lundi 31 décembre 2012

Phantom of the Paradise

   Film de Brian De Palma (1974), avec William Finley, Paul Williams, Jessica Harper, Gerrit Graham, George Memmoli, etc..
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 








 

Phantom of the Paradise fait partie de ces films tellement énormes qu’on ne sait pas par quel bout les prendre ou comment les appréhender. C’est un spectacle tellement riche et foisonnant qu’i vous en colle plein mirettes à la première vision. Et, comme tous les chefs d’œuvre, il est impossible de mettre une étiquette précise dessus : film fantastique ? film musical ? film d’horreur ? Satire ? Il est tout à la fois et constitue sans aucun doute l’un des films les plus forts et les plus originaux de son auteur, Brian De Palma.

 
La grande originalité de Phantom of the Paradise, c’est de brasser de nombreux thèmes issus du fantastique au sein d’une intrigue touffue et délirante. A la base,  le film raconte l’histoire d’un brave musicien sans le sou, Winslow Leach (William Finley), tombant entre les griffes de Swan (Paul Williams), un producteur sans scrupules, qui va tenter de le déposséder de sa musique et de celle qu’il aime. La trame est connue, c’est celle du Fantôme de l’Opéra. Pourtant, Brian de Palma va la revitaliser en lui greffant toutes sortes d’influences qui vont faire de son film un patchwork délirant et vertigineux.
 
 
 
 
 
 
 
Avant tout, Phantom of the Paradise est une satire sans pitié de l’industrie du disque, de la manière dont elle exploite et broie les artistes pour satisfaire les besoins d’un public qui en demande toujours plus. De Palma fustige sans pitié la société du spectacle, prête à tout (jusqu’au meurtre) pour créer du divertissement. Le film date de près de 40 ans mais n’a jamais été aussi actuel. Lorsque Swan dit : « un assassinat live à la télé nationale, c’est du spectacle ! », c’est une réplique qui fait froid dans le dos, mais qui sonne étonnamment juste lorsqu’on pense aux dérives voyeuristes d’une télévision qui gomme de plus en plus les limites entre spectacle et réalité.
 
 
 
 
 
Le scénario fait habilement la jonction avec le mythe de Faust, et emmène le film encore plus loin sur le terrain du fantastique. Le simple contrat de l’artiste et de la maison de disques devient un pacte diabolique, qui engage son signataire corps et âme jusqu’à la mort. Subtilement, il modernise également une référence au Portrait de Dorian Gray : la bande vidéo devient ainsi le dépositaire de la jeunesse éternelle, et vieillit à la place de ceux qui ont signé le pacte. Là encore, De Palma stigmatise une industrie pour laquelle la beauté et l’apparence sont devenues des exigences. L’artiste n’est plus au service du public, il en est la victime.
 
 
 
 
 
 
 
 
L’image de l’oiseau est prédominante dans le film, que ce soit avec le masque du Phantom, qui évoque un rapace ou avec les noms mêmes de Swan (le cygne) et de Phoenix. Assez significativement, le logo de la maison de disques de Swan représente un oiseau mort. Cette simple image résume en fait toute l’essence de Phantom of the Paradise : c’est l’innocence et la beauté qui sont détournées, vidées de leur contenu, puis exterminées. Dans les thèmes qu'il aborde, le film préfigure la noirceur et le cynisme des films suivants de De Palma.
 
 
 
 
 
Cette diversité au niveau de l’inspiration est littéralement transcendée par une mise en images ultra-originale et très diversifiée. De Palma expérimente dans tous les styles et ne se refuse aucun effet, aussi démesuré soit-il. Travellings circulaires ou en poursuite, split-screen, cadrages vertigineux, tout y passe avec un brio communicatif. On y sent constamment le plaisir de filmer, d’expérimenter, et d’en mettre plein la vue et même si certaines références semblent un peu faciles, elles sont brillamment portées par l’enthousiasme d’une mise en scène inventive et hyper-efficace.
 
 
 
 
 
 
 
 
En même temps, Phantom of the Paradise possède un caractère un peu bricolé. Film produit en dehors des grands studios (il sera racheté par la Fox qui le distribuera), on y sent parfois des moyens limités. Loin d’être un défaut, ils contribuent au contraire à lui conférer un style unique et beaucoup de caractère. Dans sa liberté de ton et ses personnages hors-normes, c’est un film indépendant dans le meilleur sens du terme, dont la profonde originalité est sans équivalent dans l’œuvre pourtant très riche de Brian de Palma.
 


 
 
La musique joue aussi un rôle prépondérant dans le film. Les chansons, composées par Paul Williams, sont l’occasion de se moquer gentiment de certains genres musicaux, que ce soit le glam-rock façon Kiss (Somebody Super Like You) ou la surf music (Upholstery), mais elles restent dans la continuité de l’esprit du scénario. Les textes sont directement inspirés du mythe de Faust, ou bien dans la lignée satirique de l’œuvre, comme ce Goodbye Eddie Goodbye, où une rockstar se suicide afin de vendre encore plus de disques (même si c’est pour une bonne cause, en l’occurrence pour aider sa sœur malade). Les trois groupes qui apparaissent dans le film (Les Juicy Fruits, les Beach Bums et les Undead) sont d'ailleurs joués par les trois mêmes acteurs, ce qui renforce le caractère très "fabriqué", interchangeable, presque industriel de la musique telle qu'elle est dépeinte ici.
 
 


L’émotion est également au rendez-vous, avec des scènes fortes et puissantes, comme celle où le Phantom assiste impuissant à la séduction de celle qu’il aime. Ou bien Old Souls, véritable moment de grâce où la belle Phoenix chante pour la première fois devant son public. Difficile également d’oublier la séquence du mariage, point d’orgue du film, dont le style visuel chaotique et désordonné scelle le destin des personnages. Avec un sens imparable de la construction, de Palma nous entraîne toujours plus loin dans le fantastique au gré d’une intrigue aux échos vertigineux.
 

 
Un tel mélange de styles ne tiendrait pas une seconde si le film se prenait ne serait-ce qu’unes seconde au sérieux, et De Palma l’a compris. Il parsème son film de personnages pittoresques (l’inégalable Beef, admirablement campé par Gerrit Graham), de petites touches humoristiques et de dialogues qui font mouche. C’est parfois de l’humour très noir, mais le réalisateur ne force jamais inutilement le trait. Au contraire, le dosage est suffisamment subtil pour rendre le spectateur complice, afin qu’il accepte avec davantage de facilité les éléments fantastiques du film.

 
 



 
 
Vertigineux mélange de styles, Phantom of the Paradise fait partie de ces films tellement riches qu’ils se revoient toujours avec le même plaisir, et dont on voudrait citer chaque détail, tant il regorge de créativité. En se réappropriant de grands thèmes du fantastique et en les intégrant dans une mise en images baroque et excessive, Brian de Palma livre un film unique en son genre, un chef d’œuvre d’inventivité et d’humour, dont il n’arrivera que très rarement à retrouver le ton décalé et outrancier. Enorme.


 
 



Arrêts sur Images
(à ne lire qu'après avoir vu le film)
 
 
 
Le Trombinoscope
Ah, que c'est bien, ces films qui proposent un trombinoscope en guise de générique de fin! D'abord parce que ça donne moins de boulot à votre blogueur favori, et ensuite parce que c'est toujours bien d'attirer l'attention du public sur certains acteurs, à plus forte raison quand ils ne sont pas très connus, comme ici. William Finley, comédien fétiche de De Palma, trouve ici le rôle de sa vie. Son interprétation est juste, émouvante, un peu gauche, il est juste formidable. On le reverra dans plusieurs "petits" films du réalisateur et plus récemment dans Le Dahlia Noir, avant son décès, au début de cette année. Paul Williams fera davantage carrière comme musicien, récoltant même au passage un oscar pour sa collaboration avec Barbra Streisand sur le remake de A Star is Born. Jessica Harper, après des débuts remarqués chez Woody Allen et Dario Argento, mènera un parcours également très discret. On l'a revue plus récemment dans Minority Report. Enfin, parmi les autres, Archie Hahn, qui joue un des musiciens, fera une belle carrière dans de petits rôles. On le revoit d'ailleurs assez souvent dans les films de Joe Dante.


 
 

L’introduction
Compte tenu de son ton très particulier, le film se devait de plonger le spectateur dans le bain dès le début, mais comment ? De Palma a donc utilisé une narration dont le ton étrange place directement le film sur le terrain du conte fantastique, en créant toute une aura de mystère autour des personnages. A noter que la voix en VO est celle de Rod Serling, le créateur et présentateur de la série The Twilight Zone.


 
 
 
 
Le Découpage
Même dans ses premiers films, De Palma possédait déjà un grand talent dans la construction et la mise en place de ses séquences-clé. L’accident de Winslow est un exemple parfait: le réalisateur, tout en lui imprimant un rythme implacable, sait rester d’une grande clarté, en montrant successivement  le danger et l’impuissance du héros pour y échapper.


 

 
En soi, l'accident lui-même est totalement irréaliste, mais De Palma court-circuite l'incrédulité du spectateur en mettant en avant l'intensité de la situation. La scène est sur-découpée et axée sur des détails qui renforcent l'impuissance du personnage principal.


 

 
A noter que, de manière assez symbolique, Winslow est "défiguré" par l'instrument qui est à la base de la chaîne discographique. On pourra y voir une métaphore de l'artiste broyé par la machine commerciale, et une préfiguration de l'intrigue, puisque sa musique va se retrouver pervertie par Swan. Pour la petite histoire, De Palma a coupé un plan très bref à la limite du gore, qui montrait Winslow émergeant de la presse à disques. La scène elle-même a été tournée dans une usine de jouets qui appartenait à la famille du producteur Edward R. Pressmann.
 
 
Le split-screen
Effet de style cher à De Palma, le split-screen permet de donner au spectateur deux points de vue (ou plus) sur une même action. Il participe à la richesse visuelle du film, mais peut paraître moins efficace, un peu plus brouillon que dans Sisters ou Carrie. Il peut aussi s’avérer perturbant pour le spectateur, qui ne sait pas toujours où regarder ni quelle action suivre. Dans la chanson Upholstery, le split-screen n’apporte finalement pas grand-chose au suspense lié à la bombe. La scène est d’ailleurs une sorte de clin d’oeil/hommage au plan générique du film d’Orson Welles, La Soif du Mal.
 

 
La démultiplication des écrans lors de la scène finale est beaucoup plus efficace : De Palma égare volontairement le spectateur en offrant davantage de points de vue, mais il est clair que c’est celui lié au tueur que le public va ensuite privilégier au détriment des autres. 

 

 
L’effet est beaucoup plus efficace dans la séquence ou le Phantom espionne Swan et Phoenix. La scène devient un jeu de miroirs ou le voyeur devient lui-même observé.
 
 
 
 
Hitchcock
Brian de Palma a toujours cherché à revisiter la scène de la douche de Psychose, et la variation qu’il en livre dans Phantom of the Paradise est sans doute la plus surprenante et la plus réussie de toutes, grâce à sa chute complètement inattendue. Le réalisateur joue sur les attentes du spectateur, qui sait que le Phantom est un personnage incontrôlable et potentiellement dangereux, mais il désamorce complètement la tension avec une trouvaille totalement saugrenue : la ventouse. Mention particulière au petit gloussement de Beef qui conclut la scène.

 
 

Swan Song
Une des conséquences les plus évidentes d’avoir pioché son inspiration un peu partout, c’est que De Palma a du faire face à plusieurs actions en justice au moment de la sortie du film. L’une d’entre elles a des conséquences visibles à l’écran : le label de Swan s’appelait initialement Swan Song, comme celui du groupe Led Zeppelin. Ni une ni deux, ce dernier en a interdit l’utilisation. Swan Song est donc devenu Death Records, et toutes les mentions d’origine ont été masquées plus ou moins adroitement par des caches reprenant le logo de l’oiseau mort ou bien coupées au montage. Les moyens alloués aux effets optiques étant dérisoires compte tenu du budget, cela donne des incrustations du logo très détectables et pas franchement esthétiques.

 
 

 
Le final
Point d’orgue du film, la séquence du mariage se démarque radicalement du reste du film sur le plan visuel, avec une captation très proche de celle du reportage. Elle a d’ailleurs été confiée à deux cameramen, Robert Elfstrom et James Signorelli, qu’on peut d’ailleurs apercevoir dans certains plans. L’utilisation de la caméra portée, ajoutée à l’emploi d’objectifs déformants, crée une ambiance survoltée, savamment renforcée par le montage de Paul Hirsch. De Palma avait déjà expérimenté ce genre de technique dans un de ses précédents films, Dionysus in 69, où il avait filmé en temps réel la représentation d'une pièce de théâtre, Les Bacchantes, d'Eurypide, par une compagnie new-yorkaise.
 
 
 
 
 
The Hell of It
A l’origine, cette chanson était prévue pour accompagner la séquence de l’enterrement de Beef, mais faute de moyens, cette dernière ne fût jamais tournée. Brian De Palma recyclera donc la chanson pour le générique final, qui prend la forme d’une présentation des acteurs, mais aussi d’un récapitulatif des meilleurs moments du film. La fin étant très dramatique et intense, cela permet au public de se sortir du film, tout en gardant en mémoire des moments plus légers.


 
Petit détail amusant: dans l'équipe technique, on relève le nom d'une décoratrice qui deviendra célèbre, comme actrice cette fois (et toujours grâce à Brian De Palma): Sissy Spacek.


 


Culte
Bien que la 20th Century-Fox ait dépensé des fortunes pour acquérir les droits du film, ce dernier se vautrera lamentablement aux USA. La faute, à ce qu’on dit, à une campagne publicitaire maladroite, qui ne mettait pas assez l’accent sur le côté fantastique du film, mais insistait au contraire sur l’aspect musical. La réputation de Phantom of the Paradise, débutera chez nous, en France, où le film récoltera le Grand Prix du fameux Festival d’Avoriaz. Sans cartonner au box-office, il restera à l’affiche très très longtemps à Paris, mais connaîtra également (sans qu’on comprenne très bien pourquoi !) un gros succès dans la ville canadienne de Winnipeg ! Depuis, des réunions de fans ont lieu, avec la participation de la plupart des têtes d’affiches du film. Enfin, signalons dans cette rubrique un superbe site dédié au film, The Swan Archives, qui est une véritable mine d’informations, et sur lequel on peut même trouver des prises coupées ou alternatives. Hautement recommandé.


 
 
 
En vidéo
Phantom of the Paradise s’est créé une bonne partie de sa réputation en vidéo, rien d’étonnant, donc, à ce qu’il ait été bien traité dans le catalogue de la Fox. Après une édition basique, la surprise viendra pourtant de l’éditeur français Opening, qui réédite le film en 2004 dans une superbe édition DVD sur deux disques. Le morceau de choix de cette nouvelle édition, c’est un reportage de près d’une heure, Paradise Regained, qui revient en détail sur le film en compagnie de nombreux intervenants (Brian De Palma, William Finley, Paul Williams, Jessica Harper…). Passionnant, même si moins détaillé que les making of à la Laurent Bouzereau. 


 
 

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