublié. Après tout, à une époque où même Howard The Duck a droit à une édition collector, on se dit que tout est possible !

 

 

La Musique

vlcsnap-2016-03-05-15h58m14s151Parmi les aspects les plus déroutants de Demon Seed, il y a sa partition musicale, signée Jerry Fielding. Fidèle collaborateur de Sam Peckinpah, le compositeur a signé des oeuvres intransigeantes pour le cinéma : pas ou peu de thèmes identifiables, des orchestrations brutes et une approche résolument atonale qui le placent au côté d’expérimentateurs comme Leonard Rosenman. Mélange déconcertant de sonorités électroniques déstabilisantes, Demon Seed n’est pas d’un abord très facile, loin de là. Seul le final s’enrichit d’un peu de chaleur, le reste est glacé, au diapason d’une ambiance où règnent les machines.


 

264_403603 Malgré son caractère ouvertement anti-commercial, la partition sera pourtant publiée en 2003 par le label Film Score Monthly (FSM), couplée pour l’occasion avec la B.O. de Soleil Vert (un autre film MGM). L’occasion de découvrir une oeuvre torturée et difficile, qui sera d’ailleurs jugée trop avant-gardiste par les producteurs, au point que Fielding sera obligé de revoir sa copie sur plusieurs séquences. Le CD, tiré à 10.000 exemplaires, est toujours disponible sur le site de l'éditeur.

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