Film de Darren Aronofsky (2000), avec Ellen Burstyn, Jared Leto, Jennifer Connelly, Marlon Wayans, etc.
Il y a des films qui se reçoivent comme une grosse baffe dans la tête. Requiem for a Dream est de ceux-là. Darren Aronofsky avait déjà marqué les esprits avec un premier film très prometteur, Pi. Avec ce second film, il passe à la vitesse supérieure et nous livre une œuvre coup de poing, dont les images marquent longtemps après la projection.
Le film suit les destins de quatre personnages, tous victimes, à des degrés divers, de leur dépendance. Sarah, la mère, est une accro de télé qui est convaincue qu’elle va passer un jour sur le petit écran. Harry, son fils, est un camé qui veut s’improviser dealer, en compagnie de sa copine Marion et de son pote Tyrone. Petit à petit, chacun va être aspiré dans une spirale infernale qui finira par avoir raison de lui.
Rythmé par le passage des saisons, qui s’abattent sur les personnages avec la violence d’un rideau de fer, Requiem nous emmène de plus en plus loin dans la folie, le glauque et le dérangeant, jusqu’à un final éprouvant, qui ne laisse aucune échappatoire possible. Le réalisateur a d’ailleurs décrit les 10 dernières minutes du film comme « un tour de grand-huit qui se termine dans un mur de béton ».
Toute la force de Requiem for a Dream vient de l’incroyable inventivité de sa mise en scène. Afin de nous faire ressentir au maximum les émotions de ses personnages, Aronofsky utilise toutes les ressources visuelles et sonores dont il dispose avec une assurance et un brio incroyable. Split-screen, images accélérées et montage ultra-rapide nous plongent au cœur du ressenti de la drogue.
On a beaucoup reproché au film de jouer sur ce genre d’effets et de manipuler son public. Il faut pourtant bien reconnaître que tous ces trucs de mise en scène ne sont jamais utilisés de manière gratuite, mais au contraire s’intègrent remarquablement à l’histoire. Cela pourrait virer au catalogue ou à la simple démonstration de virtuosité, or le fait est que l’aspect visuel complète une intrigue qui n’oublie jamais le côté humain.
Dans ce registre, il faut saluer l’incroyable performance d’Ellen Burstyn. Celle qui tenait jadis le rôle principal de The Exorcist trouve ici le rôle de sa vie. Son personnage de Sarah Goldfarb est tellement simple et émouvant, accro de la télévision pour acquérir une reconnaissance auprès de son entourage, accrochée à un passé qu’elle tente désespérément de faire revivre par le biais d’une robe rouge qu’il lui est impossible de remettre parce qu’elle a grossi. Aidée par un travail sur le maquillage discret mais très efficace, sa métamorphose tout au long du film est particulièrement émouvante, et la scène où elle se retrouve, hirsute, à demander son chemin dans le métro est véritablement poignante. En un instant, elle nous fait toucher du doigt ce que peut avoir été le parcours d’un paumé croisé dans la rue : nous comprenons que n’importe qui peut, suivant les circonstances, tomber au plus bas.
Burstyn se donne à fond dans son rôle, n’hésitant pas à s’enlaidir à l’extrême, mais sachant aussi faire la preuve d’une très grande sensibilité. La dernière scène avec son fils Harry est un grand moment : elle lui explique, avec des sanglots dans la voix, comment la télévision est devenue une véritable raison d’être depuis qu’elle a perdu son mari. L’actrice, pourtant nominée aux Oscars, perdra au profit de Julia Roberts dans le très moyen Erin Brokovich…Les trois autres personnages sont plus classiques, mais les acteurs livrent des performances solides, en particulier Jennifer Connelly qui descendra très très loin dans la déchéance à la fin du film.
La photographie de Matthew Libatique, est parfois très stylisée, mais toujours très originale. Elle intègre parfaitement bon nombre d’effets visuels, dont certains parfois très simples. Ainsi le split-screen, qui partage l’écran en deux actions parallèles, accentue t’il l’isolement des personnages. Une très belle scène d’amour entre Harry et Marion montre les deux amants séparés visuellement l’un de l’autre, ce qui annonce subtilement la conclusion du film. A d’autres moments, la caméra, litérallement attachée aux personnages, nous communique leur vertige.
Le montage, signé Harry Rabinowitz, est particulièrement efficace, presque musical dans sa manière de mélanger les images, non seulement dans les séquences de prise de speed (les « hip hop montages » comme les appelle Darren Aronofsky), mais aussi lors du dénouement, où quatre actions parallèles se mélangent jusqu’au vertige pour former l’une des séquences les plus éprouvantes qui soient. Aronofsky utilise également avec beaucoup de subtilité les ressources du Dolby, poussant à l’extrême l’utilisation des bruitages et de leur répartition spatiale.
Enfin, impossible de parler du film sans mentionner l’extraordinaire partition musicale de Clint Mansell. Ce musicien, transfuge de la pop (il était chanteur guitariste du groupe Pop Will Eat Itself), signe une œuvre remarquable, dans laquelle les mélodies sombres d’un quartet de cordes (le Kronos Quartet) voisinent avec des effets de scratch. Le thème principal, par sa noirceur, scelle définitivement le destin des personnages. Lors du final, les thèmes se déstructurent et les sonorités des violons se font de plus en plus agressives, comme pour les accompagner vers l’enfer. En dépit de son caractère très sombre, la B.O. remportera un franc succès et sera réutilisée très souvent, pour accompagner bandes-annonces, reportages, ou même … émissions de variétés !
Darren Aronofsky prouvera, avec ses films suivants (The Wrestler et Black Swan), la diversité de son talent. Sa réussite, ici, c’est d’être arrivé à penser son histoire en termes uniquement visuels sans jamais verser dans la gratuité. L’ingéniosité et la virtuosité de son style évoquent parfois le meilleur de De Palma ou Scorsese. Requiem for a Dream est une expérience unique, qui vous ébahit et vous malmène pendant toute la durée de sa projection. Le clip anti-drogue par excellence, mais sans le côté didactique, et sans hésiter l’un des films les plus marquants du début de la décennie 2000.
Le Trombinoscope
Un casting très diversifié, puisqu’il mélange talents confirmés, têtes connues et contre-emplois surprenants. Jared Leto avait fait ses classes chez Fincher dans Fight Club, et Aronofsky a tout de même eu le culot d’imposer Marlon Wayans, transfuge de Scary Movie, dans un rôle dramatique, dont il se sort ma foi plutôt bien. Parmi les autres, on aura beaucoup vu Christopher Mc Donald dans des séries TV, Louise Lasser dans les premiers Woody Allen (Bananas, entre autres), Sean Gullette dans Pi, le précédent film d’Aronofsky et Keith David dans The Thing de John Carpenter.
Les caméos
Ce sont des apparitions clins d'oeil, généralement très brèves, d'amis ou de proches du réalisateur.
La Petite Madeleine
Ceux qui ont vu Requiem en salles vous le diront tous: l'impact du film n'est pas le même au cinéma et sur un écran de télé. L'effet des gros plans utilisés durant les hip hop montages est encore plus violent. C'est aussi un film où le son joue un rôle capital, d'où la nécessité de le voir dans une salle équipée en Dolby. Malheureusement pour moi, ce ne fût pas le cas. Les salles art et essai d'Orléans, à l'époque, étaient non seulement inconfortables, mais aussi très très mal équipées. Aujourd'hui, on peut trouver très facilement le film dans une série DVD économique, mais je ne suis pas certain que le transfert soit très bon. La première édition StudioCanal est à recommander, encore que l'image soit perfectible.
A suivre: un retour en coulisses sur le visuel et la technique du film. C’est par là !
J'ajouterai que la mère est aussi accroc au régime me semble-t-il ? C'est d'ailleurs ce qui la perd physiquement.
RépondreSupprimerJe confirme que la vision en salle donne un plus indéniable (on ne peut pas zapper).
Vision obligatoire pour tout ado en âge de se voir proposer des substances illicites.
Christophe B.
J'ai revu le film il y a peu pour préparer mon article, et à la base, c'est une dépendance à la télévision: elle veut être reconnue par son entourage. Le régîme, c'est à cause de la robe dans laquelle elle ne peut plus rentrer. En fait, si elle avait décidé d'en acheter une neuve, il n'y aurait pas eu de film!
RépondreSupprimerArgh ! Il faut que ce blog soit plus connu ! On a l'impression de le revoir et d'être assis a coté du réalisateur qui bavarde avec toi quand on le lit ce blog !
RépondreSupprimerAnalyse tout à fait pertinente, mon cher dOni.
RépondreSupprimerPour l'anecdote, on peut noter que ce pauvre Jared Leto finit encore ce film en piteux état (comme dans Fight Club, par exemple)
Sinon, je suis d'accord avec toi (et Christophe): voir ce film vaccine contre la drogue.
Merci pour vos commentaires et vos encouragements! C'est très motivant!
RépondreSupprimerJe mets actuellement la touche finale à la suite de l'article. Bon, c'est un peu chiant parce que j'aurais voulu créer des compartiments sur le blog, et mettre les critiques d'un côté et les articles plus techniques de l'autre, mais je maîtrise pas encore assez pour ça.
Tiens, Nicolas, en parlant de Jared Leto, je te recommande chaudement Mr. Nobody (même si Michel va hurler! lol)
Mouais...bon, si si il est pas si mal ce film en y repensant, c'est juste que quand on s'y attend pas, c'est ...disons...une certaine expérience
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