vendredi 24 mai 2013

Morts Suspectes

(Coma)

Film de Michael Crichton (1978), avec Genevieve Bujold, Michael Douglas, Elizabeth Ashley, Rip Torn, Richard Widmark, etc...































Avant de devenir le romancier à succès que l'on connaît (Jurassic Park, c'est lui), Michael Crichton a été un réalisateur fichtrement intéressant. Ses films, axés pour la plupart sur un contenu technologique toujours très stimulant, sont des thrillers dont la modestie n'a d'égale que la réussite artistique. Crichton ne prétend pas réinventer le cinéma, il a juste proposé en quelques œuvres un itinéraire très original qui en fait d'office l'un des chouchous du Strapontin. Retour sur son second film, le formidable et méconnu Coma.




Lorsque Crichton réalise Coma, il a déjà à son actif la belle réussite qu'est Mondwest, un projet high profile de la MGM, qu'il dirige pourtant avec de tous petits moyens. Le film cartonne au box-office, mais il faudra attendre 4 ans avant que le réalisateur ne retrouve le chemin des studios. Coma est un projet cousu main: le livre, signé Robin Cook est un gros succès en librairie, la MGM ne prend donc pas beaucoup de risques en produisant le film avec un budget modeste.

 








Pourtant, avec le recul, Coma était vraiment bâti sur mesure pour Crichton. Tout simplement parce qu'avant sa carrière de romancier, il a débuté comme médecin, et que le film lui offre donc la possibilité de décrire avec réalisme le cadre hospitalier. Un atout certain lorsqu'il s'agît de renforcer la crédibilité d'une histoire qui commence de manière conventionelle, puis dérape petit à petit vers le fantastique. En ce sens, Coma est impeccable dans sa manière de planter son décor et ses personnages, de décrire sans réellement s'y attarder les différentes luttes d'influence qui gouvernent un grand hopital.








Le film obéit à une logique très Hitchcockienne, avec une progression dramatique lente mais terriblement efficace. Le spectateur s'identifie au personnage principal, le Dr Susan Wheeler (Geneviève Bujold), dont l'attention va être attirée par certaines anomalies d'abord bénignes, puis de plus en plus suspectes, alors que ses supérieurs tentent de la dissuader d'enquêter. Coma se place alors d'emblée dans un courant de cinéma de la paranoïa, très en vogue à la fin des années 70, avec des films comme Les Hommes du Président. C'est le portrait d'une Amérique qui commence à douter de ses institutions, même de celles qui sont censées être les plus fiables.







La grande réussite de Coma, c'est que son suspense s'enracine dans une situation parfaitement banale, à laquelle n'importe quel spectateur peut être amené s'identifier: la peur qu'une banale intervention tourne mal. Ensuite, Crichton dose avec ingéniosité les différente ingrédients de la machination, laissant toujours le public prendre un peu d'avance mais pas trop. La mise en scène peut paraitre simple en apparence, mais elle endosse discrètement une formidable assurance. Les scènes obligées de poursuite ou de cache-cache acquièrent, au fur et à mesure, une grande efficacité.









Lorsque le film, dans sa seconde partie, assume pleinement son statut de thriller, il sait aussi se ménager quelques beaux écarts vers le fantastique. Le fameux Institut Jefferson, avec ses patients suspendus sous une lumière fluo, est une  vision à la fois bizarre et high tech, d'une puissance glaçante, assurément l'une des plus inhabituelles qu'on ait pu voir dans le genre. Elle rend, par comparaison, la révélation finale plus facile à accepter pour le spectateur.




Coma se termine sur l'inévitable séquence où l'héroïne, tombée entre les mains des méchants, devra leur échapper. Le suspense y est rondement mené et subtilement dosé par une réalisation sûre d'elle, aux effets simples et mesurés. Au passage, le film se permet une réflexion surprenante mais assez bien vue sur le pouvoir de la médecine, remarquablement soutenue par la performance de Richard Widmark, qui n'est jamais meilleur que dans ces personnages mi-figue mi-raisin, dont on ne sait jamais si on peut réellement leur faire confiance.









Avec Coma, Michael Crichton passe allègrement l'épreuve du second film. Derrière des allures d'une apparente simplicité se cache un thriller redoutable, qui tire toute sa force d'un scénario ingénieux, soigneusement enraciné dans un quotidien parfaitement crédible. Le type même du petit film qui, à force d'ingéniosité et de savoir-faire, possède largement de quoi en remontrer aux plus grands. Rudement épatant.




Arrêts sur Images
(Comme d’habitude, à ne lire qu’après avoir vu le film!)


Le Trombinoscope
Ca fera bizarre à certains de revoir Michael Douglas au tout début de sa carrière, avec sa coupe d'enfer, et se faisant gentiment voler la vedette par une Geneviève Bujold particulièrement impliquée, mais dont le physique de femme-enfant joue un rôle essentiel dans la crédibilité de l'intrigue. C'est l’un des meilleurs rôles de cette actrice trop sous-estimée et souvent mal employée. Parmi les autres, on note la présence de Rip Torn, toujours parfait dans des rôles un peu louches. Enfin, il est assez marrant de voir Loïs Chiles (future James Bond girl), Tom Selleck et Ed Harris dans des tout petits rôles, à leurs débuts. Selleck retrouvera Crichton quelques années plus tard pour Runaway, dont il tiendra le rôle principal.



Genevieve Bujold
Michael Douglas
Elizabeth Ashley
Richard Widmark
Rip Torn
Loïs Chiles
Tom Selleck
Ed Harris
Lance Le Gault



La découverte des indices
L'approche de Coma est résolument simple dans sa mise en scène, et le suspense nait finalement d'une mise en scène très réaliste qui dérive peu à peu et très discrètement vers le fantastique. Ainsi, les indices de la conspiration sont-ils dévoilés petit à petit. Lorsqu'il apparait que tous les soupçons se portent vers la salle d'opération OR8, Crichton les confirme lors d'une séquence où le Dr Wheeler épluche les comptes-rendus opératoires et relève ce détail. Le réalisateur cadre alors son visage en plans de plus en plus rapprochés et souligne discrètement la découverte à l'aide de quelques notes de musique.


 



L'intrusion du fantastique
Bien que s'appuyant sur un background on ne peut plus réaliste, Coma dévie petit à petit vers le fantastique. Michael Crichton repousse petit à petit la frontière entre les deux avec dans un premier temps des poursuites se déroulant dans des endroits volontairement irréalistes, comme le laboratoire d'anatomie et cette chambre froide où sont entreposés des cadavres suspendus.


 


C'est dans la séquence à l'institut Jefferson que cette approche est le plus directement assumée. L'imposant bâtiment qui a servi pour les extérieurs est l'ancien siège de la société Xerox, à Lexington dans le Massachusetts. Les intérieurs ont été recréés aux studios MGM à Culver City en Californie.






La scène dans la salle des corps suspendus a nécessité le concours d'une douzaine d'acteurs spécialement entraînés. En effet, compte tenu de la configuration des sangles de support, ils ne pouvaient rester accrochés que pendant une durée très limitée, six minutes au maximum.


 



Les couloirs déserts et étroits participent également à renforcer le sentiment d'étrangeté et de claustrophobie. La poursuite avec les gardes de sécurité établit quant à elle la structure labyrinthique de l'institut, faisant également écho à l'égarement du spectateur, qui ignore encore le fin mot de l'histoire.


 



La Musique

Première collaboration entre Michael Crichton et le compositeur Jerry Goldsmith, Coma est une véritable réussite, tant au niveau du concept musical que de son utilisation sur le plan dramatique. Tout d'abord, afin de renforcer le réalisme de la première partie, il n'y a aucune note de musique pendant les 45 premières minutes. La partition intervient lorsque le film dérape vers la paranoïa et le fantastique.


Goldsmith n'est jamais davantage à l'aise qu'avec ce genre d'atmosphères en demi-teintes où des accords dissonants font subtilement dérailler les mélodies. Fidèle à sa conception du design sonore, le compositeur type certains personnages à l'aide d'un bref motif musical (ici des effets d'écho pour accompagner le tueur qui menace Bujold). Le son de la partition, à l'instar du cadre de l'action, est très froid, avec un orchestre essentiellement composé de cordes, très influencé par la musique atonale de Berg ou Schoenberg, avec de solides parties de piano qui traduisent par à-coups les rares emballements de l'action.

Bien qu'elle soit plutôt difficile d'accès, la partition de Coma sera éditée au moment de la sortie du film, sur un 33 tours qui en propose l'essentiel. En 2005, elle sera rééditée dans une édition augmentée, à la pochette particulièrement moche, mais sur laquelle figure l'intégralité de la musique utilisée dans le film. Un CD toujours disponible sur le site de l'éditeur et qui constitue probablement ce que Jerry Goldsmith a pu faire de mieux dans le genre du thriller à suspense.


 

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