jeudi 4 septembre 2014

Le Cercle des Poètes Disparus

(Dead Poets Society)

Film de Peter Weir (1990), avec Robin Williams, Robert Sean Loenard, Ethan Hawke, Kurtwood Smith, Norman Lloyd, etc…

vlcsnap-2014-08-20-22h41m51s168

 

Difficile d'évoquer la disparition de Robin Williams sans se remémorer sa prestation dans le magnifique film de Peter Weir. Le personnage de guide spirituel qu'était John Keating, la façon dont il a changé la vie de ces ados, quelque part, ça se rattache aussi à ce que nous avons pu éprouver par rapport aux différentes prestations de cet acteur qui a su négocier son passage de la grosse comédie pas très finaude vers des films plus humains, dont Dead Poets Society est l'un des plus beaux représentants.



vlcsnap-2014-08-20-22h53m23s190Le film reprend des schémas connus : le professeur qui s'avère être une source d'inspiration pour ses élèves. L'habileté du scénario, c'est qu'il met cette démarche en parallèle avec un cadre extrêmement rigoureux, celui d'une grande école américaine. L'époque ne sera pas non plus datée avec précision, bien qu’elle évoque beaucoup les années 50. Cela confère à l'histoire une dimension très universelle, et en fait presque une parabole sur la soumission à un système, et les ressources dont peut disposer tout un chacun pour y résister.

 

 

 



vlcsnap-2014-08-20-22h49m19s60Le personnage de John Keating va donc débarquer dans le monde bien ordonné et strict de ces adolescents pour une merveilleuse leçon de vie. C'est la poésie qui va servir de tremplin à cet apprentissage. La poésie qui devient, par extension, un reflet du monde tel que l'a ressenti et dépeint l'artiste. C'est cette vision différente du monde que Keating va apprendre à ses élèves, le simple geste de monter sur leur pupitre devenant du même coup le symbole de cette démarche et de cette nouvelle perspective sur le monde.

 

 

 



vlcsnap-2014-08-20-22h48m09s124Il y a, à la base, un scénario très subtil, qui nous intègre progressivement dans cette démarche de recherche de la  différence et de l'originalité. Les "leçons" dispensées par Keating ne sont pas toujours d'inspiration très égale. Celle sur le terrain de foot parait même franchement inutile. De même, les ados sont peut-être un petit peu trop dociles, mais en même temps, il ne faut pas oublier qu'il s'agît là de jeunes évoluant dans un environnement très strict, même au point d'en devenir parfois un petit peu trop caricatural.

 

 

 

 



vlcsnap-2014-08-27-22h27m37s224C'est le personnage de Todd qui va cristalliser toute cette démarche. Timide et renfermé, il va apprendre petit à petit à trouver sa place et à se lâcher, notamment lors d'une fabuleuse séquence lors de laquelle Keating le fait passer au tableau. L'adolescent, d'abord replié sur lui-même, va au fur et à mesure se laisser aller, au point de laisser sortir des sentiments qu'il gardait jusqu'alors enfouis. Aussi bien dans le jeu remarquable du jeune (mais déjà talentueux) Ethan Hawke que dans la façon dont Robin Williams lui donne la réplique, parfois d'un regard, c'est vraiment du grand art.

 

 

 



vlcsnap-2014-08-20-22h51m55s67Williams est ici totalement en rupture avec les personnages de gentils rigolos dont il s'était fait une spécialité jusqu'à présent. Il se dégage de sa performance une profonde humanité, à laquelle quelques petites touches d'humour viennent apporter une distance bienvenue. Le seul bémol, c'est peut-être ce besoin de l'acteur de partir en roue libre à certains moments, comme celui où il se livre à un festival d’imitations. C'est un peu la scène de trop, un peu comme si le réalisateur Peter Weir avait permis à l'acteur de se lâcher et qu'il fallait à tout prix montrer qu'il était aussi un fabuleux humoriste ou un imitateur hors-pair.

 

 

 

 

vlcsnap-2014-08-27-22h52m08s92Beaucoup ont critiqué la manière dont le film bifurque vers le drame dans sa dernière partie. Il fallait pourtant un moment fort pour réaffirmer la toute puissance de l'establishment, et en l'occurrence la direction du collège. Les ressorts sont éprouvés et connus, mais ils fonctionnent, en particulier grâce à la performance toute en finesse de Robert Sean Leonard dans le rôle de Neil. Au travers de la destitution de Keating, c'est toute une part de différence, une pensée à contre-courant qu'on musèle et qu'on assassine. C’est aussi une prise de conscience douloureuse pour Keating lui-même, qui voit son enseignement lui échapper. Ce désir de liberté d’esprit qu’il a suscité chez ses élèves est irrémédiablement tué dans l’œuf par un environnement familial et scolaire trop strict.
 
 
 
 
 


vlcsnap-2014-08-20-22h46m32s142L'épilogue montre pourtant qu'il restera quelque chose de cet enseignement dans le cœur et dans l'esprit de ces élèves. L'espace d'un instant, ils tiennent tête à l'autorité pour rendre un dernier hommage à leur mentor. C'est une scène formidable, aussi bien dans la simplicité de son message que dans la beauté symbolique de leur geste de défiance. Elle cristallise toute la peine et la frustration que nous-mêmes spectateurs avons accumulé pendant ces dernières minutes, sous la forme d'un grand moment d'émotion.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Peter Weir, au travers de réussites majeures et aussi diverses que Witness ou The Truman Show, est un cinéaste qui n'oublie jamais l'humain, et qui sait laisser parler les sentiments à leur juste mesure. La toute dernière image de Dead Poets Society nous montre Todd, dont nous savons bien intérieurement que cet enseignement a bouleversé la vie à jamais. L'aventure, pour lui, ne fait que commencer.
 

 
vlcsnap-2014-08-20-23h04m31s218

 
 
Le Trombinoscope
 
Assez curieusement, parmi les jeunes acteurs qui donnent la réplique à Robin Williams, c’est justement Ethan Hawke qui fera la plus belle carrière à la suite de ce film. Les autres auront un parcours beaucoup plus discret, pour la plupart centré sur la télévision. On verra Robert Sean Leonard dans quelques films (dont Le Temps de L’Innocence de Scorsese), avant qu’il ne se tourne lui aussi vers la télé, notamment dans la série Dr House. Parmi les adultes, on reconnaitra Kurtwood Smith, qui avait joué un méchant mémorable dans le Robocop de Paul Verhoeven. Quant à Norman Lloyd, qui interprète le directeur, il a joué dans plusieurs films d’Hitchcock des années 40 (entre autres, Correspondant 17, dont on vous parle ici).
 
 
vlcsnap-2014-08-20-22h56m31s25

vlcsnap-2014-08-20-22h46m56s154

vlcsnap-2014-08-20-22h55m15s33

vlcsnap-2014-08-20-22h45m58s94

vlcsnap-2014-08-20-23h00m13s193

vlcsnap-2014-08-20-22h45m15s171

vlcsnap-2014-08-20-22h59m44s161

vlcsnap-2014-08-20-22h55m44s62

vlcsnap-2014-08-20-22h47m43s101

vlcsnap-2014-08-20-22h54m26s56

 

La scène finale

Moment fort du film, la toute dernière séquence est un exemple de construction dramatique, qui manie l’émotion avec une très grande habileté. Keating a été renvoyé car les jeunes de sa classe ont été mis dans l’obligation de signer un faux témoignage à son encontre. Il doit récupérer ses affaires lors d’un cours, que le proviseur assure lui-même. La scène commence sur un mode presque comique alors que le public se rappelle, par le biais d’un petit clin d’œil, l’un des premiers exploits du professeur, qui avait incité ses élèves à arracher certaines pages de leur manuel de poésie.

Pendant toute la scène, la tension nait d’un échange de regards entre Todd et Keating. Le spectateur sait que le garçon est bouleversé par ce qu’il s’est passé et qu’il ne tolère pas non plus l’injustice que cela provoque. La question qui se pose alors est de savoir si Todd osera aller contre sa timidité pour faire comprendre au professeur que tous ont été forcés de témoigner contre lui. Les gros plans du visage de Todd nous font ressentir son malaise, et le réalisateur les alterne avec des plans plus larges, qui le resituent (et l’isolent) dans l’univers strict de la classe.

 

pc1

 

Le réalisateur joue avec les attentes du spectateur et nous fait attendre jusqu’au dernier moment, alors que Keating va quitter la classe, pour faire intervenir Todd. Son intervention se fait en plan large, pour rendre encore plus palpable le caractère oppressant de la salle de classe. Celle du proviseur, par contre, se fait en gros plan, comme pour “écraser” visuellement la révolte de l’enfant.

 

pc2

 

Le seul recours qui reste à Todd, c’est de montrer sa rébellion par un geste simple : monter sur un pupitre. L’idée est très forte car ce geste de révolte est la base, le symbole-même de l’apprentissage de Keating : s’obliger à changer de perspective pour voir le monde différemment. La puissance de la séquence vient justement du fait que nous spectateurs sommes les seuls à partager cette symbolique avec Keating et ses élèves, et qu’elle reste indéchiffrable pour l’autorité. Notez également comment la place occupée par le proviseur dans le cadre a changé : il est désormais sur un plan d’égalité avec les élèves. Keating, par contre, est mis en valeur par un cadrage plus serré. Visuellement, cela renforce son sentiment intérieur de triomphe, mais cela permet également au spectateur de se focaliser sur l’émotion qu’il va chercher à lire sur son visage.

 

pc3

 

Cette émotion vient également de la manière dont ses camarades le suivent ensuite dans sa démarche, pour rendre un hommage collectif au professeur. C’est aussi une opportunité pour le réalisateur de “passer en revue” les différents élèves et permettre au spectateur de se remémorer leurs caractères respectifs. Le film s’est construit à partir de leur différentes personnalités, et du coup la séquence propose un joli résumé de chacune de leurs contributions. C’est aussi le moyen pour les élèves de tenir tête à l’autorité, tout en réaffirmant la valeur de ce que Keating leur a appris.


 

pc7

 

Le réalisateur sait également créer la surprise en intégrant à ce mouvement des élèves dont on s’est dit qu’a priori, ils n’étaient pas très réceptifs à l’enseignement de Keating. Le film ne précise pourtant pas pour quelle raison ils se joignent à ce geste, c’est à chacun d’imaginer le pourquoi, mais le simple fait qu’ils s’y associent provoque un élan de sympathie supplémentaire, notamment pour l’un d’entre eux qui s’était clairement désigné comme réfractaire aux idées du professeur.

 

pc4

 

Le cadrage et le montage mettent en valeur les gestes de chacun. Les plans en contre-plongée renforcent la présence de ceux qui sont montés sur les tables, affirmant visuellement leur présence et leur supériorité alors que le proviseur est clairement dépassé par l’effet de groupe qui se crée. C’est une figure dérisoire qui gesticule dans la salle de classe sans pouvoir

 

pc5

 

Un des derniers plans du film nous montre plusieurs des élèves debout dans la salle de classe. Le plan large, qui avait été jusqu’alors utilisé pour renforcer le côté strict de l’univers scolaire, prend alors ici toute sa signification, puisqu’il nous montre les jeunes s’approprier, l’espace d’un instant, un cadre qui est censé les étouffer et les briser. C’est une image de triomphe, un triomphe qu’on sait éphémère puisque l’autorité de l’école reprendra ses droits, mais dont on sait qu’il subsistera toujours quelque chose dans le cœur de ces adolescents.

 

vlcsnap-2014-08-20-23h03m58s140

 

La Musique

dpsQuand on parle de Maurice Jarre, on pense fatalement à Lawrence d’Arabie ou à Docteur Jivago, avec leurs grands élans romantiques. C’est oublier que le compositeur frenchy a connu une belle carrière aux USA, dans des genres assez disparates, passant allègrement du film de guerre au western, en passant par le film d’aventures. Il sera amené à collaborer avec Peter Weir pour L’Année de Tous les Dangers, et le réalisateur le réemploiera à plusieurs reprises par la suite. Dead Poets Society correspond à la période “électronique” du compositeur, à une époque où beaucoup de films misaient sur des partitions uniquement réalisées sur synthétiseur. Cela a donné du bon et du moins bon, mais Maurice Jarre s’est clairement positionné comme l’un des plus talentueux dans ce domaine (on n’est pas le père de Jean-Michel pour rien !), comme l’atteste sa musique pour Witness, un autre film de Peter Weir.

Sur disque, c’est un peu particulier, car Dead Poets Society ne contient pas beaucoup de musique (15-20 minutes à tout casser), et du coup, on a complété le disque avec d’autres compositions de Jarre pour le réalisateur. Cela n’enlève rien à l’efficacité de la musique, qui apporte un plus non négligeable en matière d’émotion à la séquence finale. Keating’s Triumph, avec ses cornemuses synthétiques, est le magnifique point d’orgue d’une composition qui sait parfaitement s’effacer devant le film qu’elle accompagne.
CD facilement trouvable sur le net.

 

En vidéo

Comme pour beaucoup de films édités lors des débuts du support, le tout premier DVD de Dead Poets Society n’est pas brillant brillant. Le film, rien que le film, point barre. Trois ans plus tard, en 2002, une édition spéciale propose un contenu beaucoup plus étoffé: un documentaire rétrospectif, un entretien avec le sound designer Alan Splet, une master class du directeur photo John Seale, un commentaire audio, des scènes coupées… De quoi compléter idéalement la vision du film, même si le doc est un peu court et pâtit de l’absence de Robin Williams. Les scènes coupées sont, quant à elles, plutôt anecdotiques, et montrent combien Peter Weir est arrivé à conserver l’essentiel. Niveau image, le disque souffre, comme beaucoup de titres édités par Disney/Touchstone, d’un manque de contraste, mais le transfert est propre et satisfaisant, tout comme le son. Le blu-ray, paru en 2012, reprend les bonus de l’édition spéciale, mais ne vous attendez pas à un piqué exceptionnel : la photographie douce et très diffusée du film ne s’y prête pas vraiment.

 

pc9

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire