mardi 5 avril 2011

Requiem for a Dream

Arrêts sur Images

Requiem for a Dream a été un projet très difficile à monter pour Darren Aronofsky. Le succès de son premier film, Pi, réalisé avec un budget très modeste, lui permet de choisir un projet plus risqué, l’adaptation du roman d’Hubert Selby Jr. Selby, dont le livre Last Exit to Brooklyn avait déjà été porté à l’écran, décrit dans ses œuvres un monde impitoyable où drogue, prostitution et déchéance emmènent les personnages au fond du gouffre. Un sujet pas très Hollywoodien, donc. Ce qui explique pourquoi Requiem a été financé par des producteurs indépendants, la compagnie Thousand Words, et distribué par Artisan, qui s’était fait une spécialité de soutenir des films plus difficiles.


Un style visuel très musical
Avec ses hip-hop montages, comme il les définit lui-même, Aronofsky utilise les images comme un musicien se servirait d’échantillons sonores, de samples pour construire une chanson. Par leur association très rapide, le réalisateur nous montre l’effet du shoot, très rapide et non persistant. Il est d’ailleurs répété à de nombreuses reprises dans le film, pour accentuer le côté obsessionnel.





Outre la prise de drogue, un autre montage est utilisé pour décrire l’ascension fulgurante de Harry et de son business de dealer. La rapidité des coupes traduit alors un mouvement d’une vitesse excessive, qui va finir par dépasser les personnages eux-mêmes. Notez que les images de deal sont mélangées avec d’autres montrant une prise de coke. Le son joue également un rôle capital, puisque ces montages sont bruités de manière excessive et très répétitive.







Le split-screen
Popularisé par Brian De Palma ou la série 24, ce procédé vise à partager l’écran en deux afin de montrer au spectateur deux actions simultanées. En général, l’effet est plutôt utilisé pour augmenter le suspense en créant un point de vue supplémentaire. Dans Requiem, au lieu de renforcer l’implication du spectateur, le split-screen isole les personnages, comme dans la scène d’ouverture entre Harry et sa mère. Darren Aronofsky, dès les premières images, nous fait comprendre que chacun se retrouvera finalement seul face à son destin.




 
L’effet est d’ailleurs perturbant sur la scène d’amour, dans laquelle les images des deux amants sont légèrement décalées l’une par rapport à l’autre.





Distorsions de la réalité
Des quatre histoires, la plus poignante est sans doute celle de Sara. C’est aussi la plus explicite sur le plan visuel, puisque le réalisateur appuie ses hallucinations par l’utilisation d’objectifs déformants. Le fish eye, qui arrondit et altère la perspective, est utilisé à de nombreuses reprises, notamment lors de la scène de visite chez le médecin.







La SnorriCam
Déjà utilisé dans Pi, ce procédé consiste à fixer la caméra sur l’acteur lui-même, au moyen d’un harnais. Ainsi, à l’image, l’acteur reste fixe alors que le décor bouge.



L’effet est donc assez déstabilisant et crée un effet de vertige, ce qui est assez approprié dans des scènes où les personnages du film perdent contact avec la réalité.


Ellen Burstyn harnachée pour sa scène de SnorriCam


Chacun d’entre eux possède d’ailleurs sa propre séquence de SnorriCam, sauf Harry. La séquence a été tournée, mais le réalisateur n’était pas satisfait du résultat, il l’a donc supprimée du film.


... et Marlon Wayans équipé à l'identique!




L’accéléré
Pour accentuer la perte de la notion du temps, Aronofsky utilise l’accéléré dans une très belle scène où l’on voit Sara faire le ménage à toute vitesse dans son appartement. L’innovation, c’est qu’au lieu d’être en plan fixe, la caméra bouge pendant la séquence.


Décomposition des plans de la séquence du "ménage"


Le résultat a été obtenu grâce à une caméra contrôlée par ordinateur, la « Milo », qui était réglée pour enregistrer l’action au ralenti. Un effet similaire est utilisé lorsque Sara fuit son appartement et se retrouve dans la rue.




Le Rythme du Film
Il s’accélère au fur et à mesure de la progression de l’histoire. Les scènes plus lentes du début nous permettent de mieux nous identifier avec les personnages, puis imperceptiblement, leur durée diminue de plus en plus, le montage s’accélère jusqu’au final, qui nous montre simultanément les quatre destins qui se brisent de la manière la plus atroce qui soit. Comme le dit Big Tim dans le film... "Showtime!", et c'est parti pour 10 minutes d'une intensité incroyable, que leur montage en parallèle rend plus puissantes encore.





Jugée trop intense par le comité de censure américain, la séquence vaudra à Requiem le visa maximum avant le X , le NC-17, qui le condamne à un circuit de salles restreint et une absence de publicité. Néanmoins, Artisan, le distributeur du film, aura le courage de distribuer tel quel, au lieu de le faire remonter pour satisfaire la Censure. Pour satisfaire certaines chaînes de distribution vidéo, Aronofsky travaillera sur une version "adoucie", faisant sauter quelques plans jugés trop choquants. Ce montage ne sera exploité qu'aux USA, celui distribué en France correspond à la version intégrale.


Tappy Tibbons
L’émission de télé qui obsède Sara est bien sûr parfaitement imaginaire. C’est une sorte de séminaire où un présentateur nommé Tappy Tibbons vous propose de changer votre vie en 30 jours.





C’est l’acteur Christopher Mc Donald, habitué des séries TV, qui le personnifie brillamment. Le programme, sorte de mixte entre le télé-achat et les variétés, est plus vrai que nature (et pour cause ! Aronofsky a même créé de fausses pubs qu’on peut trouver en supplément sur le DVD du film !). De façon assez humoristique, il est d'ailleurs totalement en phase avec le thème du film, la dépendance, puisqu'il propose d'améliorer son quotidien par la privation (3 règles: "Pas de sucre", "Pas de viande rouge" et "Pas d'orgasme"!).




Et après ?
La critique a été assez partagée sur Requiem, mais a globalement applaudi le travail de mise en scène de Darren Aronofsky. Ce dernier tournera ensuite, plusieurs années plus tard, le très beau The Fountain, un film inclassable qui sera hélas boudé par le public et une bonne partie de la critique. Mais la véritable révélation, ce sera The Wrestler, superbe évocation de la vie d'une superstar du catch sur le retour, avec un Mickey Rourke bouleversant. Une rupture totale avec Requiem, puisqu'il sera tourné dans un style quasi-documentaire. Enfin, Black Swan renouera avec les personnages torturés par leurs hallucinations, mais dans une forme beaucoup plus classique.


2 commentaires :

  1. Je crois que tu as fait le tour de ce que "Requiem" a d'intéressant et original.

    Tout ça m'a donné envie de me repasser les bonus, tiens... ^^

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  2. Merci Nico!
    Les bonus sont un peu faiblards pour un film de cette trempe. Par contre, le commentaire audio d'Aronofsky est passionnant.

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