jeudi 6 décembre 2012

La Petite Boutique des Horreurs

(Little Shop of Horrors)

Film de Frank Oz (1985), avec Rick Moranis, Eileen Greene, Vincent Gardenia, Steve Martin, Bill Murray, etc...

















 

 

 

 



 

 
 
A priori quoi de plus improbable qu’une comédie musicale mettant en vedette une plante carnivore et mise en scène par un des créateurs des Muppets ? Raconté comme ça, ça peut paraître méchamment branque ou parfaitement crétin. Pourtant, Little Shop of Horrors parvient à surprendre et à se démarquer, et propose un retour en fanfare de l’esprit du musical façon Broadway. Mieux : il se classe brillamment parmi les perles culte d’un genre plutôt casse-gueule.

 
 
Au commencement était Roger Corman. Ce producteur réputé de série B et Z avait pour spécialité les nanars tournés à la va-vite, avec des budgets minuscules, et la plupart du temps orientés vers le fantastique ou la science-fiction. En 1960, il tourne en un temps record (deux jours et une nuit !) un petit film nommé Little Shop of Horrors.  Il y raconte l’histoire d’un jeune fleuriste, et de sa découverte d’une plante qui se révéle friande de chair humaine. D’abord alimenté à l’aide de sang, le végétal va se développer jusqu’à devenir monstrueux. Le film de Corman est une curiosité, qui marqua d’ailleurs la première apparition à l’écran de Jack Nicholson.
 
 
 
 
 


 
A Hollywood, c’est connu, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, et l’une des modes les pluis singulières des années 80 a consisté à adapter pour Broadway des films qui n’avaient a priori rien à voir avec la comédie musicale. Le petit nanar de Roger Corman s’est donc retrouvé catapulté fissa sur les planches et, surprise, le succès a été au rendez-vous. Il ne faut donc pas longtemps au monde du cinéma pour s’intéresser au sujet et développer un projet de film dans la foulée. David Geffen, alors producteur de disques, envisage d’y associer Spielberg ou Scorcese. Ce sera finalement Frank Oz qui s’y collera.
 


Oz a connu une carrière plutôt singulière. D’abord associé de Jim Henson, le créateur des Muppets, il viendra au cinéma en co-réalisant  Dark Crystal, puis en animant la marionnette de Yoda dans Star Wars. Little Shop of Horrors est sa première véritable incursion dans le cinéma, et il s’en sort plus qu’honnêtement, même si, à travers le personnage de la plante, Audrey II, le film garde un petit côté Muppets. Il ne cherche pas non plus à s’affranchir de ses origines théâtrales (les décors sont volontairement artificiels), mais le résultat est enlevé, marrant, rythmé, et surtout les chansons sont excellentes.
 
 
 
 
 


 
Jamais en porte-à-faux avec l’histoire, les chansons de Little Shop of Horrors sont au contraire indispensables à l’histoire. Un groupe de trois chanteuses black intervient comme une sorte de fil rouge, presque comme un chœur antique pour commenter l’action, et chacun des morceaux la fait progresser, tantôt avec humour, tantôt avec sensibilité. Ainsi, Skid Row (Downtown), certainement le plus beau passage du film, est une description impitoyable mais formidablement émouvante de la vie de banlieue. Quant à Audrey II, elle parle et chante avec la voix de Levi Stubbs, le chanteur des Four Tops, qui apporte une touche soul à des morceaux comme Feed Me ou Mean Green Mother from Outer Space.
 
 
 
 
 
 
 
Le film possède également une galerie de personnages particulièrement barrés et délirants, que ce soit Seymour (Rick Moranis) ou Audrey (Eileen Greene) qui parle comme une souris de cartoon. Le top, c’est quand même Steve Martin qui vole la vedette à tout le monde dans le rôle d’un dentiste sadique. Autant je ne suis pas vraiment client des pitreries de l’acteur, autant sa performance ici est un petit régal, qui plus est soutenue par une des meilleures chansons du film, le fabuleux Dentist!
 
 
 
 
Little Shop of Horrors est moins réussi dans les intrigues secondaires et perd pas mal de son allant dans sa seconde partie, avec des chansons un petit peu moins inspirées. Les caméos de Bill Murray ou de John Candy sont aussi un peu gratuits et bordéliques. Par contre, les marionnettistes déploient des trésors d’ingéniosité pour donner vie de façon remarquable à Audrey II, qui se transforme petit à petit pour devenir de plus en plus monstrueuse. La fin est également assez décevante, ce qui quelque part s’explique un peu (voir notre encart "Autour du Film").
 
 
 
Malgré ses défauts, le film possède tout de même de quoi satisfaire largement tout amateur de comédie musicale. Hollywood ne s’y trompera d’ailleurs pas, et consacrera les musiciens Alan Menken et Howard Ashman en leur confiant les chansons de dessins animés Disney comme La Petite Sirène ou La Belle et la Bête. De fait, ils renouvellent et modernisent intelligemment le genre, tout en restant fidèle à un esprit très Broadway, qui ose l’émotion et les grandes envolées musicales.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Little Shop of Horrors n’a pas provoqué de renaissance de la comédie musicale pour autant, mais il reste une belle tentative pour faire sortir le genre d’un certain académisme. Mélanger la comédie, le film fantastique et le musical n’était pas un pari gagné d’avance, et le film s’en sort plutôt bien avec, à la clé, des personnages attachants et une B.O. impériale. Sympathique, inattendue, rigolote et parfois émouvante, cette comédie est un petit régal dont il ne faut surtout pas se priver.
 
 
 
 
 
Autour du Film 
( comme d'hab, à ne lire que si vous avez déjà vu le film..)
 
 
 
Le Trombinoscope
Tout le monde connaît Rick Moranis, qui a durablement marqué les esprits avec son personnage décalé dans Ghostbusters. La véritable révélation du film, c’est Eileen Greene, par contre. Elle n’a que très rarement tourné pour le grand écran, mais a été naturellement choisie après avoir tenu le même rôle dans la pièce d’origine. Son personnage d’Audrey est une merveille, Greene assume avec délectation le caractère nunuche du personnage et assure des parties chantées parfois remarquables (voir sa performance vocale incroyable dans Suddenly, Seymour). Tiens, d'ailleurs, puisqu'on parle de trombi, quelques trop rares films ont le bon goût d'en proposer un en guise de générique de fin. Le Strapontin ne va donc pas se brosser pour le reprendre ici. Vous noterez également que le rôle de Patrick Martin est interprété par deux personnes différentes. Non, ce n'est pas une coquille de votre blog favori, c'est juste à cause de la fin remaniée, dont on vous cause d'ailleurs juste après.
 
 




 






 
 

 
La Fin
Dans la version que tout le monde connaît, Seymour électrocute la plante et la fait exploser, puis il se marie avec sa dulcinée et coule des jours heureux, même si (tiens! tiens!), une petite pousse d'Audrey II indique que tout peut recommencer. Mouais…



 
 
Si cette fin ne vous paraît pas très convaincante, c’est normal. Elle a été refaite à la dernière minute, après que le film se soit pris une bâche durant les projections-test. La fin initiale était beaucoup plus culottée : Seymour et Audrey se faisaient bouffer par la plante, et cette dernière grandissait, se multipliait et envahissait le monde.



 
 
Aujourd’hui, grace au blu-ray, on peut enfin découvrir cette fin rejetée, qui change radicalement la tonalité du film. Du rire, on passe à l’émotion, puis à la critique sociale (la plante devient un objet de marketing), avant un final qui évoque avec bonheur les grands films de monstres façon King-Kong ou Godzilla, le tout accompagné par l’excellent Don’t Feed The Plants. Quelque part, Little Shop of Horrors revient ainsi aux fondamentaux et rend un savoureux hommage aux œuvres qui l’ont inspiré.


 

 
 
La fin reprend même l'esprit "interactif" de la pièce, où les lianes de la plante tombaient dans la salle à l'issue de la représentation. Frank Oz l'a adaptée en utilisant une astuce à la Hellzapoppin, dans laquelle Audrey II déchire l'écran et attaque le public. Une séquence formidable, qui demandera des mois de travail au spécialiste des effets spéciaux Richard Conway.



 
 
Mais malgré toute son inventivité et peut-être aussi un peu à cause d'elle, on comprend que le public ait mal digéré ce qui était tout sauf un happy end, et que le producteur David Geffen ait préféré jouer la sécurité sur un projet qui était tout de même assez risqué. Avec Little Shop of Horrors, Hollywood rentrait de plain pied dans l’ère du business et de l’étude de marché, pour le meilleur et pour le pire. Le public devenait décisionnaire, au détriment de la vision initiale du réalisateur. C’était le premier pas vers une conception plus industrielle du cinéma, un abandon de la prise de risque qui est tout de même à la base du 7ème Art. Fort heureusement, aujourd’hui, on sait aussi regarder en arrière et revisiter certaines œuvres incomprises en leur temps. Le DVD et le blu-ray permettent désormais de réhabiliter toutes ces œuvres reformatées au nom du politiquement correct.
 
 




En vidéo
Little Shop of Horrors a eu l’insigne honneur d’être un des premiers DVDs retirés de la vente. En effet, la toute première version du disque américain proposait en bonus cette fameuse fin inédite. Colère du producteur David Geffen, qui n’était pas au courant, et qui comptait bien ressortir le film avec sa première fin. Le DVD a donc été rappelé, et les quelques exemplaires qui sont passés à travers les mailles du filet se sont vite vendus à prix d’or sur eBay.
Sur le disque officiel, paru il y a quelques années, on trouvait une mini-rétrospective sur le film (avec des images de tournage), un bêtisier, des bande-annonces, et une piste musicale isolée. Le blu-ray reprend grosso modo le même contenu, moins la piste isolée, et rajoute un petit documentaire sur la fin rejetée. Un supplément très intéressant, qui donne notamment la parole à Richard Conway et où il explique comment il a plutôt mal vécu le fait de voir des mois de travail passer injustement à la trappe. L'ensemble des bonus est proposé avec sous-titrage français. Enfin, il est possible, grâce au seamless branching, de choisir quelle version on veut visionner, la version cinéma ou bien la Director’s Cut, le montage initial voulu par le réalisateur. Un must, donc, disponible pour l’instant en Import américain uniquement, mais (ouf !) lisible sur n'importe quelle platine française.  

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