(Sorcerer)
Film de William Friedkin (1977), avec Roy Scheider, Bruno Cremer, Amidou, Francisco Rabal, Ramon Bieri, etc…
Curieux parcours que celui de William Friedkin : après avoir explosé le box-office avec French Connection et L'Exorciste, il n'est jamais réellement parvenu à retrouver les faveurs du grand public comme ont pu le faire Spielberg, Lucas ou Coppola. Friedkin est un franc tireur, dont les films ne cherchent pas toujours à caresser le spectateur dans le sens du poil, loin de là. Ses choix ne vont pas forcément vers des sujets à gros potentiel commercial. Cela en fait une sorte d'outsider, pas vraiment reconnu par ses pairs et qui avec le temps est presque devenu un cinéaste maudit, un peu à l’instar d’un Michael Cimino.
Le parcours de Sorcerer est à cet égard significatif. Sorti en loucedé en 1977, le film n'a jamais trouvé son public et les deux major companies, Universal et Paramount, qui s'étaient associées sur la foi des précédents succès du réalisateur, se sont retrouvées avec un gouffre financier monstrueux qui a en quelque sorte enterré la carrière de Friedkin. Du coup, le film est rapidement devenu invisible, et a été transformé en une sorte de chef d'œuvre maudit et culte façon Heaven's Gate. Jusqu'alors uniquement disponible dans une édition DVD à la qualité plus que médiocre, il est aujourd'hui disponible dans une superbe copie (dont la restauration a d'ailleurs été plus ou moins financée par le réalisateur), l'occasion donc de remettre les pendules à l'heure.
Au Strapontin, on avait vu le film lors de sa sortie française et il faut reconnaitre qu'à l'époque, il avait été traité avec un zeste de mépris par la critique. Pensez donc, un réalisateur à succès hollywoodien qui s'attaquait au remake d’un grand classique français, Le Salaire de la Peur. D'entrée de jeu, Sorcerer était donc attendu au tournant. En toute honnêteté, s'il méritait beaucoup mieux que l'accueil critique qu'il a reçu, il est cependant loin de valoir la réputation de chef d'œuvre dont on voudrait aujourd'hui l'affubler. C'est un film solide et prenant, auquel il manque sans doute des personnages mieux dessinés et un rythme plus soutenu.
Car malgré une longue séquence d'intro, qui présente un à un les différents protagonistes, on ne vibre pas vraiment pour eux tout au long de l'aventure. On comprend bien que cette équipée est une sorte de dernière chance pour chacun d'entre eux, mais cela reste très froid, l'identification avec les personnages demeure vraiment minimale. Ce n'est pas étonnant quand on connait Friedkin et son approche nihiliste et très réaliste, à la limite du reportage. Mais quelque part, dans ses précédents films, il avait su faire percer un semblant d'humanité qui est ici absent.
Pour contrebalancer, l'aspect technique du film est effectivement admirable.Tourné en pleine jungle, Sorcerer éblouit plus d'une fois par l'authenticité de son cadre. Tout comme Spielberg avait joué la carte de la crédibilité en tournant Jaws en pleine mer, Friedkin fait de même en pleine forêt amazonienne. De plus, jamais le film ne fait de concession à des effets spectaculaires inutiles, et le morceau de bravoure, cette traversée des camions sur un pont de lianes, est un grand moment de cinéma. Mais le film souffre aussi d'un déséquilibre certain entre une présentation des personnages maladroite, inutilement étoffée et un périple qu'on aurait souhaité par contre moins resserré.
La réalisation est particulièrement brute de décoffrage, avec une violence plutôt sanglante qui paraît parfois un peu artificielle, un peu comme si Friedkin voulait rester fidèle à l'image no limit qu'il avait imposée avec The Exorcist. Dommage par contre que des acteurs aussi remarquables que Roy Scheider, Bruno Cremer ou Amidou s'échinent à donner vie à des personnages creux et mal définis. Et un gros bémol pour les synthés criards et poisseux de Tangerine Dream, qui enracinent encore plus le film dans les années 70.
Mais malgré tout, ce Sorcerer reste un spectacle fascinant, une épopée sauvée par l'efficacité et le réalisme de sa mise en scène, même si l'original de Clouzot lui reste supérieur quant aux motivations des personnages. Il faut cependant saluer le jusqu'au-boutisme de l'entreprise, et l'audace d'un réalisateur-producteur qui n'hésitera pas à braver les modes pour imposer jusqu'au bout un projet casse-gueule et se ruiner dans la foulée. Peine perdue: quelques semaines plus tard, un petit film auquel personne ne croyait et répondant au doux nom de Star Wars explosera tout sur son passage. Malgré ses défauts, ce petit classique mérite donc d’être redécouvert et réévaluré. A moitié convaincant, certes, mais indiscutablement fascinant.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Sorcerer n’a pas été gâté par sa première édition vidéo : image pourrave, absence de 16/9ème, bref la cata, un DVD tellement pourri qu’il n’avait même pas franchi l’Atlantique et était resté une édition strictement américaine. Fort heureusement, William Friedkin lui-même, agacé par le fait que les majors qui avaient produit le film n’en fassent rien, prend les choses en main et investit ses propres deniers dans une restauration.
Le résultat, on peut en juger sur le blu-ray paru récemment chez Warner Home Video: un transfert image et son magnifique, c’est vraiment du beau travail. Manque juste un documentaire qui raconte la tumultueuse production du film, mais malheureusement, ni Universal, ni Paramount, détentrices des droits, n’ont voulu faire d’efforts pour le réhabiliter. On se consolera donc avec un livret de 40 pages inclus avec le blu-ray. Un peu maigre, mais c’est tout de même mieux que rien. Le disque n’est pour l’instant disponible qu’en import américain, mais il est parfaitement compatible et lisible sur les platines françaises.
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