vendredi 16 octobre 2015

Brainstorm

Film de Douglas Trumbull (1982), avec Christopher Walken, Natalie Wood, Louise Fletcher, Cliff Robertson, Jordan Christopher, etc…

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Qui trop embrasse mal étreint. Quand le sujet est trop beau, le casting trop idéal, le réalisateur trop bien choisi, la déception est souvent de la partie. Sauf si vous avez une pointure aux manettes, encore que ce ne soit pas toujours une garantie de réussite. Donc, ce Brainstorm s'annonçait comme diablement séduisant, avec son sujet en béton, ses acteurs choisis judicieusement. Avec en plus, cerise sur le gâteau, rien moins que Douglas Trumbull derrière la caméra.

 

imageTrumbull, c'est un véritable génie dans son domaine, celui des effets spéciaux. Révélé par Kubrick pour 2001, l'homme a ensuite participé à des chefs d'œuvre comme Rencontres du 3ème Type ou Blade Runner, en signant des effets visuels uniques par leur poésie et leur grandeur. Il a également réalisé un mini-classique de la SF avec Silent Running, dans lequel il imaginait un futur où la Terre dévastée maintenait ses dernières forêts en orbite sur de gigantesques vaisseaux spatiaux. Brainstorm promettait d'être encore plus ambitieux, rien que ça !  On y parle en effet d'une invention scientifique capable d'enregistrer et de retranscrire les sensations et les émotions d'un individu. Vous enfilez le casque, vous lancez l'enregistrement, et hop, le tour est joué ! En rejouant la bande, n'importe qui peut ressentir ce que vous avez éprouvé, exactement comme s'il était à votre place. L'idée est carrément géniale, et ouvre des perspectives vertigineuses. Hélas, ce que le film en fait n'est pas vraiment à la hauteur du sujet.

 

vlcsnap-7165-08-19-16h53m45s977Pour être honnête, là où Brainstorm réussit le mieux, c'est dans la description du groupe de scientifiques qui lancent le projet. Et pour cause, Trumbull connait bien ce monde de geeks, puisqu'il a développé avec son équipe des techniques révolutionnaires en matière d'effets spéciaux. Ceci dit, même si la description sonne juste, elle reste tout de même très limitée. L'invention, aussi extraordinaire qu'elle puisse être, n'est utilisée dans le film que pour ses aspects spectaculaires, ou pire, plus ou moins potaches. On a donc droit à une véritable démo pour parcs d'attractions, quand on ne verse pas franchement dans la grivoiserie, lorsque l'un des techniciens enregistre carrément une partie de jambes en l'air pour la faire partager à son collègue...

 

imageIl faut dire qu'à la base, il y a un gimmick particulièrement ingénieux, qui consiste à modifier le format de l'image en cours de projection. Ainsi, les scènes dites "ordinaires" sont donc présentées au format "carré" et en mono alors que celles où interviennent les perceptions du casque ont été tournées en format ultra-large et bénéficient de la stéréo. Le concept, s'il est immanquablement diminué par le home cinéma, faisait son petit effet en salles, comme le Strapontin l'avait découvert à l'époque. Mais bon, ça ne fait pas tout un film, hélas.

 

 

imageAprès une première moitié somme toute assez classique, Brainstorm bifurque brusquement vers une intrigue beaucoup plus ambitieuse. Une des scientifiques est victime d'une crise cardiaque et a la présence d'esprit de s'utiliser comme cobaye et d'enregistrer ses derniers instants. Dès lors, ça ne rigole plus. On ne joue plus dans la même catégorie puisqu'on s'attaque à des sujets aussi lourds que la vie après la mort. On se dit que le film va enfin trouver son sujet et donner la pleine mesure de son inspiration. Peine perdue.

 

 

 


 

imageEn fait, toute la deuxième partie n'est qu'un interminable chassé-croisé entre les héros et de méchants militaires, qui ont mis la main sur l'invention et entendent bien la détourner de son but premier pour éradiquer un maximum de gens (on se demande  bien comment !). Le scénario d’origine était beaucoup plus ambitieux et imaginait que la structure-même de la société était bouleversée par l’invention, puisque les émotions devenaient un bien de consommation. Malheureusement, on n’a pas cru bon de développer le script dans cette direction et c’est bien dommage.

 

 

vlcsnap-1174-03-01-06h46m16s925Le spectateur, lui, n'a qu'une envie, c'est de la voir enfin, cette fichue bande qui détient peut être le secret ultime. L'ennui, c'est qu'il la visionnera au compte-gouttes, saucissonnée entre deux poursuites aussi passionnantes qu'un rapport comptable, car le bon scientifique (c’est Christopher Walken) veille, et il est tellement balèze qu’il arrive à hacker le site et à y foutre un bordel monstre. Avant cela, le héros aura au passage résolu ses problèmes de couple grâce au fameux casque. Ben oui, normal, puisque ça permet de partager les émotions, voici le remède tout trouvé à l’incommunicabilité ! Donc le couple vedette, qui se mettait limite sur la gueule au début du film, se retrouve à faire griller des pop-corn en petite tenue avec un nez postiche (si !). Ca passerait encore si les acteurs se donnaient à fond, mais c’est loin d’être le cas. Christopher Walken, dont on est fan au Strapontin, est terne et éteint. Quant à Natalie Wood, on ne peut pas dire que ce dernier rôle restera dans les annales. Seule Louise Fletcher est convaincante, dans le rôle pourtant ingrat de la scientifique bornée et intègre. Cliff Robertson, fidèle à lui-même, est gentiment incolore.

   

 

imageC’est peu dire que le film accumule les handicaps, et Dieu sait s’ils sont nombreux. Le rythme très ramollo n’aide pas, et si la première partie peut intéresser par la description pseudo-réaliste des scientifiques, la seconde peine à assumer efficacement son statut de thriller. Fort heureusement, Trumbull connait son boulot et réussit à livrer deux trois moments visuellement époustouflants, aux effets spéciaux uniques. Il faut également souligner la superbe musique de James Horner, qui débutait alors dans le métier, et signait ici une formidable entrée en matière. Ce sont ces deux éléments qui propulsent Brainstorm un peu plus haut que la moyenne et font que le film tient encore à peu près la route aujourd’hui.


 

Douglas Trumbull est certainement un génie des effets spéciaux, mais il faut hélas reconnaitre ses limites en tant que réalisateur. Après un Silent Running tout à fait digne d’intérêt, ce Brainstorm  est maladroit et peu convaincant. A sa décharge, le film a connu de gros problèmes de production et a été terminé dans des conditions très particulières (voir notre section “Autour du Film”). C’est donc une œuvre bancale, globalement ratée, qui ne décolle réellement qu’en de trop rares occasions, mais dont le souvenir reste vivace malgré tout. Malgré ses imperfections, c’est donc un candidat idéal pour la section nostalgie de votre blog favori.

 

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Arrêts sur Images

ATTENTION!
Ces focus techniques se concentrent sur la mise en scène de plusieurs séquences-clé du film.
Il va donc de soi qu'ils révèlent des informations importantes sur l’intrigue.
Il est donc souhaitable de ne les lire qu'après avoir vu le film.

 

Autour du Film

dt1Créateur génial d’effets spéciaux, le réalisateur Douglas Trumbull est, on s’en doute, un passionné de technologie. Aussi, lorsque la MGM lui propose de tourner Brainstorm, il y voit l’occasion rêvée pour développer un procédé inédit, sur lequel il travaille depuis des lustres : le Showscan. Mais le Showscan, c’est quoi ? Eh bien en fait, c’est de la super HD. Le film est non seulement capté en 70 mm, mais également à 60 images/secondes, soit une vitesse de projection de plus du double de celle utilisée habituellement. Le résultat, c’est une image à la netteté et à la définition impressionnante, sans le moindre effet de flou, et très proche de la perception du réel. Brainstorm semble être le projet idéal pour populariser le procédé : les séquences « normales » seront tournées en 35 mm, et celles de « réalité augmentée » en Showscan.

 

 

vlcsnap-2887-09-18-03h59m26s069Une idée ambitieuse, mais malheureusement trop chère : il faut équiper les projecteurs et ce n’est pas donné. La MGM, frileuse, dit niet à l’utilisation du Showscan. En désespoir de cause, Trumbull se rabat sur le format Super-Panavision 70 mm, un procédé populaire dans les années 60, mais qui n’est plus guère utilisé depuis. Sauf par les sociétés d’effets spéciaux qui, après Star Wars, ont très vite adopté les formats larges (plus précisément le 65 mm) pour tirer parti de son extraordinaire définition. Ça tombe bien, une grosse majorité des « vues subjectives » de Brainstorm utilisera des effets visuels.

 

bsdtMais le 29 novembre 1981, le destin du film bascule. L’actrice Natalie Wood est retrouvée morte noyée au large de Catalina, en Californie, dans des circonstances qui n’ont jamais été clairement élucidées. Bien que pratiquement toutes ses scènes aient été tournées, la MGM, qui rencontre de gros problèmes financiers, verra là une opportunité d’arrêter les frais sur un projet en lequel elle ne croit pas beaucoup. Ce n’est que lorsque d’autres distributeurs manifesteront leur intérêt pour le film que le studio changera d’avis et décidera de le terminer, avec notamment l’aide de la compagnie d’assurance Lloyds of London.

 

 

 


c9b6c86d4aa0d8cc0c874dda049b1735Le mal est fait malgré tout. En dépit de l’intérêt d’autres studios, la MGM ne veut pas trop investir dans Brainstorm. C’est pourquoi le film sera terminé avec un budget plus que réduit, ce qui n’empêchera pas Douglas Trumbull d’y créer des effets spéciaux saisissants. Le film ne rapportera pas énormément. Aux USA, le distributeur mise sur une grosse sortie en 70mm, mais les salles censées le programmer sont occupées par Le Retour du Jedi…        En France, le film ne sera même pas diffusé dans ce format, qui fait pourtant partie intégrante de l’histoire.

 

 

 

 

Le Générique

Un critique a écrit à l’époque que le générique du film, avec ses lettres qui viennent vers le spectateur, était “la meilleure séquence de 3D que j’aie vue cette année”. Sauf que Brainstorm n’a jamais été tourné ni exploité en relief. Cependant, on doit supposer que l’utilisation du Super-Panavision en 70mm a dû produire son petit effet sur le public. L’effet de déformation du titre est en fait tout simple : les caractères sont filmés avec un objectif fish-eye, et un simple travelling avant provoque l’étirement des lettres, qui ont été ensuite superposées à d’autres éléments optiques.

 

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Les Effets Spéciaux

Victimes des restrictions budgétaires, les effets visuels de Brainstorm ne représentent pas une durée conséquente. Ils sont saucissonnés tout au long de l’intrigue pour donner l’impression d’une présence plus importante. Néanmoins, ils sont parfaitement dignes du talent visuel de Trumbull, par leur approche unique. La séquence la plus frappante est celle des «bulles de mémoire », au sein desquelles voyage la caméra lors du trip final. Les bulles étaient une image composite, regroupant un nombre incroyable d’éléments optiques combinés. Chacune d’entre elles intégrait des prises de vues réelles, filmées avec un objectif fish eye pour obtenir un effet de déformation.

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La fameuse bande, censée montrer les derniers moments de la vie de Lillian, un des personnages principaux, est une suite d’images abstraites. Elles sont d’abord liées au vécu du personnage, avec des objets ordinaires présentés dans un contexte visuel inhabituel, avec un effet de chute. Les différents éléments ont été filmés sur fond bleu, puis combinés optiquement.



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La transition entre la mort du personnage est le contenu de la bande est fait à l’aide d’un plan à la verticale, qui adopte quasiment le point de vue de l’âme de Lillian s’échappant de son propre corps. La caméra recule jusqu’aux poutrelles du plafond, qui sont un élément optique séparé, incrusté dans la scène, avant que ce moment ne s’intègre parmi les milliers de bulles de mémoire.

 

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Le déroulement même de la bande est censé suivre plusieurs phases, et s’est inspiré d’un montage réalisé dans le cadre d’une expérience sensorielle, conçue par deux scientifiques, Stanislov et Cristina Grof. Il représente le passage par différents stades, tels que le paradis et l’enfer. Dans cette optique, la fin de la bande contenait des images très dérangeantes, qui ont été sucrées au montage, afin que le film ne soit pas classé R (interdit aux mineurs non accompagnés). On peut les apercevoir très brièvement dans la version définitive.


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Plusieurs effets, jugés trop déroutants pour le spectateur, ont été écartés du montage final.

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Parmi les autres scènes supprimées, l’une d’elles montrait la piscine familiale transformée en un marais sinistre, où l’un des personnages se noyait. Compte tenu des circonstances du décès de Natalie Wood, la séquence a donc été éliminée et remplacée par une autre, beaucoup moins dérangeante, mettant en scène Christopher Walken et son fils.

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Enfin, la séquence finale est très réminiscente de 2001, avec un voyage aux confins de la galaxie qui se termine de manière assez déconcertante par des visions angéliques. Les anges ont été réalisés en filmant séparément des figurants suspendus à des filins et revêtus de voiles, qu’ils faisaient onduler à l’aide de perches tendues à bout de bras. Une conclusion très critiquée à l’époque, car trop connotée catho (bien que Trumbull se défende de l’avoir trop typée dans ce sens, estimant que chacun pouvait donner à ce final la signification qu’il désirait).

 

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La Musique

vlcsnap-7967-12-06-14h47m16s407C’était l’une de ses toutes premières partitions pour le cinéma. Le compositeur James Horner, récemment décédé, était alors âgé de 30 ans. Il commençait à se faire un nom dans le paysage hollywoodien et venait tout juste de signer deux gros succès, 48 Heures et le second volet de la saga Star Trek. Une carte de visite suffisante pour que la MGM lui confie la partition de Brainstorm, qui va se révéler comme l’une de ses plus belles réussites.

 

 

 

Très inspirée par Gyorgi Ligeti, avec des chœurs utilisés tantôt de manière harmonieuse, tantôt de manière atonale, la musique sait trouver des accents plus rythmés, qui évoquent plus d’une fois l’écriture d’un Jerry Goldsmith. C’est surtout dans des pièces chargées d’émotion, comme Lillian’s Heart Attack, que le génie de Horner  explose pleinement, mariant fureur orchestrale et intensité dans un crescendo implacable. Même si le compositeur réutilisera de (trop) nombreuses fois ce motif musical menaçant, cela reste l’un des très grands moments de son œuvre.

 

bst-ostUn album sera publié sur le label Varese Sarabande au moment de la sortie du film, et bien qu’il soit relativement court (près de 30 minutes), il s’avère être parfaitement représentatif du contenu musical du film. Comme cela était le cas bien souvent dans les années 70-80, la version disque a été réenregistrée aux studios Abbey Road de Londres avec le London Symphony Orchestra. La prise de son, effectuée en digital, est particulièrement impressionnante. Par contre, le CD est très vite devenu une pièce de collection, et se trouve plus que difficilement. On espère donc qu’une réédition, ou mieux la sortie de l’intégrale viendront bientôt combler cette lacune car la partition le mérite plus qu’amplement.

 

 

 

 

En Vidéo

Bien que son succès ait été très relatif, le film a été réédité de nombreuses fois sur différents supports. A noter toutefois que la première version du DVD utilisait un cadrage incorrect, puisque les séquences “normales” du film occupaient davantage de place à l’écran que celles en format large. Une seconde édition rectifiera le tir, en proposant un cadrage correct des deux formats. Cela peut paraitre déconcertant, vu qu’il y a clairement une réduction du cadre par rapport à un DVD standard, mais au moins le format respecte celui utilisé lors de la projection.

pc8Le master blu-ray utilise le même cadrage et restitue parfaitement la définition des séquences tournées en 70 mm. De même, le mixage 6 pistes, bien que simple et sans effets inutiles, est bien mis en valeur par le transfert son, en DTS HD Master Audio. En VO du moins, car pour la VF, il faudra se contenter de la version monophonique exploitée en France à la sortie du film. Notre beau pays réservait en effet les doublages Dolby Stéréo aux films commercialement viables. La sortie en catimini de Brainstorm faisait donc de lui un candidat idéal pour ne pas bénéficier de cette innovation technique. Inutile de dire que la piste son française est aussi plate et étouffée que l’anglaise est ample et spatialisée.

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